dimanche 26 mars 2017

Le ciné-club de Potzina: Metropolis, rétrofutur en action



Ce mois-ci, Bangarang Daily a proposé un thème pour le cinéclub qui ne pouvait que me faire plaisir: le cinéma d'animation japonais. Déjà, parce que la japanimation, comme beaucoup de gens de ma génération bercés au Club Dorothée, je suis tombée dedans quand j'étais petite, mais aussi parce que l'animation japonaise a fourni un nombre impressionnant de films passionnants dans des registres très variés, de la science-fiction au biopic en passant par le mélo, le conte fantastique ou la comédie romantique. Elle a également permis de révéler de grands auteur de cinéma: Miyazaki, Otomo, Tezuka, Takahata ou Oshii.

Le film que j'ai choisi est Metropolis, de Rintaro. Metropolis, c'est un peu le fantasme ultime de l'amateur d'animé et de science-fiction, le rêve éveillé du geek, parce qu'il n'est fait que des meilleurs ingrédients.



Bien évidemment, c'est d'abord le remake inspiré d'un des meilleurs (si ce n'est le meilleur) film de science-fiction de l'histoire du cinéma: le Metropolis de Fritz Lang. On retrouve l'histoire principale issue du roman de Thea Von Arbou: une ville futuriste à l'organisation verticale aussi bien sociale qu'architecturale qui écrase les ouvriers dans ses bas fonds et porte les élites au firmament, dominée par une immense tour, le Ziggurat, cousine technologique de la Tour de Babel. Au sommet de cette tour, un industriel milliardaire qui ne se remet pas de la perte de sa fille et qui va vouloir lui donner l'immortalité sous les traits d'un robot humanoïde, avec l'aide d'un savant plus ou moins bien attentionné. Cette femme-robot est, telle Pandore, la première femme, l'être le plus innocent mais aussi le plus dangereux qui ait été créé.

Metropolis s'inspire donc de ce chef d'oeuvre aussi bien au niveau scénaristique que visuel. On retrouve bien l'esthétique art nouveau du film, les décors imposants mais aussi des formes filmiques issues du cinéma expressionniste, des plans avec des caches pour mettre en avant des éléments et une scène de transformation qui utilise le même procédé de superpositions d'images (en même temps, bandes de petits malins, vous pourriez me rétorquer que le cinéma d'animation est basée sur des superpositions d'images et vous auriez bien raison). Pour tous les amateurs de l'original, c'est donc un vrai cadeau.

Comparaison du blog The film Connoisseur


Mais si vous êtes fan de japanimation et en particulier de SF, là, on touche la crème de la crème à se demander comment ce film n'ai pas réussi à faire un carton vu le générique de rêve qu'il proposait.

A la réalisation, Rintaro, formé chez Tezuka, qui n'est rien moins que le réalisateur des séries TV cultes Galaxy express 1999 et Albator, le corsaire de l'espace, qui depuis longtemps fait preuve d'une véritable expertise en science fiction.

Derrière le scénario, rien moins que 2 immenses maîtres. D'abord parce qu'on est ici face à l'adaptation animée de la bande-dessinée du même nom d'un monstre du manga, Osamu Tezuka. Tezuka, c'est le Walt Disney du Japon des années 60 aux années 80. Il a notamment créé 2 héros mythiques: Astroboy et le Roi Leo. On reconnait là son style graphique plein de mignonnerie, avec des personnages aux yeux immenses et au petit nez rond, solidement ancrés à la terre sur leurs gros pieds. Le jeune héros est par exemple le portrait craché du petit robot Astro et on s'attend à le voir décoller sur ses jambes-fusées d'une minute à l'autre. Rintaro avait commencé sa carrière dans les studios de Tezuka. C'était donc bien l'héritier idéal pour mettre en avant les images de son Sensei.



Enfin, l'autre grand nom du générique, aux manettes du scénario, ce n'est rien moins que Katsuhiro Otomo. Oui, le papa d'Akira himself. Pouvait-on trouver mieux pour compléter ce trio cultissime? En même temps, rien d'étonnant à ce qu'il s'intéresse à une telle histoire: une figure de l'innocence qui se révèle être une arme fatale? Une mega-cité au bord de la révolte? Le trauma d'une menace atomique? Ça vous rappelle quelque chose? Comme un petit garçon victime de dangereuses expériences scientifiques? Et oui, il y a entre cette version de Metropolis et Akira un vrai lien de parenté et on sent bien qu'Otomo a trouvé là le matériau idéal pour développer ses obsessions.



