lundi 19 octobre 2015

L'emprise des ténèbres, ethnozombisme



Quand j'ai vu que le ciné-club de Potzina (blog très très conseillé) portait ce mois-ci sur le cinéma d'horreur et d'épouvante, mon sang n'a fait qu'un tour: il fallait que je vienne y mettre mon grain de sel. Parce que j'aime les films de genre, parce que j'aime en particulier les films d'horreur, et que Halloween, avant d'être une fête qui nous oblige désormais à acheter des bonbecs qu'on pourra même pas manger, c'est d'abord un film que j'adore, qui mérite bien d'avoir un jour pour lui tout seul (je propose d'ailleurs qu'on inaugure le Kurt Russel day rapidement, une fête qui consiste à porter des bandeaux de pirate et des jeans taille haute avec des débardeurs, et à ne parler qu'en réplique badass, en mangeant des burgers).

Bref, je me suis un peu demandé de quel film j'allais parler: un vieux film de la Hammer? Un classique incontesté (Psychose, Suspiria, Nosferatu, Qu'Est-ce qu'on a fait au bon dieu)? Un petit indé de dessous les fagots (Willard, May)? Et puis finalement, je me suis rendu compte que je n'avais pas rendu les hommages nécessaires au très regretté Wes Craven, et c'est pourquoi j'ai décidé de vous parler de mon film préféré de ce maître de l'horreur, qui n'est peut être pas le plus connu, peut-être pas le plus magistral, sûrement pas le plus fun, mais qui est sans aucun doute celui qui me touche le plus: L'emprise des Ténèbres.

Ce film de 1988 est adapté assez librement du livre de l'ethnologue Wade Davis "The serpent and the rainbow" qui évoque ses recherches à Haiti sur la zombification. Parce que oui, en ces temps où le Zombie est devenu un Z international qui veut dire franchise, il faut se souvenir de l'origine ethnologique et vaudou du mort-vivant cannibale à la lenteur caractéristique. Le zombie, c'est haïtien et il y avait des processions vaudous sur l'île bien avant nos zombie walks.



L'histoire est donc celle de l'ethnologue Denis Allan, interprété par un Bill Pullman en mode BG baroudeur à mèche, qui est envoyé à Haiti par une grosse boîte pharmaceutique pour enquêter sur la zombification. Si une substance permet celle-ci (c'est la thèse de Wade Davis), cela ouvrirait des perspectives anesthésiques plutôt réjouissantes pour le labo. Denis revient juste d'un trip amazonien digne d'un Blueberry kounenien, et s'embarque, ni une, ni deux, pour l'île aux mystères vaudou. Il va y trouver une belle doctoresse (la somptueuse Cathy Tyson), un envoûteur Mozartien, et un sacré paquet d'emmerdes parce qu'un certain Jean-Paul Duvallier y fait régner la terreur.

On dit souvent, et on a raison, que le film de zombie est un film politique, une critique sociale. Romero ne s'en est, par exemple, jamais caché. Ici, cela n'a jamais été aussi vrai. L'horreur parfois profonde que l'on ressent à la vue de L'emprise des ténèbres n'est pas tant due aux éléments fantastiques du récit, qui filent déjà bien des frissons d'angoisse, mais à la cruauté profonde, à la monstruosité de l'âme humaine incarnée dans le personnage de Lucien Céline (terrifiquement joué par Paul Winfield), un des personnages les plus cauchemardesques de l'histoire du cinéma, tout simplement parce que si proche des personnages les plus cauchemardesques de l'Histoire, tout court.

Lucien Céline, dans le film, est le chef des Tontons Macoute, la milice paramilitaire de François (papa doc) Duvallier puis de son fils Jean-Paul, tristement célèbres pour leurs massacres, viols et multiples exactions. Le nom de cette affreuse organisation vient du personnage folklorique, Tonton Macoute, une sorte de croque-mitaine effrayant. La réalité s'inspire de l'horreur, et l'horreur de Wes Craven s'inspire de la réalité. Cette tension s'est d'ailleurs invitée sur les plateaux puisque, pour des raisons de sécurité, le film a dû se terminer en République Dominicaine. Vous comprendrez combien la réalité rattrape finalement le fantastique quand vous verrez qu'une simple chaise est plus éprouvante que tous les morts-vivants, fantômes et autres apparitions creepesques.

