mardi 16 février 2016

Séance de rattrapage: The Grandmaster, Wong Kar Wai


Ce week-end, cela ne vous a pas échappé, c'était la St Valentin. Et moi, à la fin des années 90, je suis tombée folle amoureuse. Un vrai coup de foudre, une évidence, un truc qui m'a terrassée, m'a fait pleurer, m'a fait rire, m'a émerveillée, m'a fait voyager. Oui, à la fin des années 90, à l'approche de mes 20 ans, j'ai commencé une grande histoire d'amour, qui a connu quelques cahots, surtout ces dernières années, mais une belle histoire quand même. A la fin des années 90, alors que Hong Kong se voyait rétrocédée à la Chine, je découvrais le cinéma de Wong Kar Wai avec Fallen Angels et j'en tombais irrémédiablement raide dingue. Je crois que cette histoire a culminé un soir de St Valentin, justement, où je voyais pour la seconde fois le somptueux In the mood for love dans un cinéma londonien mythique, malheureusement menacé de fermeture, le Curzhon Soho (si vous le connaissez, foncez signer la pétition). Ce mélo d'un romantisme fou et d'une nostalgie absolue m'a définitivement bouleversée à la seconde vision, plus encore qu'à la première (peut-être pour des questions de maturité, de situation personnelle) et je garde de ce soir-là un de mes plus beaux souvenirs de cinéma.

Donc, même si mon histoire d'amour avec le cinéma de Wong Kar Wai a eu ses hauts et ses bas (surtout depuis 2046), j'ai toujours essayé de suivre de près ce qu'il faisait et quand la St Valentin arrive, je renoue souvent avec.



Cette année, le Wong Kar Wai de St Valentin était donc The Grandmaster, son dernier film, sorti en 2013 que je n'avais pas vu en salles à l'époque (peu de temps en salles et peu d'espace dans mon emploi du temps). Il fallait que je le découvre, et c'était pas trop tôt.

Même si mon Valentin était là pour m'accompagner, j'avoue que j'avais quelques appréhensions par rapport à ce film. On a toujours peur d'être déçu par un réalisateur qu'on apprécie beaucoup. Et là, je sentais que j'avais quelques chances de l'être. D'abord parce qu'il aborde un personnage vu et revu ces dernières années dans le cinéma chinois, le fameux Ip Man, maître du non moins fameux Bruce Lee. Je me disais donc que le sujet était bien éprouvé, puisque le héros avait déjà pas mal été traité dans d'autres films éponymes. De plus, depuis quelques années, je trouve que son cinéma n'a plus ni la puissance d'un In the mood for love, ni la fougue d'un Cheungking Express.

Et bien, le résultat est en demi-teinte, puisque j'ai été un peu déçue, oui, mais pas forcément sur ce que je pensais, et que bon, au final, WKW a tout de même réussi à remporter la mise.

En gros, (parce que l'histoire est assez longue), le film raconte les destins croisés d'Ip Man et de Gong-Er. D'abord, l'ascension de Ip Man (interprété par Tony Leung), qui doit représenter le Kung fu du sud de la Chine face à un grand Maître reconnu du Nord, Gong Yutian, son affrontement avec la fille de ce dernier, Gong Er (Zhang Ziyi), un affrontement aux allures de coup de foudre. Puis les affres de la guerre: pour Ip Man, la pauvreté, la mort de ses enfants, l'éloignement de sa femme et pour Gong-Er, l'héritage du Kung-fu de son père, tué par le vil Ma San. Puis leurs retrouvailles, bien longtemps après, dans les années 50.



D'abord en ce qui concerne la reprise sur le fameux Ip Man et la direction prise vers le film de Kung-fu, et bien en fait, ce n'est pas dérangeant du tout. Parce que quand Wong Kar Wai fait un film de genre (on l'avait déjà vu avec le film de sabre Les cendres du temps), il fait un film de genre oui, mais de Wong Kar Wai.

Je m'explique. Tous les ingrédients du film de Kung-fu sont bien là, et dans les meilleurs conditions: on y trouve des scènes de combat superbes (bien que peu nombreuses) chorégraphiées par le plus grand en la matière, Yuen Woo-Ping (vous savez, le réalisateur de Drunken Master et d'Iron Monkey, chorégraphe pour Matrix ou Kill Bill qui joue d'ailleurs le Maître de Ip Man dans The Grandmaster). Tout est léger, aérien, parfaitement exécuté, avec les ralentis qui vont bien, tout ce qu'un amateur de film de Kung-fu peut demander. Sans compter que WKW y ajoute sa patte personnelle: une beauté plastique flamboyante, avec des plans sur des mouvements d'étoffes lors des combats absolument superbes (en parlant d'étoffes, ça reste un film à tomber pour tous les amateurs de tissus et broderie), et un sound design absolument formidable: pour chaque personnage, les coups sonnent différemment, ils sont adaptés à leur personnalité et à leur méthode de kung fu: pour le personnage d'Ip Man, un son mat et précis, pour celui de Gong Er, tout est en glissement d'étoffes et frous-frous, pour le dangereux Ma San, des sons très organiques (et à vrai dire assez dégueus) d'éclatements de pastèques.



Mais ça reste quand même un film de Wong Kar Wai. D'abord parce qu'on y retrouve tout ce qui a fait son style. Une photographie léchée aux saturations de couleur sublimes, signée ici par Philippe Le Sourd. Les ralentis sous la pluie emblématiques qui sont devenus sa signature. Et une beauté plastique de tout instant: les acteurs, avec en premier lieu le divin Tony Leung qui a dû signer un pacte avec le diable pour rester aussi beau (et classe) aussi longtemps et la parfaite Zhang Ziyi, les costumes, les décors, on aurait envie de mettre sous cadre pratiquement n'importe quel plan de ce film, tant la minutie et le perfectionnisme de Wong Kar Wai transpire à chacun d'eux. A une exception près, cependant: une incrustation sur le train le plus long de l'histoire du cinéma (encore plus que le Transperceneige) très mal foutue, qui pourrit un peu ce qui aurait pu être une scène d'action énorme.



