jeudi 27 octobre 2016

Le Cinéclub de Potzina: The Nanny: l'anti-Poppins


Pour le ciné-club de Potzina de ce mois-ci, hébergé par le blog La Chambre rose et noire avait ce mois-ci pour thème halloweenien "Horreur". Autant vous dire que pour moi, c'était du pain maudit, et que je ne me suis pas fait invoquée bien longtemps pour chercher le film adéquat.

Pour rappel, le ciné-club de Potzina, c'est un ciné-club entre bloggueurs avec, tous les mois un bloggueur qui héberge l'évènement et propose un thème pour lequel chaque bloggueur peut proposer un film.  Pour plus d'infos et pour participer, n'hésitez pas à vous rendre sur notre groupe Facebook, on a envie de voir plein de propositions de films fleurir sur la blogosphère...

Comme je le disais, je me suis tout de suite attelée à trouver le bon film. J'en avais de nombreux en tête, mais j'ai décidé de me diriger vers un film un peu moins récent et un peu moins connu, que j'ai trouvé tout à fait adapté à un petit lundi soir d'Halloween très classique, sous les plaids, avec un chocolat chaud, allumé à la réverbération de l'écran en noir et blanc, pour frissonner de plaisir devant une des plus grandes dame du cinéma, Madâaame Bette Davis. Le film que je vous propose, c'est The Nanny (Confessions à un cadavre, dans le pauvre titre français), une production Hammer réalisé par le britannique Seth Holt en 1965.



Le film commence ainsi: Le jeune Joey revient dans sa famille d'un pensionnat apparemment spécial. On ne peut pas dire que l'ambiance soit au beau fixe: Papa passe son temps à bosser et à fumer des cigares, ayant assez peu de temps à consacrer à son fils, Maman est en totale dépression et passe ses journées à pleurer et à prendre des somnifères. De plus, Joey a un sens de l'humour particulièrement morbide et semble avoir une sacrée dent contre la nurse de la famille, "Nanny", qui fait pourtant tout pour le mettre à l'aise... Ca cache quelque chose...

Avant tout, petit avertissement: si vous vous attendez à de l'hémoglobine, des zombies, des vampires et de la rigolade, détrompez-vous. Là, pas d'effet grand-guignolesques, pas de caméra qui tremble, pas de jump-scare et de de long cheveux mouillés qui trainent. Non, ici, on entre au cœur de l'angoisse, aux tréfonds de l'horreur, au supercore de l'épouvante: dans l'ignominie de la psychée humaine. Oubliez Dracula, oubliez la créature de Frankenstein, oubliez les piranhas et Freddy Krueger. Rien de fantastique ici, que du possible, que du probable et c'est bien ça qui fait le plus peur.

Entre Joey l'enfant un peu diabolique et la glaçante Nanny, on ne sait lequel des deux est le plus à craindre. Nous voilà enfermés dans cette famille anxiogène et endeuillée et on ne se sent pas du tout, mais alors pas du tout en sécurité. On cherche partout un peu d'air frais, une baisse de tension, une petite pause, mais c'est peine perdue. Vous avez déjà vécue une réunion de famille ultra glauque où chacun regarde son assiette et rumine contre son voisin? Ben dites-vous bien que c'était la famille Ingalls à côté de celle-là. La tension domestique est palpable dans chaque parole, mais surtout dans chaque silence, dans chaque geste fait, mais surtout dans chaque geste réprimé, dans chaque regard dirigé, mais surtout dans chaque regard évité.



Et c'est de là que vient la peur, dans le fait qu'au sein-même du foyer, de l'endroit qui devrait être le plus rassurant au monde, la mort, le crime et les secrets rodent. Et l'on comprend très vite que la mort a déjà frappé cette maison bourgeoise et parfaite en apparence, et qu'elle s'est attaqué à un enfant. On voit alors combien cette famille est bancale: des parents incapables de protéger leur progéniture, une nurse dont l'emprise sur la maison est sourde mais implacable, un gosse inquiétant qu'il semble bien difficile d'apaiser. L'épouvante s'installe là, dans les repères perdus, dans l'inconsistance de la seule chose qu'on pense acquise: la sécurité et la douceur du foyer. Au dessus de tout ça, probablement la plus grande des peur primale, et la plus déchirante: celle de l'abandon. Quand je vous disais que ça fait pas rigoler!

