dimanche 29 novembre 2015

Une nouvelle Amy




Si vous me lisez régulièrement, vous devez savoir qu'il y a une chose que j'adore, mais que je trouve bien mal accueillie en France, c'est la grosse comédie américaine. Donnez-moi du Ben Stiller, du Farelly, du Jack Black, du Will Ferrel, du Kristen Wiig, une pizza et de la bière, et je passe une soirée de rêve. Parce que oui, je l'avoue sans détour, le pipi-caca-prout bien dosé, les gros gags parodiques et les gens qui se vautrent par terre en beauté, ça fonctionne très très bien avec moi. Je sais que je devrais être une femme distinguée échangeant des sourires entendus devant un bon mot philosophique de Woody Allen et une truculente idée de Wes Anderson, en tordant une moustache imaginaire et en faisant "meuheuheu" (c'est peut-être pas très parlant comme ça, mais Tom fait ça très bien). Mais non, moi j'aime bien exploser de rire devant des gags aussi délicats qu'un vomi inopiné ou une bataille d'essence entre supermodèles. Pour ceux qui ont compris la dernière référence, arrêtez de rougir, et avouez vous aussi, que le film que vous attendez le plus en ce moment et depuis 6 mois, c'est 2oolander (sérieusement, jetez-vous sur la bande-annonce, c'est un régal!).

Bref, vous voulez me faire plaisir, une bonne comédie US sans autre prétention que celle de me faire rire, c'est parfait (clin d'œil: c'est bientôt Noël, je dis ça, je dis rien). Ça a l'air simple, comme ça, mais c'est loin de l'être: trouver une salle qui diffuse ce genre de film en VO à Lyon tient souvent du challenge (j'ose à peine imaginer ce que cela peut être dans des villes qui ont moins d'écrans à leur portée). Parce que le doublage, c'est la mort de ces films-là, il faut le dire. Si vous en doutez, essayer de revoir School of Rock en français (ou plutôt Rock Academy), vous m'en voudrez à mort jusqu'à la fin de votre vie. Quand on voit le succès de certains de ces films en DVD, je pense que certains distributeurs feraient bien de penser à nous, public exigeant qui aime les sons d'origines et les grosses blagues.

Donc autant vous dire que quand j'ai vu qu'il m'était possible de voir en VO et en salle Crazy Amy (titre français de Trainwreck), le dernier film de Judd Apatow avec Amy Schumer, j'ai regardé mon cher et tendre avec les yeux du Chat Potté, et on y est allés pratiquement sur le champ. D'abord, parce qu'en ce moment, j'avais vraiment, vraiment très envie de m'amuser au cinéma. Et puis parce que Judd Appatow, même si je lui préfère les frères Farelly (question de génération, sans doute), est un peu un des Kings du genre actuellement (réalisateur de 40 ans, toujours puceau, En cloque ou Funny People et producteur de Supergrave, Mes meilleures amies ou Walk Hard). Mais surtout, surtout, il y a Amy Schumer, une comédienne incroyablement, drôle, trash et féroce. Avec l'émission Inside Amy Schumer, elle m'avait déjà fait bien marrer avec des sketchs archi gondolants. Pêle-mêle, je vous conseille sur Youtube The Last F***able day, une critique du machisme hollywoodien bien sentie avec Tina Fey, Julia Lewis Dreyfus et Patricia Arquette, le pétaradant Horror Movie qui m'a fait pleurer de rire, ou l'impitoyable Générations sur le racisme ordinaire. Cette fille ose tout, elle n'hésite pas à se mettre en danger ou à se montrer parfois comme une personne détestable, elle est cruelle, souvent méchante, toujours maladroite, et sacrément culottée. Et sous ses gros sabots comiques, il y a un fond très caustique. Après avoir découvert un de ses sketches il y a quelques mois, j'ai passé pratiquement une nuit entière à m'enfiler tous les autres, et à pouffer comme une gamine de 14 ans. Alors quand j'ai vu sa trombine sur une affiche de cinéma, j'étais aussi impatiente que cette gamine de 14 ans à l'annonce d'un nouveau clip de One-D.