Alors oui, certains éléments du film, notamment quelques effets spéciaux ou une scène d'amour pouet pouet, n'ont pas super bien vieilli. Mais dans l'ensemble, le film tient encore très bien ses promesses: on est effrayé, parfois assez fasciné par ce récit aux frontières du réel, Bill Pullman est (comme presque toujours) formidable et Wes Craven marie à merveille l'esprit de comédie de certains passages à l'horreur pure ou au quasi-documentaire. Pour Halloween, je vous invite donc à revenir aux sources du zombie, et à vous perdre dans les ténèbres haïtiennes.







jeudi 8 octobre 2015

Séance de rattrapage: an honest liar



Petit focus aujourd'hui sur un documentaire absolument passionnant, sur un homme absolument passionnant, avec une histoire absolument passionnante: An honest Liar, un film de Tyler Meason et Justin Weinstein, sur James Randi, "The Amazing James Randi", que tous les sceptiques américains connaissent bien, mais qui est moins célèbre par nos contrées.

Ce docu date de 2014, mais je ne l'ai découvert que cette année sur Netflix, et c'est une petite merveille: un sujet en or, une narration au suspens digne d'un film d'Hitchcock et le hasard qui fait bien les choses, le timing parfait pour en faire un grand film, aux formidables enjeux.

Au départ de ce documentaire, la vie et le portrait de James Randi, grand illusionniste devenu le champion du scepticisme aux Etats Unis. Imaginez un descendant spirituel d'Houdini, un escapologiste formidable, qui ligotté et pendu la tête en bas au dessus des chutes du Niagara, parvient en quelques minutes à se libérer. Imaginez un roi de l'illusion, au regard hypnotique et au pouvoir de suggestion formidable, un homme dont le métier est de nous mystifier, qui décide un jour de partir en guerre contre tous les mages, les gourous et les médiums qui utilisent les mêmes "trucs" de magiciens que lui pour des raisons beaucoup moins nobles que le simple divertissement.



Cet homme-là, c'est James Randi, un type capable de mettre à mal un médium tordeur de cuillères (une scène assez fendarde), un télé-évangéliste guérisseur qui communique par télépathie avec son public et avec sa femme par une oreillette (là, on ne rigole plus du tout, en ce qui me concerne, je pleurais presque de dépit),  et qui va même jusqu'à offrir un million de dollars à celui ou celle qui saura prouver qu'il ou elle a de véritables dons surnaturels (notez bien que pour le moment, le million attend bien sagement qu'on le réclame). Un génie de la manipulation, qui réussit à mystifier jusqu'à des programmes de recherche du gouvernement américain alors friand d'expériences mystiques, en formant une équipe de deux jeunes prodiges de la prestidigitation, se faisant passer pour de puissants médiums, afin de révéler au grand jour la supercherie.



Un amoureux de la vérité, qui parfois dérange, titille, mais garde une ligne de conduite sévère et droite, scientifique, quitte à décevoir même ses collaborateurs. Un personnage à l'honnêteté que rien ne semble entamer, un chevalier des faits, du réel et du tangible.

Sauf que...

Sauf que James Randi est un personnage passionnant. Sauf que sa vie ne cesse de tester ses propres limites. Sauf qu'il doit s'arranger de ses propres secrets.

Et là, on touche à James Randi l'être humain, partagé entre ses convictions et son cœur, et le dilemme devient bouleversant. On apprend d'abord que c'est à 85 ans qu'il a décidé de s'ouvrir sur sa très belle histoire d'amour avec son compagnon, l'artiste José Alvarez. Mais surtout un évènement se produit au cours de la réalisation du documentaire qui va faire tourner ce film au vrai drame psychologique: que faire lorsqu'on a passé sa vie a vouloir défendre la vérité et que le mensonge est constamment présent au cœur de son intimité?



C'est à cette dernière partie du film que le documentaire devient une réflexion sur l'intégrité, et la difficulté à la garder en toutes circonstances. La réponse donnée par le film est à la fois troublante et terriblement émouvante. Je ne peux pas vous en dire plus, mais vous invite vivement à la découvrir.