Sinon, à la réalisation, c'est Seth Holt, et on sent bien qu'on est dans le milieu des années 60, qui osent tout: des plans audacieux, des effets visuels psychédéliques, qui donnent un bon coup de peps à une histoire qui fleure bon le classique gothique (après tout, on est chez la Hammer): on pense notamment beaucoup à l'indétronâble Tour d'Ecrou d'Henri James, dont Les Innocents en est sans doute la plus belle adaptation, et un peu aussi à The Servant de Joseph Losey, réalisé un an plutôt. On fait voler en éclat la bonne famille british et bourgeoise, et ça craque de partout.

Et là où on se fait plaisir, c'est vraiment sur l'interprétation. Wendy Craig (qui jouait déjà une bourgeoise dans The Servant, tiens-donc...) est une mère sous prozac parfaitement insupportable de passivité, Jill Bennet tient parfaitement son office de Scream Queen, et le jeune William Dix apporte à son rôle toute la duplicité nécessaire à nous faire douter de lui. Et puis, il y a Bette Davis: la voix aigüe et éraillée de Bette Davis, les grands yeux de Bette Davis (et maintenant, vous avez la chanson de Kim Carnes dans la tête pour la journée, mouhahah), la douceur, la fragilité, l'intransigeance et la grandeur de Miss Bette Davis qui bouffent tout le film. Elle est (et elle l'est toujours) magistrale.

Alors cet Halloween, laissez tomber Joséphine, la MacPhee et Mary Poppins, et confiez les enfants à The Nanny, ils ne vous remercieront pas...






lundi 24 octobre 2016

Vies brûlées: el tango de la muerte



Les Editions Outplay, spécialisés dans le cinéma LGBT mais pas que m'ont fait la surprise (et l'honneur) de me faire parvenir 2 DVDs récemment sortis. Parmi eux, Vies brûlées, un film sorti en 2001 de Marcelo Pineyro.

Comme je le disais, ce film était plutôt une surprise. Je n'en avais jamais entendu parler et au vu de l'affiche et du synopsis, je ne savais pas trop à quoi m'attendre. D'un côté, certains éléments m'attiraient: un drame de gangsters amoureux, qui se passe dans les années 60, avec Edouardo Noriega dans sa période la plus graou. De l'autre, d'autres m'interrogeaient: d'abord une méconnaissance totale des faits dont ils sont inspirés, qui sont apparemment assez célèbres en Amérique du Sud, de l'histoire de l'Argentine et de l'Uruguay (où l'histoire se déroule), un montage photo sur la couverture que je trouvais un peu raté (un baiser entre les deux héros, très caliente il est vrai, qu'on retrouve dans une des scènes du film, mais agrémenté de flammes photoshoppées que je ne trouvais pas d'un raffinement extrême). Mais je sais bien qu'on ne doit jamais juger d'un piment par sa couleur, alors je me suis lancée dedans.



Parlons déjà de l'histoire. C'est d'abord celle d'une rencontre entre deux hommes Angel et Nene. Dans le gangsta du Buenos Aires de 1965, on les appelle "les jumeaux". C'est pas qu'ils se ressemblent: Angel est un garçon un peu fêlé qui entend des voix, taciturne et tourmenté et Angel est un séducteur ambigû et manipulateur. Mais on ne voit jamais l'un sans l'autre, et ils aiment travailler de concert. Ce que l'on sait moins, c'est qu'ils sont également amants. Un jour, ils sont mis sur un gros coup avec un jeune loup, Cuervo. Mais tout ne se passe pas comme prévu, et ils se voient obligés de se planquer à Montevideo en Uruguay en attendant les consignes du grand patron: l'attente va exacerber toutes les passions.

On est donc bien là dans 2 thèmes classiques du cinéma. D'un côté, on retrouve les amants criminels à la Bonnie and Clyde, ce qui permet de juxtaposer amour et violence, donc traiter souvent de la passion. On connait ça par cœur, et on sait déjà comment ça va finir, mais il y a toujours quelque chose de très romantique dans la traque de deux personnes qui s'aiment, aux abois et qui savent qu'il ne leur reste peut être pas beaucoup de temps. Repensez à la Ballade sauvage, à Tueurs nés, à Thelma et Louise, à Sailor et Lula. Les héros ont beau être parfois atroces, leur amour fou fait qu'on est quand même prêt à les suivre et à s'y identifier. Ici, ça fonctionne plutôt bien. L'histoire d'amour entre Nene et Angel est très crédible, notamment grâce aux acteurs qui s'investissent vraiment. Edouardo Noriega, qui joue Angel, est très intense dans ce rôle d'amoureux transi et fragile. Leonardo Sbariglia, dans un rôle plus complexe, parce plus difficile à aimer, s'en sort vraiment très bien. Il arrive à donner une profondeur à un rôle qui en manque peut être un peu à l'écriture, et son registre n'est vraiment pas évident, parce qu'il faut bien le dire, Nene est une personnalité difficilement palpable, fuyante, et pas vraiment sympathique. Sbaraglia, parvient tout de même à lui apporter de l'épaisseur et de l'humanité par sa simple interprétation, et son travail est vraiment à saluer.