Amy, le personnage de la série, est donc un personnage assez proche de Amy, le personnage de l'émission créé par Amy, la comédienne. Amy, donc, est journaliste pour magazine masculin, genre Cosmo pour mâles, et vit à New York. Sa vie nocturne et sexuelle est très animée, et ça lui va parfaitement bien. Son père, aujourd'hui atteint de sclérose en plaques et en maison de retraite, lui l'a bien appris avant de quitter sa mère: "La monogamie, c'est pas réaliste". Si sa frangine n'a rien compris de la leçon, puisqu'elle est mariée et vit en banlieue avec sa famille, Amy, elle l'a bien intégrée et enchaîne les one night stands. Jusqu'au jour où, pour un article, elle va devoir suivre le chirurgien favori grands sportifs, Aaron, romantique et fan d'"Uptown Girl".

Alors oui, c'est vrai, le scénario de Crazy Amy ne révolutionne rien dans le petit monde de la comédie romantique gentillement trashy. C'est bel et bien le schéma habituel des contraires qui s'attirent, du bonheur, de l'échec puis de la reconquête. Et oui, on connait ça par cœur. Mais en ce qui me concerne, c'est pas grave, parce que ce schéma là, il marche à tous les coups, surtout si on nous amène à aimer les personnages, et c'est la recette des meilleures comédies romantiques. Vous ne me croyez pas: revoyez 4 mariages et un enterrement, Un jour sans fin, Quand Harry rencontre Sally: même schéma et je serai bien la dernière à m'en plaindre.




Donc, sans être la comédie de l'année (parce que Shaun the Sheep), mais n'empêche, je me suis quand même franchement marré. Les dialogues fonctionnent bien, la comédie de situation est bien menée, ça va très loin, presque trop loin, c'est même parfois à la limite de l'acceptable, mais ça marche. Franchement, l'alliance Schumer/Apatow, même si on sent parfois qui a apporté quoi, est plutôt harmonieuse.

Oui, étrangement, on peut dire que cette Crazy Amy est finalement pas mal équilibrée. Parce qu'une fois qu'on a allé assez loin dans le trashy, on parvient à nous emmener vers l'émotion, de manière finalement assez subtile (même si on sent que tout ça fait partie du plan du scénario qui n'a rien de bien innovant). Et là, j'ai pu apprécier le talent d'Amy Schumer. Parce que ce n'est pas que le clown de la classe qui raconte des blagues salaces pour faire rire les copines. Elle démontre ici qu'elle peut apporter un fond à ce personnage à une dimension qu'elle avait créé dans ses sketchs. Et elle devient ici émouvante, charmante, tout simplement adorable. Le personnage de comédie romantique auquel toute femme de plus de trente ans a envie de s'identifier. D'autant que face à elle, Bill Hader qui joue Aaron est tout simplement craquant. On  lui pardonnerait presque ses goûts musicaux discutables.



La seule chose que je regrette un peu, et qui me manque si je compare aux sketchs d'Amy Schumer, c'est le regard très caustiques sur la société, sa façon de dénoncer sans politiquement correct qui font que j'admire cette actrice. Par exemple, son sketch sur le procès de Bill Cosby, en plus d'être très drôle, était extrêmement culotté et osait mettre en avant l'hypocrisie de la société face au viol. Dans Crazy Amy, on reste quand même assez loin des gros sujets de société et même s'ils sont évoqués en fond (le racisme, notamment), on ne retrouve pas le ton acerbe qu'elle pouvait avoir en petit format.

Je n'ai cependant pas boudé mon plaisir et passé un très bon moment devant ce film, et j'ai passé allègrement la barre du rire tonitruant (tu sais, celui qui sort malgré toi, qui te fais un peu honte parce que tu sens que des gens te regardent, et que tu essaies de cacher, mais qui finit par te sortir par le nez). Et mon coeur de midinette qui aime les comédies romantiques rondement menées a aussi un peu fondu. C'est pourquoi en ces périodes grisâtres, je le conseille vivement. C'est un film chocolat au lait et aux noisettes: tu sais que c'est pas du 90% cacao, que c'est pas la méga-classe, c'est peut être même pas le meilleur chocolat au lait et aux noisettes du magasin (février 2016, 2oolander), mais bon sang, après une journée de daube, c'est un bonheur sans nom de croquer dedans à pleines dents.