Le résultat est un film passionnant où ces différents talents se conjuguent de manière détonante et créent un véritable monstre cinématographique. La noirceur profonde du scénario d'Otomo contraste foncièrement avec l'esthétique enfantine et adorable de Tezuka, développant une atmosphère où une violence apocalyptique semble surgir soudainement dans un monde de dessins animés pour enfants, où une architecture totalitaire en images de synthèse exerce son pouvoir sur des hommes et machines en celluloïd plein d'une mignonne bonhommie. Ce contraste, qui fait pour moi la grande force du film, est peut être la raison pour laquelle ce film a eu si peu de retentissement par chez nous, les gens le prenant par erreur pour un film pour enfants, alors qu'il est bien destiné avant tout à des adultes, il a bien eu du mal à trouver son public.



C'est d'autant plus dommage que Metropolis est une véritable réussite sur tous les plans: c'est un film au message social fort, qui s'interroge sur les statuts de l'homme et de la machine, ainsi que du pouvoir. C'est aussi un film très émouvant, une fresque incroyable. C'est aussi un grand film de cinéma, formidablement réalisé, accompagné de la musique entêtante de Toshiyuki Honda. Et on y trouve une des plus belles scènes de climax au son de la superbe chanson de Ray Charles, I can't stop loving you.

Et un remake d'un chef d'oeuvre qui parvient non seulement à être presque à la hauteur de son prédécesseur tout en parvenant à en faire quelque chose de différent, c'est bien assez rare pour se priver de voir ce petit bijou.


Si vous ne connaissez pas le ciné-club de Potzina, je vous rappelle un peu le principe: à la base créée par la blogueuse Potzina, il a pour but de partager des chroniques ciné sur un thème donné chaque mois, et de découvrir ainsi un max de bons films. Tous les mois, un blogueur ciné participant propose un thème et répertorie tous les articles des bloggueurs participants. Pas de pression, aucune obligation de participer tous les mois, juste une envie de se stimuler les uns les autres. Si vous avez envie de participer, n'hésitez pas à nous retrouver sur notre page facebook.


dimanche 19 mars 2017

Loving: what's in a name?



Je ne résiste jamais à une belle histoire d'amour, encore moins à une belle histoire d'amour au carré, soit un beau film film sur une belle histoire d'amour. Parfois, rien n'est plus vibrant qu'un bon vieux mélodrame, un qui, contre toute résistance, fait jaillir les larmes, un qui vous accompagne après la séance, et vous fait tomber amoureux de l'amour. Y'a pas loin d'un an, c'était Carol de Todd Haynes qui me piquait les yeux. Cette année, c'est le magnifique Loving de Jeff Nichols.

Mildred Jetter va avoir un enfant de son petit ami, Richard Perry Loving. Il la demande en mariage. Tout cela devrait se poursuivre par "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants". Sauf que Meldred est noire, Richard est blanc, on est en 1958 et en Virginie. Et comme on le voit encore aujourd'hui, il y a toujours des gens bien intentionnés pour décider à votre place de la légitimité de votre union.

J'ai finalement assez peu de choses à dire sur Loving. Pas qu'il ne soit pas intéressant, loin de là, mais plutôt parce qu'il est d'une telle simplicité, d'une telle évidence, d'une telle frontalité et immédiateté qu'il semble échapper à l'analyse pour se placer sur un terrain résolument émotionnel. C'est un film que j'ai reçu directement au coeur, et il m'a été très difficile de prendre du recul face à lui.



