mercredi 20 janvier 2016

Todd Haynes joue les rouges, coeur, Carol



De Todd Haynes, j'avais aimé jusqu'alors tous les films que j'avais vus. Je l'avais découvert avec Safe (et par la même occasion, Julianne Moore). Puis il y avait eu Velvet Goldmine, qui a longtemps été un de mes films de chevet (Ewan Mc Gregor en Iggy Pop, une ode au glam rock et au très très regretté Bowie). Et puis, surtout, il y a eu Loin du Paradis. Celui-là ne pouvait tout simplement pas être un film de chevet, parce qu'il aurait été impossible de se coucher tous les soirs en chialant comme un veau. Tout m'avait bouleversé dans ce film: le triangle amoureux interdit dans les années 50, la toujours merveilleuse Julianne Moore, les 2 trop rares Dennis (Quaid et Haysbert), l'élégance de la réalisation et des costumes et l'émotion, la grande, la vraie du mélodrame qui vient vous cueillir l'air de rien, sans effusions de sang, de torrents de larmes ou d'hurlements de tristesse. La vraie mélancolie, la puissante tristesse, celle qui est digne, celle qu'on retrouve chez Douglas Sirk et dans In the mood for love, le cœur brisé derrière le rouge à lèvres et les volutes de cigarette.

Du coup, quand à Cannes, j'ai vu qu'il présentait une histoire d'amour impossible entre 2 femmes se passant dans les années 50, je savais que je verrai Carol. Et je l'ai vu il y a quelques jours.



On va déjà commencer par ce qui me semble le plus évident et indéniable dans ce film: sa beauté plastique incroyable. Tout est absolument sublime, à commencer par l'image. La lumière d'hiver, blanche et grise, qui domine le film est somptueuse. Elle crée une atmosphère douce et intime qui abrite parfaitement l'histoire d'amour entre ces deux femmes, et les enveloppe dans un brouillard de fumée de cigarette dans lequelle se diffuse au crépuscule les lumières orangées des abat-jour, comme pour dissimuler leur amour tout en douceur aux yeux du monde. Les talents de réalisateurs de Todd Haynes ne sont plus à prouver. La caméra, sans être intrusive, suit avec une belle élégance ces deux personnages. Tout est savamment dosé, pour qu'on se concentre sur les personnages et qu'on épouse sans s'en rendre même compte leur fascination l'une pour l'autre, leurs pensées, par des inserts sur des parties du visage de l'être aimée, la mise en valeur du velouté de la peau, des lumières qui défilent sur une vitre de voiture. Ca a l'air tout simple, c'est virtuose en rien, mais c'est juste, c'est subtil, c'est, comment dire en termes 50's... c'est chic!

Les années 50, parlons-en... J'étais aux anges: le mobilier, les voitures, la nourriture, le maquillage et les costumes, bon sang les costumes. C'est Noël pour tout les fétichistes vintage (dont je suis, je dois bien l'avouer), dans les plus menus détails (l'ouverture dans le dos du col de la robe grise de Carol, je craque).

Et puis il y a deux actrices sublimes, deux très beaux personnages dont on a nous aussi envie de tomber amoureux. Cate Blanchett est formidable dans la peau de cette femme fatale, ce fantasme ambulant qu'est Carol. On comprend tout de suite la fascination qu'elle peut exercer sur Edith Thérèse, avec ses yeux de chatte, la distinction de chacun de ses gestes, son assurance incroyable. Et Cate Blanchett sait parfaitement faire transparaître derrière cet aplomb de façade la passion contenue, le désir réprimé, le doute perpétuel, le désespoir égaré. C'est un vrai personnage romanesque (en même temps, le film est adapté d'un roman de Patricia Highsmith). Mais plus beau encore, à mon avis, est le personnage de Rooney Mara. Parce que quelque part, ce film est quand même un très beau film d'apprentissage et que le personnage d'Edith Thérèse, qui semble être un double d'Hepburn, a un très beau parcours. Celui d'une jeune femme qui arrive à l'âge adulte à une époque où tout devient possible, où l'on peut enfin faire des choix: celui de l'amour, celui de la carrière, celui de l'art. Là où Carol avance à l'aveuglette, suit ses passions, Edith Thérèse prend le temps et décide. Assister à l'épanouissement de ce personnage, c'est une des plus belles expériences que permet le film.