PS: Je m'engage personnellement à faire une bise à l'exploitant indépendant qui me permettra de voir 2oolander en VOST pour moins de 9€ à Lyon ou même à St Etienne.








mardi 24 novembre 2015

Boxcar Bertha: Premiers wagons d'une belle locomotive du cinéma



Une nouvelle fois, le thème du ciné club de Potzina était très alléchant ce mois. Je dis le thème, mais je devrais dire les thèmes: "le film historique" et "Martin Scorcese". Deux thèmes passionnants, que j'ai décidé de marier pour ce post, avec le film Boxcar Bertha, réalisé donc par Martin Scorcese et que l'on peut considérer comme un film historique, puisque c'est adapté de la biographie de Bertha Thompson, criminelle durant la Grande Dépression.

Disons-le tout de go, si Boxcar Bertha n'est pas le plus connu des films de Scorcese, c'est probablement parce ce n'est pas son meilleur. Ici, pas de trésor inestimable caché, que l'on retrouve en criant "O génie!". Mais bon, cela reste un des tout premiers films du réalisateur-culte (avant même Mean Streets), et comme on va le voir très vite, les premiers symptômes du talent sont bel et bien là. Et ça prouve bien une chose: on ne nait pas excellent réalisateur, on le devient.

Boxcar Bertha est donc l'histoire de la toute jeune Bertha Thompson (Barbara Hershey), fille d'un aviateur surtout payé (quand il l'est) pour répandre des pesticides dans les champs de grands propriétaires du Sud des Etats-Unis. Lorsque ce père idéal meurt dans un accident, Bertha prend ses cliques, ses claques, le blouson d'aviateur du daron et le premier train pour ailleurs. Mais c'est la Grande Dépression, alors le train est un wagon de marchandise à bord duquel elle grimpe clandestinement. Au cours de son voyage, elle croise le beau syndicaliste, Big Bill Shelly (David Carradine) sous le charme duquel elle tombe. Poursuivant son périple, elle va également s'acoquiner avec un arnaqueur yankee, Barry Primus. Quand le triangle amoureux va se retrouver entre 2 wagons, ce sera pour former un petit gang de malfaiteurs spécialisé dans les attaques de train.

Comme je le disais, tout n'est pas formidable dans ce premier petit film d'un grand. Le traitement de l'histoire est très inégal, cela traîne parfois en longueur et  on ne comprend pas toujours tout ce qui se passe. C'est un peu bordélique, et ce n'est pas le montage très souvent foireux qui aide. Scorcese n'avait pas encore rencontré son alter-ego des ciseaux et de la pellicule, Thelma Schoonmaker, et c'est un certain Buzz Feitshans qui monte le film. Ce dernier comprendra vite son erreur d'orientation, puisqu'il quittera le métier de monteur pour celui de producteur qui lui apportera plus de succès puisqu'il est crédité en tant que tel sur Rambo, Conan le Barbare ou Total Recall. Mais on imagine que son travail n'a pas non plus été facilité par le tout petit budget du film, on sent bien que les plans de coupes ne sont pas légions, et qu'il faut utiliser au maximum le peu de pellicule imprimée.

Parce que oui, Boxcar Bertha est un film fauché: il est produit par Roger Corman (grand maître de la  série B) et est distribué comme un film d'exploitation en double-bill. Ce qui veut donc dire qu'on va voir des gens tout nus (mais bon, faut dire que pour une fois, Barbara Hershey ne sera pas la seule à apparaître en tenue d'Eve, les filles qui se sont toujours demandé à quoi ressemblait le ténébreux héros de Kung-fu sans son kimono seront servies), et des seaux de peinture rouge sang. J'entends que ça peut paraître un peu cheap pour le futur réalisateur du Loup de Wall Street, mais si l'on se replace dans le contexte socio-culturel de l'époque, c'est plutôt prometteur. Le cinéma d'exploitation a permis à de nombreux réalisateurs de faire leurs armes dans les années 70.



Et puis, dans ce film, il y a déjà un tas de bonnes choses. Malheureusement, vu le montage, on ne peut que parler de tas, tant tout est en désordre. Notez d'ailleurs que c'est un très bon film pour comprendre la valeur du montage: quand il passe inaperçu, et qu'on comprend tout, c'est que c'est un bon montage; quand, en plus, l'enchaînement des images crée un supplément d'âme et de sens, c'est qu'on est devant un très bon monteur, et c'est ce qui arrivera dès que Miss Schoonmaker rejoindra l'équipe de Tonton Martin, parce qu'à mon avis, il lui doit une partie non négligeable de son succès.