Parce que dès les premières images, ces bien-nommés Loving, je les ai aimés. Une scène toute bête, toute simple, mais d'une telle force réaliste que c'en est dévastateur. La nuit, on est en plan rapprochés (comme souvent dans le film), on laisse le temps aux personnages de s'exprimer, parce que ça ne sort pas tout seul, parce que parler des sujets importants, ça n'est pas facile. Et cette jeune femme, timidement, avec l'incertitude de toutes les jeunes femmes qui doivent annoncer une telle nouvelle à leur compagnon, avec la crainte de le voir se mettre en colère ou de le perdre, les yeux qui hésitent entre le sol et le visage face à elle, dit à son amant qu'elle est enceinte. Il suffit de cela pour qu'avec elle, on scrute le visage impassible de son partenaire, qu'on sente tout le poids de l'attente de sa réponse, qu'on appréhende avec elle sa réaction qui tarde tellement à venir. Et lorsque ses lèvres jusqu'alors immobiles se retroussent en un léger sourire et qu'il répond tout simplement "C'est bien", c'est un un vrai soulagement et je crois que c'est là que j'ai écrasé ma première larme (la première d'une longue série). C'était tellement authentique, direct! Une intimité filmée avec tant de respect, d'élégance, à la bonne distance. Dès lors, j'ai mis la machine à analyse sur pause, et je me suis laissée emportée.

C'est déjà dans cette distance à la fois respectueuse et très intimiste que Jeff Nichols réalise tout de suite un beau film. Parce qu'il ne la quitte jamais. On reste toujours au plus près de ces deux personnages, mais sans que cela ne devienne jamais intrusif. Il y a de nombreux écueils dans lesquels Loving aurait pu tomber: en faire un film de procès retentissant et militant, en faire un mélodrame misérabiliste, en faire un Roméo et Juliette revisité, en faire un film bavard qui oublierait le principal: la relation entre les deux personnages. Jeff Nichols les évite tous. avec brio, sachant se recentrer constamment sur le couple et les liens qui le soude.



Bien évidemment, Nichols continue de filmer de manière à la fois classique et onirique un sud qu'il avait déjà su magnifier avec le très beau Mud. Il parvient aussi à instiller dans le récit une atmosphère lourde de menaces sourdes, qu'on ne sait pas bien identifier, mais que l'on ressent constamment planer au-dessus des Loving, alors même que l'on sait que l'issue sera positive. La seule chose que je pourrais reprocher à cette réalisation, c'est l'utilisation trop systématique de musique, qui montre peut-être un manque de confiance en la force émotionnelle du film. Vraiment, pour moi, elle n'était, la plupart du temps, vraiment pas nécessaire.

L'autre belle réussite de l'écriture, c'est celle des personnages. Jeff Nichols n'essaie pas de faire des Loving des héros, mais c'est ainsi qu'ils le deviennent. Les Loving ne sont pas des figures politiques, des porte-bannière, des revendicateurs. Ce sont simplement deux amoureux contraints à se cacher et à devoir se battre pour le simple droit de vivre ensemble, chez eux, et d'élever leurs enfants dans les conditions qui leur semblent les plus justes. Surtout, les Loving sont de grands personnages du cinéma parce qu'ils correspondent exactement à sa grande devise: "show, don't tell". Et ils sont écrits de manière si pointilliste que même le "show" est laissé à l'observation attentive du spectateur. Toujours grâce à cette distance juste qu'a trouvé Jeff Nichols, on apprend à connaître Mildred et Richard tout au long du film, par leurs réactions, leurs gestes, leurs actions. Mais la grande intelligence de Nichols est de ne pas tout nous donner. A la fin du film, il reste des interrogations sur les personnages, des choses que l'on ne sait pas, de belles lacunes qui en font plus que des personnages, qui en font de véritables personnes.



Moi qui ai un goût tout à fait modéré des biopics, j'ai trouvé que ce sanctuaire laissé au personnage, cette façon d'accepter que tout n'a pas à être expliqué, démontré, était une exceptionnelle marque de respect aux vrais Loving, tout comme le photographe de Life que joue Michael Shannon dans le film parvient à capter leur intimité sans s'y immiscer. Et là, on peut dire que ça y est, j'ai enfin aimé un biopic (et ceux qui me connaissent savent que c'était loin d'être gagné).



Quant aux dialogues, ils correspondent tout à fait aux personnages, qui ne sont pas des gens qui cherchent à maîtriser une communication orale, et qui ont une économie de parole efficace et incroyablement puissante, en particulier Richard: ils ne parlent que pour dire des choses importantes. En cela, Richard est absolument bouleversant: un homme de son époque, un taiseux, qui n'exprime que très rarement ses émotions mais qui fait tout pour donner à sa famille les moyens de vivre heureuse. Il ne dit pratiquement rien, mais le peu qu'il dit a une portée émotionnelle foudroyante.