Et au niveau émotion, me direz-vous? Combien ce film vaut-il sur l'échelle de la Madeleine (oui, j'ai décidé d'appeler comme ça mon outil d'évaluation très scientifique de potentiel lacrymal d'un film)?

Et bien, pour vous dire la vérité, j'ai passé une bonne partie du film (au moins jusqu'au 2/3) un peu déçue. Ce que je voyais était très beau, les personnages me plaisaient, leur histoire aussi, ça avait tout pour me toucher, mais non, bizarrement, je ne ressentais pas grand-chose si ce n'est un plaisir de spectatrice séduite. Même pas mal, en somme.



Mais c'était sans compter sans le backlash. J'aurai dû me souvenir que c'était exactement ce que je m'étais dit pendant une bonne partie de In The mood for love: c'est beau, mais c'est un peu artificiel, non? Et ben BIM, même effet qu'avec la scène de l'homme qui parle à des arbres dans le film de Wong Kar Wai. J'ai littéralement fondu en larmes sur la magnifique scène de fin (sérieux, cette scène, c'est le comble du romantisme). Ca c'est toujours le pire. Parce que chialer dans le noir, toute seule, passe encore. Mais continuer à sangloter quand la lumière s'allume, en sortant du cinéma, sur le chemin du retour et une fois assise sur mon canapé, c'est l'effet kiss cool qui pardonne pas. Et j'ai compris pourquoi j'avais craqué comme ça. Parce que oui, tout est joli, tout est bien fait, alors on regarde les jolies choses en oubliant presque que derrière tout ça, il y a une belle histoire, que derrière toutes ces jolies choses, ces gestes délicats, ces paroles policées, il y a des sentiments, des désirs, des émotions, il y a la chose la plus bouleversante qu'on ait filmée, qu'on a toujours filmée et qu'on continuera de filmer tant qu'on aura des caméras: une histoire d'amour tragique. Alors on se laisse bercer par les belles images et de manière subliminale, sans même avoir l'air d'y toucher, ce qu'il y a derrière peut nous atteindre et nous renverser sans qu'on s'y attende. Et en ce qui me concerne je suis complètement tombée dans le panneau. Je me suis laissée ferrée par l'élégance de la mise en scène, la beauté plastique, et j'ai été prise totalement au piège. Et j'espère qu'on m'y reprendra bientôt.


17 commentaires:

  1. (Edith ? Mais c'est pas Therese plutôt ?)
    Tu devrais normalement découvrir ma critique de ce film demain mais pour moi, sans avoir chialer (ce qui explique que je ne lui ai pas accordé la note maximale), j'ai tout de même beaucoup aimé ce film que tu défends sacrément bien. Au-delà de son esthétique à tomber par terre, qui prend sens au fil des scènes, j'ai été touchée par cette romance subtile, bien écrite. Un beau plaidoyer pour l'amour quel que ce soit son bord, les responsabilités à prendre pour la vivre pleinement malgré les conséquences et tout simplement un beau portrait de femme avec deux actrices au top.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais tu as tout à fait raison, Thérèse! Pourquoi Edith? Doit y avoir un truc freudien là-dessous. Après, je dois être franche, je pleure très facilement au cinéma. Mais là, j'avoue que ça m'a vraiment prise par surprise.En fait, plus j'y pensais, moins je pouvais m'arrêter de pleurer, c'en était gênant à force (pas merci Todd Haynes!)

      Supprimer
    2. Peut-être que tu écoutais du Piaf pendant tu écrivais ! :D
      Je te rassure, je chiale pour pas grand chose, notamment en salle ! (ça donne parfois des moments gênants).