Mais c'est vrai qu'il existe pour moi un problème dans l'écriture des personnages qui restent un peu en surface. Nene et ses motivations sont difficiles à comprendre, et le récit ne fait rien pour nous y aider, Angel est un peu caricatural, Cuervo et sa petite amie, Vivi restent à une seule dimension. Seul le personnage de Giselle, qui arrive à peu près au milieu du film semble vraiment porter une ambivalence touchante, des contradictions qui se justifient. Il a pourtant beaucoup moins de temps que les autres pour se développer, mais je crois que c'est également à ajouter au crédit de l'actrice qui interprète le rôle, Leticia Bredice, qui est fascinante à observer.

Donc petit bémol sur l'écriture des personnage dans le scénario, mais il faut dire qu'il évite tout de même les écueils du biopic en se basant sur un fait divers célèbre et particulièrement sanglant pour l'époque. Il a le bon goût de choisir un angle et un espace temporel bien défini.

L'autre thème abordé ici, et qui fonctionne très bien au cinéma, c'est celui de l'attente. Ici, la très bonne idée du scénario est de mettre ses personnages dans cette position d'animal traqué, enfermé et tournant en rond, jusqu'au moment où cela doit forcément imploser. Personnellement, c'est le genre de situation que j'aime beaucoup, dramatiquement très efficace, qui permet de faire doucement monter la tension, mais aussi de lancer quelques échappées poétiques. Et ici c'est assez réussi (si vous voulez voir un monument du genre, ruez-vous sur Sonatine de Takeshi Kitano) .



Je suis assez enthousiaste sur la mise en scène et la photographie. J'aime beaucoup les tons choisis pour ce film, qui tirent un peu vers le vert, qui m'a fait irrémédiablement penser à Wong Kar Wai, et en particulier au magistral Happy together. Même que ça m'étonnerait  pas des masses que ça en soit un peu inspiré, vu le nombre de points communs: une belle histoire d'amour entre 2 homme singuliers, l'exil, l'attente et l'enfermement en espace clos, une scène d'anthologie sous une pluie diluvienne (grand motif WKW s'il en est), cette lumière très particulière, et bien évidemment, l'Argentine et le tango.

Puisqu'on parle de tango, parlons de la bande originale, que j'ai trouvée particulièrement efficace: du tango, bien évidemment, pour souligner l'amour passionnel d'Angel et Nene, des ritournelles italiennes pour El Cuervo, dont le modèle est Vittorio Gassman, du yéyé espagnol. La musique nous permet une belle insertion dans l'Amérique du sud des années 60 et est utilisée à bon escient de manière dramatique.

Enfin, je trouve que Marcelo Pineyro trouve toujours la bonne distance pour filmer ses personnages et les situations: les scènes d'action sont très rythmées, et compréhensibles (parfois, j'ai tendance à me perdre dans le montage de certaines scènes d'action, ici, ça n'a pas été le cas). Les scènes de sexe sont très sensuelles, très calliente mais il n'y a rien de trop graphique. Surtout, elles nous permettent d'appréhender les personnages, et l'on sent qu'il y a des ces moments-là l'expression de sentiments qui sont réprimés ailleurs, des échanges entre eux qui ne peuvent pas se dire. Je les ai trouvées assez réussies.



Dans l'ensemble, j'ai donc été ravie de recevoir ce DVD, d'autant plus que les bonus sont très intéressants: un making off qui permet d'en apprendre beaucoup sur le tournage du film, le travail de préparation des acteurs, la volonté de Pineyro. On y trouve aussi une vidéo de tournage sur une des scènes les plus impressionnantes du film (le braquage) et une large sélection de bandes-annonces. L'occasion donc, pour moi, de remercier Outplay pour sa confiance.

PS: Vous ne savez pas ce que c'est que le tango de la muerte? Fan des Simpson et de Baz Luhrmann, réjouissez-vous!