Et bien évidemment, pour incarner des rôles aussi magnifiques, il fallait des comédiens non moins exceptionnels. Rarement j'ai vu, de ma vie, une telle implication auprès du personnage, un jeu aussi subtil, un tel respect, une nouvelle fois, des personnes réelles incarnées. Ruth Negga incarne un mélange parfait de douceur et de détermination et Joel Edgerton est tout simplement terrassant de véracité. On est dans un jeu d'une subtilité extrême, qui se situe à un niveau parfois infime et en tire toute sa puissance: et il y a plus dans le tremblement d'un menton, dans le frémissement d'une joue que dans tous les plaidoyers jamais écrits.



vendredi 10 mars 2017

T2: Rust for life


Juin 1997: C'est bientôt le bac de Français. Mais Ok Computer sort et c'est la fête du cinéma: on va pouvoir se gaver de films pour 10 balles (et à l'époque, 10 balles, c'était 1,50 euros). Avec les copains, on traîne nos docs et nos 501 de séance en séance. Pour que personne ne se sente lésé, on choisit chacun à notre tour le film qu'on va voir. Je suis excitée, c'est mon tour. On va voir Trainspotting. Du film, je n'ai vu que la photo hallucinante d'un gars sortant la tête d'un chiotte dégueu, et la très élogieuse critique de Première. Juste avant, on a vu Un vampire à Brooklyn et je me dis que ça peut pas être pire. La salle s'éteint, "Lust for life" retentit et notre vie va changer. Dès lors, une voix, tout comme celle de Thom Yorke dans Karma Police,  va faire écho à notre terreur d'un avenir normé et déjà tout tracé et mon coeur va traverser la manche quelques années avant mes chaussures à semelles de caoutchouc.

Petit souvenir de cette soirée entre gens de bon goût
20 ans plus tard. La même paire de doc, c'est pas la fête du ciné mais c'est la fête quand même. A St Etienne, le Collectif Mcdts (joli acronyme) a décidé d'organiser une soirée Trainspopcorn, avec la projection de Trainspotting et, en avant-première, de sa suite T2. Nostalgie et nouvelle excitation: savoir ce que sont devenus Renton et sa bande, et s'ils ont aussi bien vieilli que nous.



Pour cette suite, je ne m'attendais pas à un film à la hauteur du premier Trainspotting avait été un choc, une mini-révélation, et j'aurais été bien présomptueuse d'en attendre autant de la séquelle. Je ne demandais qu'une chose: qu'elle ne gâche pas le souvenir ému que j'avais du film original.

Mark Renton, vingt ans après avoir arnaqué sa bande de potes et avoir disparu avec le magot, revient à Edimbourg. Il retrouve son père et apprend le décès de sa mère. Il retrouve également ses anciens acolytes Spud et Sick Boy. Au même moment, Begbie s'échappe de prison. En 20 ans, beaucoup de choses ont changé. En est-il de même pour nos 4 héros écossais?

Je dois bien avouer qu'à la fin de la séance, les avis étaient très partagés entre les déçus et les soulagés. Pour ma part, je me situe clairement dans le camp des soulagés. D'abord par que Danny Boyle n'a pas, à mon sens, trahi Trainspotting. Mais surtout parce que j'ai été très émue par le désenchantement de ce film, et le trajet de ses héros vieillissants.



Déjà, l'oeuvre de base Trainspotting avait pour protagonistes une génération qui n'était déjà plus en phase avec son environnement et qui trouvait refuge dans la fuite, par la drogue ou par l'abandon. C'était déjà la génération du rock et de l'héroïne se faisant dépasser par celle de l'exta et de la techno, vivant dans un passé idéalisé, refusant de voir autour d'elle la société changer et encore plus d'y participer. Une génération qui comme le trainspotter, regardait passer le train de la vie, sans jamais monter dedans au risque de rester abandonné sur le quai. Des personnages bien ambigus aussi, qui passent leur temps à fermer les yeux et se boucher les oreilles. Du genre qui prend position contre la société de consommation (le fameux monologue de Choose Life en est l'illustration), mais qui passe ses journées à trouver les moyens (et souvent pas les plus dignes) de se payer leur addiction, qui peste contrel'individualisme mais qui, à la première occasion, n'hésite pas à abuser de la confiance d'un proche, qui affiche le nihilisme mais, à part pour le psychopathe de la bande qui n'a aucun remord, a besoin d'un shoot pour pouvoir oublier combien il se déteste. Et tout, dans Trainspotting, nous montre que l'avenir de ces personnages risque de n'être pas bien glorieux.