Bref, commençons par le cast: Barbara Hershey arrive à insuffler toute la jeunesse à son personnage, son innocence et sa joie de vivre. Cette joyeuseté même de l'adolescence en devient même effrayante, notamment lors des scènes de braquage, activité qu'elle traite comme un jeu insouciant, s'amusant comme une petite folle à jouer de la gâchette. David Carradine est aussi très convaincant en syndicaliste poussé au crime, qui essaie malgré tout de conserver son intégrité. Il est le seul personnage derrière lequel on ressent une véritable profondeur dramatique, un vrai conflit.



Le scénario, s'il est mal rythmé, reste aussi intéressant: il traite d'une période très difficile de l'histoire des Etats-Unis, et y intègre des éléments qu'on oubliait souvent à l'époque, et pour cause, très mal vus à Hollywood: le syndicalisme et la ségrégation. Parce que nous sommes bien dans le Sud, et que le personnage de Von Morton, membre afro-américain du petit gang, interprété par Bernie Casey( qu'on retrouvera dans Jamais plus jamais), est un joli personnage, et fourni une des plus jolies scènes du film, dans un club de blues. La plongée dans l'époque est très réussie, malgré le petit budget, on y sent le poids de la corruption et la nécessité de s'en sortir par tous les moyens.

Et puis, il y a surtout les débuts très prometteurs d'un réalisateur qui commence dès lors à montrer une belle patte. On y retrouve certaines obsessions toujours présentes chez lui: le crime, la camaraderie, la rédemption, l'image de la crucifixion, etc... Et on y voit déjà un talent certain pour la réalisation. J'en veux pour preuve quelques très belles scènes. Une jolie scène d'amour entre Bertha et Bill, vu par l'encadrement d'une porte dans une usine désaffectée: un cadre dans le cadre, comme pour protéger les deux amants, et, par la fenêtre, la nature automnale. La scène dans le club de blues où Bertha, comme enchantée par la voix et l'harmonica de Von Morton, entre, traverse une salle aux regards désapprobateurs sans même les remarquer, trop à la joie de retrouver son ami. Et bien évidemment, la scène finale, une scène qui lie à jamais les personnages aux wagons de marchandise si souvent empruntés, une fin tragique d'une violence extrême s'opposant à la beauté de la nature et à une somptueuse lumière naturelle. Et rien que pour ces trois scènes, peu importe le montage foutraque et la production fauchée, on est heureux d'avoir vu ce film.



PS: Je voulais juste noter que j'ai eu l'idée de choisir ce film en allant voir à la Cinémathèque française la très belle exposition consacrée à Martin Scorcese (allez-y!), qui a eu la bonne idée de diffuser la très belle scène finale de Boxcar Bertha. Je me suis alors souvenu que j'avais ce film dans ma DVDthèque et que je ne l'avais pas revu depuis un bail. Ca faisait très longtemps que je n'étais pas montée à Paris et ça m'a fait très plaisir de voir cette magnifique expo. C'était le vendredi 13 novembre et j'en garde un précieux souvenir.



Je ne le fais pas d'habitude, mais pour cette fois, je vous embrasse fort (et surtout toi, l'autre Sabrina ;-) ).










mardi 10 novembre 2015

Notre petite soeur: Les 4 filles du Dr "Baka"



Hier, je vous parlais d'un film qui aurait pu être un très joli film, mais qui, à cause d'une mise-en-scène tape-à-l'oeil escamotant l'émotion, ne finissait par être qu'un film intéressant. Et bien le Blog Baz'art (j'ai décidément été très gâtée) m'a permis de trouver le contre exemple en m'offrant la possibilité de voir le dernier film de Hirokasu Koreeda, Notre petite sœur. Ce très beau film montre, pour moi, exactement comment une réalisation en apparence très classique peut mettre en valeur un récit, aussi simple soit-il, et en faire partager toute l'émotion.

Donc voilà, après le très joli Tel Père, tel Fils l'an dernier, Koreeda poursuit sa réflexion sur la famille, en se focalisant ici sur une sororité. Depuis le départ de leur mère 14 ans auparavant, délaissée par leur père pour une autre femme, 3 sœurs partagent la vieille maison de leur grand-mère. Sochi, l'ainée, infirmière, s'occupe comme d'une mère de Yoshino, la cadette délurée et de Chika, la benjamine originale. A la mort de leur père, qui avait refait sa vie à plusieurs reprises, elles rencontrent la jeune Suzu, leur demi-soeur, qui se retrouve forcée de vivre avec sa belle-mère. Voulant l'aider à échapper à cette marâtre assez peu mature, Sochi lui propose de venir partager leur foyer. Suzu va donc apprendre à vivre dans cette nouvelle famille.

