jeudi 27 février 2014

Ode à la nuit


Night on Earth, Mystery Train: Jim Jarmush aime la nuit, et il nous a déjà montré combien il savait la filmer. Donc qu'il se lance dans un film de vampires avec Only lovers Left Alive, il fallait s'y attendre. Revisiter le film de genre à sa manière, c'est un peu son truc: le Western avec Dead Man, le film de sabre/gangster avec Ghost Dog. Donc là il s'attaque à un répulseur à cinéphiles depuis quelques années, le vampire, parce que c'est vrai qu'entre les Twilight et les Van Helsing, on n'a pas été très gâtés. On en serait presque revenus à notre bonne vieille Buffy.

Donc un film de vampires de Jarmush, ça ressemble à quoi, alors? Ben, à un film de Jarmush! La musique, le rythme, l'image, la littérature, l'humour à froid, les voyages, on peut pas se tromper, c'est lui.

Only Lovers Left Alive nous permet de suivre les déambulations d'un vieux couple vampirique, Adam et Eve (je crois que le symbolisme pouet pouet ici, c'est plutôt une boutade). Adam (Tom Hiddleston) est un misanthrope lassé de vivre, un romantique incorrigible, et donc musicien, sur lequel Byron aurait eu un peu trop d'influence. Eve (l'exquise Tilda Swinton) est au contraire une femme joyeuse, qui s'émerveille de tout, et qui dévore les incunables comme personne. L'un vit à Détroit, ancienne capitale de l'automobile américaine et de la Motown en pleine désertification, l'autre à Tanger, aux ruelles étroites et peuplées. Les personnages sont plantés: le Yin et le Yang, le désenchantement et l'espoir, le blanc et le noir (littéralement: Adam est un corbac, Eve est atteinte d'albinisme).Un couple inséparable, que les siècles passés ensemble ne semblent pas avoir usés.

Et, abritant ce couple séculaire, il y a la Nuit. Pas la nuit américaine, éclairée par des spots criards, aux couleurs tapageuses. Non. La Nuit, la douce, la mystérieuse, la profonde, la vraie Nuit. Celle où chantent les grillons, où les animaux sauvages filent devant les phares des voitures, où s'épanouissent les champignons vénéneux et les jeunes amants. Elle est là dans toute sa splendeur, à l'entrée même du film qui nous dévoile un ciel étoilé tournoyant (pour les estomacs les plus sensibles, je déconseille les trois premiers rangs, rapport au tournoiement...) au rythme d'un vinyl.

La musique donc, c'est pas une surprise, Jarmush aime ça. Il y a celle que fait Adam, qui est par ailleurs un fétichiste comme en connaît tous au moins un, collectionnant les disques pressage original et surtout les instruments de musique. Il y a des concerts (notamment Yasmina Hamdan à Tanger, qui est assez impressionnant). Et il y a aussi une des scènes de danse en couple les plus belles que j'ai jamais vue, à ranger à côté de celle de She's so lovely avec Robin Wright et Sean Penn.



Et puis il y a ce rythme, ce truc qu'on ne trouve chez personne d'autre que Jarmush, souvent mal imité (par Sofia Coppola, par exemple), jamais égalé. Ce doux balancement, cette hypnose, ce bercement qui rappelle l'ivresse des fins de soirées, les oreilles bourdonnant de la musique écoutée et à présent radoucies par les bruits de l'aube, les caresses aveugles, la tête lourde prête à s'abandonner au plaisir du sommeil. Et c'est, comme à chaque fois, par là qu'on se laisse porter, en suivant le quotidien nocturne de ces deux amants, témoins immuables d'un monde qui évolue en cercles. Il observent, ils se promènent et ensemble, ne semblent jamais s'ennuyer, d'un stoicisme antédiluvien et d'une vigueur adolescente. Et rien n'est plus plaisant que de les suivre jusqu'à l'aube.


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