Et en ce sens, T2 respecte tout à fait ses protagonistes en répondant bien au dilemme suivant: quel avenir pour les No Future? Tous les personnages de T2 ont essayé d'échapper à un moment à leur destin et ont malheureusement échoué. Renton a fui aux Pays-Bas pour tenter de "choisir la vie" mais il est de retour au pays et au point zéro. Le début du film impose ironiquement l'image d'un Ewan Mc Gregor vieillissant, luttant contre un tapis roulant et terminant sa course face contre terre comme contrepoint à la mythique scène d'ouverture de Trainspotting ou, tout jeune et fringuant (et diablement sexy ndlmidinette), il dévalait les rues d'Edimbourg s'arrêtant net devant une voiture, un sourire insolent aux lèvres. Renton, qui s'est marié puis a divorcé, a eu un poste de comptable puis l'a perdu, une maison qu'a repris son ex, se voit dans l'obligation de revenir dans une ville qu'il a fuie et qui a depuis bien changé sans lui, dans sa chambre inchangée de la maison familiale, menacé par un psychopathe qui pense qu'il est responsable de son propre parcours navrant.

En effet, au début du film, Begbie est bien là où on pensait le retrouver: en prison. Il a bien fondé une famille, mais il est voué à l'impuissance et à de minables cambriolages. Sa femme et son fils ont peur de lui, comme tout le monde, d'ailleurs, parce qu'il faut dire qu'il n'est pas à moitié flippant. Son propre avocat est terrifié à l'idée de se présenter à lui.


Sick Boy, qu'on appelle maintenant par son prénom Simon, l'autre lésé de l'affaire et ancien meilleur pote de Renton, a bien essayé de reprendre le pub de ses parents et d'avoir une petite amie sérieuse, sauf qu'il a troqué l'héroïne contre la coke et que la petite amie en question est une prostitué dont il loue les services pour faire chanter des petites figures locales. Le pub de ses parents, situé dans une des dernières parties d'Edimbourg qui n'ait pas été touchée par la gentrification, est à la limite de la faillite et son seul rêve est de le transformer en sauna érotique.

Pour le pauvre Spud, les années n'ont pas été plus tendres. S'il a un temps réussi à devenir sobre, trouver du boulot dans le bâtiment, épouser Gail et à avoir avec elle un fils, il a tout perdu pour une bête histoire d'heure d'été (encore l'illustration d'un personnage qui passe à côté de son "temps") et a rechuté dans l'héroïne. Pourtant, c'est bien lui qui va finalement être ici le protagoniste de l'histoire, avec son sourire, sa profonde tristesse, son coeur débordant, et surtout ses mots, son absence totale de cynisme. C'est peut être la seule lueur d'espoir, parce que lui a quelque chose de plus: la créativité.



T2 ne pouvait pas échapper aux images de Trainspotting qui, depuis sont devenues de véritables clichés. Il fait donc énormément de références à celui-ci, de manière presque parodique, à la fois nostalgique et désabusée, comme pour la scène d'ouverture. On retrouve, pèle mèle; le monologue, revu et corrigé en 2.0, qui deviendrait presque celui d'un vieux con; la scène de balade au grand air qui tourne en cérémonie à la mémoire de Tommy; une course dans les rues d'Edimbourg, moins athlétique mais pas moins dangereuse que l'originale; la scène de discothèque ou Renton découvrait la musique électronique devient celle où, hébété, il découvre des gamins danser sur "radio gaga" et tourner sa génération en dérision...



Le film ménage quand même de belles scènes inédites, en particulier une très chouette scène d'arnaque ou Renton et Sick Boy s'infiltrent dans une soirée de réformateurs bien butés et doivent improviser un hymne anti-catholique, qui prouve combien l'extrémisme politique s'accompagne rarement d'une forte exigence musicale. C'est sans nul doute la scène la plus drôle du film, un moment où l'on s'amuse réellement, presque sans arrière-goût un peu amer (si ce n'est que la réunion de salopards nous en rappelle des beaucoup moins marrantes).