Ici, Koreeda va continuer à poser les questions qui touchent, des questions finalement universelles: sur l'importance ou non des liens du sang dans la création d'une famille, sur la transmission, qu'elle soit volontaire ou non, sur l'héritage, sur le deuil, sur l'individu et le groupe. Des questions assez profondes, mais posées en toute simplicité, par un scénario qui ne cherche pas le conflit dramatique furieux, mais interroge tout en douceur ses personnages, leurs blessures et leur lente reconstruction.
On y voit des personnages de jeunes filles forcées par des parents trop immatures à se priver d'une enfance insouciante, qui tentent de créer entre elles le foyer qui leur a été enlevé. On y voit comment, malgré tout ce qu'on fait pour essayer de s'en détacher, on parvient rarement à échapper à la reproduction familiale (l'une vit une passion avec un homme marié, comme sa belle-mère, une autre prête de l'argent sans compter comme son père, la plus jeune est le portrait craché de la plus âgée). On voit comment la famille, c'est aussi celle qu'on se construit (dans un café, où la gentille patronne accepte de devenir une véritable mère de substitution). La famille, comme partout, est ici autant un moteur qu'un frein: il faut pourtant y trouver sa place pour avancer.



Les conflits des personnages sont profonds et douloureux, et pourtant le film est d'une infinie douceur. Ca a été pour moi un véritable plaisir de suivre ces quatre filles tout au long du film, qui court sur un peu plus d'un an. D'abord, parce qu'on s'attache très vite à ces personnages: en quelques mots, en quelques gestes, les actrices, toutes formidables, les font exister dans toute leur complexité. Haruka Ayase, en particulier, qui joue Sachi, est incroyable: derrière sa stature sévère et ses allures de sainte, elle sait faire apercevoir, par un mouvement de bouche, par un regard, la colère rentrée, la frustration, le remord, parfois. Elle est terriblement touchante, tout comme la jeune Suzu Hirose. Les seconds rôles, quant à eux, même s'ils n'existent que sur quelques scènes, apportent tous une émotion supplémentaire à ce joli film. Mention spéciale à Riri Furanki (le père garagiste de Tel père, tel fils) qui, en quelques secondes de présence à l'écran, parvient tout de même à imposer un rôle très attendrissant.



Et là où Koreeda réussit son film, c'est qu'il utilise une mise en scène qui laisse tout loisir aux personnages et au récit de s'installer, de s'épanouir au fil des saisons (magnifiquement filmées) et par petites touches successives, de retirer une à une les couches qui nous séparent d'eux, finissant par nous émouvoir de manière juste et délicate (ce qui pour moi, se traduit par pleurer comme un veau lors du dernier quart d'heure). La caméra adopte la bonne distance face au personnages, elle se fait souvent discrète, mais nous fait cependant plonger dans l'intime, que ce soit dans les intérieurs (cette vieille maison toujours ouverte sur l'extérieur) ou dans cette magnifique petite ville côtière qui constitue le décor du film. Elle sait à la fois embrasser le groupe, le rapprocher dans le cocon de son cadre, et s'approcher tout près de l'individu, comme dans un gros plan sublime sur le visage de Suzu Hirose lors d'une promenade à vélo. Le film adopte un rythme assez lent qui, si l'on veut bien s'y adonner, nous emporte tranquillement sur le fil de la vie de cette petite famille à laquelle on a l'impression d'être peu à peu intégré, comme Suzu. Je ne saurai vraiment comment l'expliquer autrement, mais c'est un film dans lequel je me suis sentie véritablement accueillie, accompagnée. Je m'y suis totalement abandonnée, au point d'avoir l'impression parfois de partager avec elles leurs repas (petite parenthèse pour dire que c'est aussi un film qui donne très faim). Si j'aime parfois être bousculée, j'aime aussi que l'on soit doux avec moi, qu'on ait confiance en moi et que l'on me propose de partager une expérience.



