lundi 9 novembre 2015

Séance de rattrapage: mélancolique Manglehorn



Grâce au très chouette blog de mon voisin lyonnais Baz'art, toujours aussi généreux que curieux de tout, j'ai été tirée au sort pour recevoir le DVD du film Manglehorn, de David Gordon Green, avec sa Majesté Al Pacino dans le rôle principal. Je me suis donc empressée de le regarder.

David Gordon Green est un réalisateur à la filmographie assez atypique: elle oscille entre grosse comédie pouet pouet pour laquelle je dois avouer mon affection réelle (Pineapple express, Baby-sitter malgré lui) et film indé plus naturaliste et résolument sundancien (King of Texas, Georges Washington). Manglehorn fait définitivement partie de la seconde catégorie.

Il nous raconte ici l'histoire de Manglehorn, un serrurier aussi verrouillé que les portes qu'il doit ouvrir pour ses clients, qui ressasse sans cesse un ancien amour perdu, à qui il écrit invariablement de très nombreuses lettres sans retour. Il vit seul avec son chat, qui de surcroit n'est pas en grande forme. Ses relations avec son fils, qui s'est lancé dans les affaires, ne sont pas au beau fixe. Son appartement est en désordre, il boit un peu trop et joue aux machines à sous quand sa solitude est trop grande. Pourtant, il voit sa petite fille toutes les semaines. Pourtant, tous les vendredis, il va à la banque et discute avec la jolie Dawn (interprétée par la trop rare Holly Hunter). Pourtant, il se raconte en ville des histoires extraordinaires sur son compte: il serait un être exceptionnel aux pouvoirs quasi surnaturels.



Pour dire la vérité, je pense que Manglehorn aurait pu être un très joli film. Al Pacino est, comme à son habitude, formidable. Il est extrêmement juste et émouvant dans ce rôle de rustre tout de colère rentrée, renfrogné par le chagrin et la solitude. Dès que la caméra s'accroche à lui, à son visage, à sa démarche, à sa voix, le personnage s'offre à nous dans toute sa complexité, dans toute son émotion et je n'ai pu m'empêcher d'être touchée. Holly Hunter est aussi très subtile et à eux deux, ils nous offrent une très belle scène dans une cafeteria, pour moi la plus belle scène du film, à la fois tendre, et drôle et d'une infinie tristesse. C'est toujours un plaisir de voir ces deux acteurs, et ils délivrent là tous les deux une magnifique performance, délicate et humaine, qui avec peu de choses, nous font ressentir toute leur solitude et leur envie d'en réchapper.



Le scénario n'est pas en reste non plus. S'il est vrai qu'il y a, pour moi, un goût un peu trop prononcé pour le symbolisme (le serrurier coincé, la clé cachée, l'essaim d'abeilles sous la boîte aux lettres, les mimes...), Manglehorn reste une jolie histoire qui trouve de la magie dans le quotidien, et qui s'appuie sur de beaux personnages. On est devant une chronique de la solitude tendre et parfois cruelle qui fonctionne assez bien sur le papier: les dialogues, s'ils sont parfois trop écrits, sont tout de même assez drôles et bien sentis. Pour moi, le problème n'est en tous cas pas dans l'écriture.

Non, ce qui gâche pas mal le plaisir de spectateur, c'est la mise en scène. A mes yeux, David Gordon Green réalise là un produit marketé Sundance, avec tous les tics de cinéma indépendant pseudo-arty, au symbolisme à gros sabots et au goût "film de fin d'études d'école de cinéma". Une caméra portée à l'épaule pour faire cinéma-vérité, de longs fondus au noir ou fondus enchaînés à tire larigot, de la musique planante incessante. A trop vouloir en faire, David Gordon Green gâche totalement le potentiel formidable de son film. L'émotion est escamotée par les ronds de jambes de la réalisation, qui devient une véritable caricature de film indépendant. Ca en devient prétentieux, et c'est bien dommage, parce que quand la mise en scène se fait plus discrète, et qu'elle suit son personnage avec authenticité, le résultat peut être très beau, d'autant que la lumière du film, dans les tons de gris-jaunâtres, est assez délicate.

Pour finir, je pense que si l'on parvient à passer au-delà de cette réalisation lassante et outrancière, Manglehorn reste un film qu'il est intéressant de voir: parce que Al Pacino et Holly Hunter, parce qu'une jolie histoire et parce que, malgré le montage insupportable et certains tics de mise en scène, on a parfois droit à des moments empreints d'une douce mélancolie, d'une drôlerie tendre et amère et que quand l'émotion transparaît ainsi, on imagine le beau film qu'il aurait pu être.








8 commentaires:

  1. Dis donc j'en ai jamais entendu parlé. Comme j'aime bien Al Pacino et encore plus Holly Hunter, ça fait envie ! (même malgré quelques défauts ^^)

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    1. C'est vrai qu'il n'a pas été largement distribué. Les acteurs, à mon avis, sont très bons. Dommage que la réalisation ne leur laisse pas plus de place

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  2. J'avais bien envie de le voir mais je l'avais loupé en salles Je suis comme Les Eclats de Claire, malgré les quelques réserves que tu émets, je suis assez tentée.

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    1. Ca reste quand même un film intéressant, mais quand on imagine ce qu'il aurait pu être avec une mise en scène plus subtile, rrrha!

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  3. Hummm, je suis très partagée.Ta description de la mise en scène ne donne pas envie (même si le film reste intéressant) et généralement j'ai du mal justement à faire abstraction de la mise en scène...Mais bon Al Pacino, toussa toussa...

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    1. Je suis comme toi, la mise en scène est pour moi très importante, et j'avoue que je préfère souvent le classicisme qui laisse à l'histoire et aux personnages la place qu'ils méritent qu'une mise en scène m'as-tu-vu si elle sert plus l'ego du réalisateur que le récit, comme ça me semble être le cas ici. Mais heureusement, le couple Pacino/Hunter (pourquoi n'y a-t-on jamais pensé avant?) arrive souvent à faire oublier la réalisation, parce qu'ils sont vraiment incroyables. C'est juste frustrant d'imaginer ce que cela aurait pu donner avec une mise en scène plus à leur écoute.

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  4. Holly Hunter tourne encore? ben ça alors...

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