Le scénario reprend également la trame principale du sujet, la fameuse histoire d'amitié, d'opportunité et de trahison. Mais les rôles s'inversent, et pas au bénéfices des héros. ALERTE SPOILERS
Si Trainspotting délivrait une fin ironique avec un personnage individualiste qui fuyait sa contrée et les siens avec une mallette de billets, là, c'est un personnage qui part avec le magot pour retrouver son pays et son entourage. C'est une note que j'ai trouvée très positive, mais qui ne fait que mettre en contraste d'un côté l'hypocrisie d'une génération aux grands idéaux et aux basses actions, contre celle qui, en apparence arriviste, fait preuve de finalement beaucoup moins de cynisme.

Danny Boyle renoue également avec le style qu'il avait commencé à développer dès Petits Meurtres entre amis. Le problème, c'est que l'audace visuelle que son esthétique représentait à l'époque a depuis été maintes fois reprise, voire contrefaites, et qu'on ne se rend plus compte aujourd'hui de ce qu'elle a de particulier. On retrouve aussi la place primordiale de la musique, mais elle semble elle aussi s'être un peu essoufflée.

Et puis il y a le grand personnage de Trainspotting et T2: Edimbourg. Edimbourg qui ne cesse d'évoluer. Celle qui est aujourd'hui l'une des villes les plus onéreuses outre-manche. Celle qui est passée d'un bassin ouvrier à une ville prisée par les hipsters. Ce n'est pas pour rien que le générique de fin s'attache à nous montrer son changement. On voit les vieilles tours d'habitation qui se détruisent, les bâtiments servant de décor au premier film être démolis. Et c'est le triste symbole d'une nouvelle ère où tout ce qui est incapable de s'adapter est laissé sur le bord de la route, où tout ce qui n'a pas su évoluer au même rythme que la société a peu de chance de survivre, où quand tu rate le bon train, tu n'es jamais sûr d'en voir passer un deuxième et où tu risques de te retrouver coincé sur le quai, avec ta nostalgie.

Et ça m'a fichu un sacré coup. J'ai regardé mes vieilles docs éraflées, aux semelles asymétriques et élimées, mes vieux rêves désenchantées d'ancienne riot grrl et ma petite vie formatée. Et je me suis dit qu'il était désormais temps d'en racheter une nouvelle paire.










samedi 4 mars 2017

Chercher la femme (trouver son nom): La fille inconnue

LA FILLE INCONNUE Photo 1 © Christine Plenus

Grâce au site Cinetrafic, j'ai découvert le dernier film des frères Dardennes, La fille inconnue en DVD.

J'ai une relation très paradoxale avec les frères Dardenne. De manière générale, leurs films me bouleversent. Pour autant, il m'est régulièrement assez difficile de me déplacer au cinéma pour les y voir. Je ne trouve jamais la motivation. Même si je sais que je vais voir un bon film, je n'ai pas le courage d'affronter l'épreuve du réel que propose souvent leurs films, car je sais que j'en sortirai sûrement lessivée, et peut-être un peu déprimée. Je préfère alors me tourner vers des films plus légers, remettant à plus tard la vision de leur film. C'est ainsi que je suis au regret d'avouer n'avoir vu qu'un film d'eux en salles: L'Enfant. Pour les autres, je me suis rabattue sur le DVD, contre ma préférence habituelle à voir un film en salles, et je crois que c'est mieux ainsi: je peux éclater en sanglots tranquille dans mon coin et ne pas imposer ma tronche d'enterrement à la sortie de la salle aux spectateurs contents d'emmener leurs gosses voir un film d'animation et leur rappeler que là, après les portes, c'est la vraie vie et que des fois, la vraie vie, c'est carrément merdique (tu la sens ma bonne humeur?)

Bref, tout ça pour dire que comme à mon habitude, j'avais raté La fille inconnue en salles, mais que dans l'intimité de mon salon, et avec une assiette de madeleines homemade près de la main droite, et un paquet de mouchoirs près de la main gauche (attention à pas inverser, il ne fait bon ni croquer dans un mouchoir, ni se moucher dans une madeleine)  et un autre DVD beaucoup plus gai pas loin (Dyke hard, dont on parlera bientôt), je me sentais fin prête à affronter la vague émotionnelle de ce film.

LA FILLE INCONNUE Photo 3 © Christine Plenus


Autant vous prévenir, il fallait bien cela parce que pour ma part, si j'ai été extrêmement touchée par le film, je dois bien avouer que je n'ai pas réussi à en sortir indemne, ce qui est tout à son honneur.