C'est exactement ce que j'ai ressenti avec ce film généreux: je me suis sentie emportée par ce film, pas parce que j'y étais obligée par des artifices grossiers (j'ai du mal avec la prise en otage émotionnelle de certains films qui ont besoin de pleurs, de cris et de sang à profusion pour m'arracher une larme), mais parce que, avec une douceur et délicatesse, avec une bienveillance salutaire, on m'a amenée à aimer ces personnages et à partager leurs émois. Contrairement à d'autres films qui électrisent sur le coup, mais qu'on oublie 2 h après, je porte encore Notre petite sœur en moi. Je pense qu'on s'est adoptés, et qu'on va encore vivre ensemble quelques temps.










lundi 9 novembre 2015

Séance de rattrapage: mélancolique Manglehorn



Grâce au très chouette blog de mon voisin lyonnais Baz'art, toujours aussi généreux que curieux de tout, j'ai été tirée au sort pour recevoir le DVD du film Manglehorn, de David Gordon Green, avec sa Majesté Al Pacino dans le rôle principal. Je me suis donc empressée de le regarder.

David Gordon Green est un réalisateur à la filmographie assez atypique: elle oscille entre grosse comédie pouet pouet pour laquelle je dois avouer mon affection réelle (Pineapple express, Baby-sitter malgré lui) et film indé plus naturaliste et résolument sundancien (King of Texas, Georges Washington). Manglehorn fait définitivement partie de la seconde catégorie.

Il nous raconte ici l'histoire de Manglehorn, un serrurier aussi verrouillé que les portes qu'il doit ouvrir pour ses clients, qui ressasse sans cesse un ancien amour perdu, à qui il écrit invariablement de très nombreuses lettres sans retour. Il vit seul avec son chat, qui de surcroit n'est pas en grande forme. Ses relations avec son fils, qui s'est lancé dans les affaires, ne sont pas au beau fixe. Son appartement est en désordre, il boit un peu trop et joue aux machines à sous quand sa solitude est trop grande. Pourtant, il voit sa petite fille toutes les semaines. Pourtant, tous les vendredis, il va à la banque et discute avec la jolie Dawn (interprétée par la trop rare Holly Hunter). Pourtant, il se raconte en ville des histoires extraordinaires sur son compte: il serait un être exceptionnel aux pouvoirs quasi surnaturels.



Pour dire la vérité, je pense que Manglehorn aurait pu être un très joli film. Al Pacino est, comme à son habitude, formidable. Il est extrêmement juste et émouvant dans ce rôle de rustre tout de colère rentrée, renfrogné par le chagrin et la solitude. Dès que la caméra s'accroche à lui, à son visage, à sa démarche, à sa voix, le personnage s'offre à nous dans toute sa complexité, dans toute son émotion et je n'ai pu m'empêcher d'être touchée. Holly Hunter est aussi très subtile et à eux deux, ils nous offrent une très belle scène dans une cafeteria, pour moi la plus belle scène du film, à la fois tendre, et drôle et d'une infinie tristesse. C'est toujours un plaisir de voir ces deux acteurs, et ils délivrent là tous les deux une magnifique performance, délicate et humaine, qui avec peu de choses, nous font ressentir toute leur solitude et leur envie d'en réchapper.



Le scénario n'est pas en reste non plus. S'il est vrai qu'il y a, pour moi, un goût un peu trop prononcé pour le symbolisme (le serrurier coincé, la clé cachée, l'essaim d'abeilles sous la boîte aux lettres, les mimes...), Manglehorn reste une jolie histoire qui trouve de la magie dans le quotidien, et qui s'appuie sur de beaux personnages. On est devant une chronique de la solitude tendre et parfois cruelle qui fonctionne assez bien sur le papier: les dialogues, s'ils sont parfois trop écrits, sont tout de même assez drôles et bien sentis. Pour moi, le problème n'est en tous cas pas dans l'écriture.

Non, ce qui gâche pas mal le plaisir de spectateur, c'est la mise en scène. A mes yeux, David Gordon Green réalise là un produit marketé Sundance, avec tous les tics de cinéma indépendant pseudo-arty, au symbolisme à gros sabots et au goût "film de fin d'études d'école de cinéma". Une caméra portée à l'épaule pour faire cinéma-vérité, de longs fondus au noir ou fondus enchaînés à tire larigot, de la musique planante incessante. A trop vouloir en faire, David Gordon Green gâche totalement le potentiel formidable de son film. L'émotion est escamotée par les ronds de jambes de la réalisation, qui devient une véritable caricature de film indépendant. Ca en devient prétentieux, et c'est bien dommage, parce que quand la mise en scène se fait plus discrète, et qu'elle suit son personnage avec authenticité, le résultat peut être très beau, d'autant que la lumière du film, dans les tons de gris-jaunâtres, est assez délicate.