      Supprimer
  2. je suis tellement jalouse... Ça à l'air tellement bien quand tu le raconte! Moi aussi j'aurai voulu faire exploser mon échelle de la Madeleine.
    Mais malheureusement comme je le disais dans ma critique, ça n'a absolument pas été le cas. Au moins grâce à ton article j'aime un peu mieux ce film, car c'est vrai que tu le défend très bien.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci! Mais c'est vrai que j'ai passé une bonne partie du film "à côté" et que ce n'est qu'à la fin que j'ai été vraiment touchée. Je pense que c'est effectivement pas évident de se laisser prendre, mais bon sang, quand ça marche, c'est sacrément efficace. J'en ai été toute retournée...

      Supprimer
  3. Amusant de lire ton billet et rassurant ! car beaucoup de gens disent être déçues ou être passés à côté alors que moi j'ai été très touchée, j'ai vu la passion enfermée à l'intérieur de ses deux êtres (comme le voulait l'époque ..)et puis la scène finale ..
    Mon billet (si ça t'intéresse) : http://www.theflyingelectra.com/2016/01/carol.html

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me sens moins seule d'un coup, d'autres ont eu leur petit cœur brisé ;-)
      Je vais de ce pas voir ton billet et je t'en dis plus chez toi

      Supprimer
  4. Je n'ai pas encore vu celui-ci qui me tente énormément mais j'ai beaucoup aimé Loin du paradis.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

      Supprimer
    2. Je pense que l'ambiance en est très proche. Il y a de fortes chances pour que tu aimes Carol

      Supprimer
  5. Quel beau billet ! Après celui de Tina, je suis totalement convaincue : il faut que je voie ce film ! J'espère que je trouverai le temps d'y aller :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chouette! J'espère que tu pourras le voir, il en vaut vraiment la peine!

      Supprimer
  6. (Pour une fois j'ai attendu de voir le film avant de lire ton article ^^).
    Le seul film que j'ai vu de Todd Haynes c'est Loin du Paradis et pour le coup je suis passée totalement à côté. Par contre j'avais plus qu'aimé son adaptation en min-série de Mildred Pierce. Une petite pépite.
    Revenons à Carol, je me suis laissé totalement portée par les belles images, par l'esthétique des 50's et par la bande son.Plus que par l'histoire finalement. Je n'ai pas pleuré mais j'ai frissonné en entendant "Silver bells" interprété par Perry Como...Et puis la voix envoûtante de Cate Blanchett me fait toujours autant d'effe

    RépondreSupprimer
  7. Réponses
    1. Je n'ai toujours pas vu Mildred Pierce, mais depuis le temps que j'en entend parler, il va vraiment falloir que je me penche dessus.
      C'est vrai que la bande-son est très belle, j'ai oublié d'en parler (en plus, y'a une belle chanson de Billy Holiday). Et c'est vrai que la voix de Cate, rrrr, ça rend le personnage encore plus envoûtant.

      Supprimer
  8. J'avoue que je suis restée insensible à Todd Haynes… son Loin du paradis reprenait trait pour trait les codes de Douglas Sirk mais, comme il ne pouvait traiter un thème déjà évoqué par ce grand cinéaste, il a choisi d'en faire plus (une épouse qui tombe amoureuse de son jardinier noir et son mari est inverti, mais bien sûr) et cela ne devenait pas croyable. Pour Carol, j'ai eu la même sensation. Il faut trouver un sujet encore plus subversif pour les années 50… oui, mais on est en 2016! j'ai préféré revoir La Rumeur. Un vrai bijou. Des bises!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne pense pas qu'on puisse accuser Todd Haynes de "vouloir faire subversif". Je pense vraiment que sa démarche est sincère, et qu'il traite les sujets qui l'intéresse dans une époque qui le fascine, les années 50. Quant à Carol, c'est un sujet pour moi tout à fait crédible, puisqu'il provient d'un roman des années 50. Pour moi, ça ne servirait à rien d'essayer de trouver un sujet "plus subversif" à cette époque, parce qu'à mon avis, ce sera difficile d'aller plus loin que "Sur la route" ou "Lolita", par exemple

      Supprimer