C'est l'histoire d'un jeune médecin généraliste, Jenny (Adèle Haenel). Elle forme un jeune interne et s'apprête à quitter son cabinet en bordure d'autoroute pour rejoindre un cabinet d'associés plus cossu. Mais un soir, un coup de sonnette se fait entendre au cabinet une heure après la fermeture. Voulant donner une leçon à son élève, elle refuse d'ouvrir. Mais lorsque le lendemain, on vient lui annoncer que la personne qui avait sonné à sa porte est une jeune femme qu'on a retrouvée morte sur un chantier, tout s'écroule, et Jenny doit se remettre en question. Sa rédemption, elle va la trouver dans la quête du simple nom de cette fille inconnue, afin de rendre à ce corps et à sa sépulture, son humanité.

LA FILLE INCONNUE Photo 5 © Christine Plenus

Le film s'ouvre sur une banale scène d'auscultation. Les gestes, quotidiens, répétés, mécaniques d'un médecin qui diagnostique une bronchite. C'est tout bête: un plan séquence qui suit le médecin accompagnant son patient au plus près. Mais ça suffit. On y est. La distance du médecin, l'impression de froideur, mais aussi l'accompagnement. Tout est dans la précision et l'évidence de chaque mouvement, dans cette parole à la fois indifférente et bienveillante. En quelques mots, en quelques gestes, on a face à nous un médecin.

Et dès le départ aussi, on a la fatalité, celle du corps qui va forcément être soumis à des forces qui le dépasse, celle de sa souffrance inéluctable et de sa disparition. Et la répétition des séances nous permet de nous rendre compte de ce qu'on oublie de parfois: qu'une journée dans la vie d'un médecin, c'est une journée à voir des corps et des esprits qui vont mal, à essayer d'alléger cette douleur, à repousser la mort même si l'on sait qu'elle finira par prendre le dessus. Et quand Jenny n'ouvre pas la porte, on la comprend. Après une journée pareille, je me demande si j'aurais moi la motivation de l'ouvrir, cette porte, sans savoir qu'un drame se cache derrière.

LA FILLE INCONNUE Photo 4 © Christine Plenus

Cette Jenny, Adele Haenel l'investit totalement, de manière simple et subtile. Dans un casting de non-professionnel, elle choisit la posture juste, se mettant, tout comme son personnage, avant tout en position d'écoute, bien plus qu'en position de discours ou de représentation. Elle paraît au départ effacée, sa voix semble monocorde, faible. Mais c'est ainsi qu'elle s'empare magnifiquement plus que de son rôle, de sa fonction. Contrairement à certains films où la vedette intégrée à un casting non pro se détache nettement, ici Adèle Haenel sous-joue juste assez pour se fondre dans le tissu du film, mais absorbe totalement son personnage, pour en faire rejaillir la simple humanité, le dévouement à la fois profond et distant. Elle ne fait pas de Jenny une héroïne, mais juste quelqu'un de bien, et c'est bien plus fort.

Comme à leur habitude, les Dardenne signent là un film puissant, parce que la banalité de sa tragédie y est dévoilée simplement, et sans fard. Mais il y a également un beau message humaniste, qui donne de l'espoir. Car cette Fille Inconnue, c'est une histoire de culpabilité portée par toute une communauté qui se transmet comme un virus. Mais c'est surtout une histoire de rédemption. Jenny effectue son expiation par la recherche d'identité de la jeune victime (recherche qui peut être parfois dangereuse, mais dans laquelle elle ne cède jamais à la peur des menaces, ni à la violence). Par là-même, et par son rôle de simple observatrice, elle va libérer la parole des autres et leur donner aussi la possibilité de s'accorder le pardon (on n'est même pas loin d'une figure christique).

LA FILLE INCONNUE Photo 6 © Christine Plenus


Le dvd

Sorti le 21 février et édité par Diaphana, le DVD propose une belle qualité d'image et surtout de son (avec la possibilité d'accéder au 5.1. Il propose aussi une version en audiodescription.
Peu de bonus: la bande -annonce et un entretien assez intéressante, même si plutôt court, avec les Dardenne.

Sur leur site,  vous trouverez également tous les films recommandés sur Cinétrafic et un classement des meilleurs films de 2017 mis à jour régulièrement par ici.