Pour finir, je pense que si l'on parvient à passer au-delà de cette réalisation lassante et outrancière, Manglehorn reste un film qu'il est intéressant de voir: parce que Al Pacino et Holly Hunter, parce qu'une jolie histoire et parce que, malgré le montage insupportable et certains tics de mise en scène, on a parfois droit à des moments empreints d'une douce mélancolie, d'une drôlerie tendre et amère et que quand l'émotion transparaît ainsi, on imagine le beau film qu'il aurait pu être.








lundi 2 novembre 2015

Crimson peak: Dolor is clay born



Voilà, comprenne qui pourra, ça c'est pour le jeu de mots pourri post-halloween, on ne vous dira jamais assez que la consommation excessive de rouleaux de réglisse et de crocodiles en gélatine est dangereuse pour la santé mentale...

Ce week-end, j'ai donc vu Crimson Peak, de Guillermo Del Toro. En même temps, je pouvais pas y couper: un film d'horreur en plein halloween, des acteurs qu'on a envie de voir dans pratiquement tout ce qu'il font, et le réalisateur du Labyrinthe de Pan et de l'Echine du diable. La bande-annonce, annonçant très clairement un parti pris esthétique fort, et une inspiration directe de la Hammer a fini de me convaincre: c'était pour moi un passage obligé. J'ai essayé de ne pas trop en attendre afin de ne pas être déçue, et puis bon, j'ai attendu une bonne semaine avant de le voir et j'avoue que j'étais très impatiente de voir ce que ça pouvait donner.



Petit rappel de l'histoire: Edith Cushing,(mais oui, comme un certain Peter), fille d'un puissant industriel américain, croit très fort aux fantômes. Difficile pour elle de faire autrement: sa maman, morte du choléra, est venue perturber ses nuits, lui intimant de manière très convaincante de se méfier de l'énigmatique "Crimson Peak". Devenue adulte, elle aspire à une vie d'auteur de roman gothique (son modèle est Mary Shelley) jusqu'à sa rencontre avec le beau et ténébreux baronnet anglais, Thomas Sharpe, qui, bien que fauché et flanqué d'une frangine austère et fortiche au piano, danse parfaitement la valse, sait apprécier les talents littéraires d'Edith et est tout de même vachement plus romantique que l'ophtalmo qui la courtise habituellement. Papa Cushing n'aime pas trop ce freluquet british trop beau pour être vrai et va essayer de l'éloigner de sa fille. Mais il tombe malencontreusement sur un coin de lavabo et meurt subitement: il ne reste donc plus aucun obstacle à l'union d'Edith et de Thomas, et à leur déménagement dans sa splendide bicoque, construite sur une carrière d'argile rouge. Alors oui, il y a de l('espace, et l'eau courante, mais le toit est légèrement défoncé (pas pratique pour le ménage, surtout qu'il n'y a pas de domestique) et l'accueil de la belle-soeur n'est pas des plus chaleureux. Celui des nombreux fantômes habitant la maison ne le sera pas plus...

Disons-le tout de suite, le scénario de ce film n'est pas des plus surprenants. C'est pour moi le seul défaut de ce film, encore que cela ne m'a pas dérangée. C'est une histoire très classique, dont on connaît un peu déjà les ficelles, mais le film étant un hommage aux bons vieux films d'horreur, ce classicisme n'est finalement pas mal venu, on s'y sent à l'aise comme dans un bon vieux cercueil tapissé de velours rouge, on y prend même un véritable plaisir à guetter les scènes mythiques du genre, et on n'est pas déçu.

Pour moi, ce film n'a pas la force incroyable du Labyrinthe de Pan, mais il n'est pas du tout sur le même registre, et ce n'est donc pas dommageable. Nous sommes ici face à une véritable pièce d'orfèvrerie, un ouvrage délicat, ciselé avec méticulosité, doré à l'or fin, une petite merveille pour les yeux, un délice de cinéphile. Tout, absolument tout est d'une beauté à couper le souffle.



A commencer par la photographie de Dan Lautsen qui est absolument splendide. Il manie les verts et les orangés, les explosions de rouge, à la manière d'Argento dans Ténèbres et Suspiria. Il parvient à créer une atmosphère à la fois intime, confinée, et sauvage, à la manière de cette maison recluse et pourtant ouverte à tous les vents. Le cadre est d'une maîtrise incroyable, j'aime en particulier la scène de valse, où la caméra sait à la fois nous faire sentir l'ivresse des mouvements des danseurs, mais aussi l'observation statique et inquiète des personnages autour, nous faisant sentir toute la tension de cet amour naissant, l'ogre derrière le conte de fées. Chaque plan dit quelque chose, sans jamais être lourdingue. On prend plaisir à tous les détails de chacun d'eux, et on s'en délecte comme de la beauté d'un papillon si vite disparu. Et puis bon, moi, les fondus au noir avec caches, qui rappellent l'expressionnisme et le cinéma muet, je suis toujours bien cliente...

Ce qu'il y a dans l'image est également assez somptueux. Les décors sont à tomber. si comme moi vous aimez les bons vieux films d'horreur, les Frankenstein, la Hammer et tout le cinéma gothique, vous allez adorer la maison des Sharpe: son portail brinquebalant, son hall couvert de feuille mortes, ses tours menaçantes, ses vitres embuées, sa longue salle de bain cuivrée, sa froide cuisine, sa nursery démoniaque, ses cuves d'argile rouges au sous-sol, son ascenseur dissonant, son atelier aux rouages innombrables, son escalier central vertigineux et son piano magistral, qui semble être le seul élément propre à défier les effets ravageurs du temps.

Et les costumes! Rha les costumes, je sais que ça fait midinette, mais je m'en moque. Mes démons couturesques et tricotesques étaient en pleines bachanales... La robe jaune, la lourde robe de chambre olivâtre, la chemise de nuit, la ravissante sortie de bain avec de la dentelle (un jour, elle sera mienne, oh oui, un jour, elle sera mienne...) Je comprends les envies meurtrières de Lucille Sharpe: qui ne tuerai pas sa belle-soeur pour une telle garde-robe?



Quant aux créatures fantomatiques, elle sont à la fois très belles et très flippantes. Les fantômes sont de bons vieux squelettes et cadavres en décomposition, aux mouvements étranges à vous faire courir des frissons dans le dos. Et cette idée de les recouvrir de cette argile rouge, cette boue sanglante, qui leur donne un côté humide et croupissant, digne des créatures lovecraftiennes les plus repoussantes, est une trouvaille visuelle et presque sensorielle assez formidable.

Le trio d'acteurs, à la base, est déjà assez réjouissant, puisqu'ils font partie des acteurs parmi les plus talentueux actuellement et à la filmographie la plus impressionnante.  Ils s'en donnent tous à cœur joie. Mia Wasichowska est absolument parfaite en jeune oie blanche sacrifiée. Elle compose un personnage assez naïf et hautain pour qu'on prenne un malin plaisir à la voir souffrir, mais assez sympathique pour qu'on ait tout de même envie de la voir s'en sortir. Tom Hiddleston joue comme jamais de son physique de séducteur ténébreux et manipulateur, mais parvient à y ajouter la touche d'émotion et bizarrement, de bêtise un peu comique pour en faire un personnage intéressant. Quant à Jessica Chastain, qui a troqué sa belle chevelure rousse pour un chignon noir de jais, elle est une parfaite héritière de Barbara Steele: la glace et le feu, l'austérité et la passion, tout est déjà dit dès sa première apparition au piano (et il me semble en plus que l'actrice n'y est pas doublée): une posture sèche et rigide, qui délivre une performance puissante, furieuse. On sent qu'elle s'amuse comme une folle dans ce rôle et elle m'a complètement embarquée.



A mon avis, ce film est une magnifique déclaration d'amour au cinéma horrifique, très référencé, assez respectueux, mais avec assez de distance pour ne pas se prendre complètement au sérieux. En cela, pour moi, Del Toro réussit où je trouve que Tim Burton échoue depuis longtemps, et, même si j'espère qu'il nous reviendra avec un film plus personnel, j'ai passé un très très beau moment de cinéma.