Et surtout, quel que soit le genre avec Wong Kar Wai, on finit toujours par voir un beau mélo. Il est comme ça, les histoires d'amour impossibles, jamais synchronisées, et condamnées à la nostalgie la plus profonde, c'est dans son ADN. Il peut pas s'en empêcher, c'est son obsession. Et c'est tant mieux, parce que c'est sans doute ce que je préfère dans ses films, et en particulier dans celui-là. Là encore, sans jamais oser le dire, on s'aime. Mais ce sont des amours tues, des amours interdites, contrariées par l'honneur, la distance et la bienséance. Mais ce n'en est pas moins déchirant, surtout lorsque les douleurs se répètent, comme dans deux très belles scènes à l'opéra.

Alors oui, j'ai bien retrouvé les ingrédients qui font que j'aime et les films de Kung-fu, et Wong Kar Wai, mais j'avoue que quelques petites choses m'ont chiffonnée, même si elles n'ont pas totalement gâté mon plaisir, et je pense que ça a à voir avec le caractère chinois du film. Définitivement, ce film annonce la rétrocession de Wong Kar Wai à la Chine. En effet, ce réalisateur qui a longtemps été une figure emblématique de Hong Kong, après avoir fait une incartade aux Etats-Unis, filme la Chine dans son intégralité, et même l'union chinoise (ici par le Kung-fu), thème cher au cinéma chinois commercial de ces dernières années, de l'Empereur et l'assassin à Detective Dee, on rentre dans une catégorie de films qui commencent à lasser à force de se ranger de manière un peu trop évidente dans la ligne patriotique. Même si j'imagine qu'il est bien difficile de faire autrement de nos jours dans ce pays, c'est un peu dommage qu'un réalisateur comme Wong Kar Wai (ça marche aussi pour Tsui Hark ou Zhang Yimou) y perde sa spécificité. De plus, comme nombre de ces films qui sont avant tout fait pour un public chinois, il est parfois difficile de tout comprendre sans connaître tous les codes et les faits historiques. Mais là, j'avoue que c'est une remarque pas tout à fait pertinente: j'imagine un chinois qui verrait La reine Margot, ça doit pas être la fête pour lui non plus. Mais on doit bien dire qu'on est par moment un peu largué en tant que spectateur occidental, même rompu à pas mal de film du genre...

Mais malgré ces quelques déceptions, ben ça fait quand même du bien de retrouver Wong Kar Wai après tant d'années. C'est comme revoir son premier amoureux: on trouve qu'il s'est un peu empâté, qu'il a des cheveux blancs, qu'il n'est plus aussi fou et fringant que quand on avait 20 ans. Mais on retrouve derrière ça ce qui a fait qu'on en était tombée amoureuse, parce que son regard, lui n'a pas changé. Et on sait qu'on aura toujours une place pour lui dans notre cœur...









8 commentaires:

  1. J'ai entendu beaucoup de bien de ce réalisateur, notamment pour ce film et In the mood for love. Je pense plutôt commencer par ce dernier mais je serai ravie de découvrir le reste de sa filmo. Bisous Girlie Cinéphilie!
    https://lachambreroseetnoire.wordpress.com/2016/02/13/divers-beaute-et-style-de-vie-2/

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    1. Je pense que tu as raison de commencer par In the mood for love, qui est sûrement son film le plus accessible, et un des plus beaux. Je te conseille aussi vraiment ses premiers films. Bises

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  2. Et bien, et bien... Ton article m'a rendu curieuse! Je ne suis pas particulièrement fan des films de Kung-Fu mais si c'est Wonwon qui s'y est collé alors pourquoi pas.

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    1. C'est ce qui est bien avec ce film, ce n'est ni le meilleur WKW, ,ni le meilleur film de Kung-fu, mais ça risque d'être le film de Kung-fu préféré des fans du réalisateur, et le WKW préféré des aficionado du kung-fu

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  3. La bande annonce en chinois sous-titré chinois c'est pour me faire regretter d'avoir arrêté les cours de mandarin ? ^^
    J'avoue n'avoir vu que "In the mood for love" de ce réalisateur. Ton article pourrait être un excellent prétexte pour creuser sa filmographie et je ne dirais pas non à un film de Kung-fu.
    J'ai beaucoup aimé l'intro de ton article et la façon dont tu as "amené" le film. Bon c'est pas tout ça mais je file, je vais aller visionner la scène mythique où Bruce Lee apprend à Chuck Norris de quel bois il se chauffe.
    Belle journée!

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    1. Oups, lost in translation,j'avoue que j'ai fait vite pour choisir la ba, et que j'ai pris celle que je trouvais jolie.
      Si tu aimes le kung-fu, ce film peut être une bonne porte d'entrée vers le cinéma de Wong Kar Wai, même si j'aurais plutôt tendance à te conseiller la trilogie Les anges déchus - Nos années sauvages - Cheungking Express qui m'a fait tomber en amour avec ce réalisateur.
      Merci pour le compliment sur l'intro. Pour moi, il y a des films qui comptent dans une vie, qu'on associe à des périodes, des évènements de la vie et qui, je crois, nous façonnent. Pour moi, les films de Wong Kar Wai en font partie, et je les chéris comme des souvenirs précieux.
      Attation! y'a de l'arrachage de poil de Walker Texas Ranger dans l'air!

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  4. J'ai également bien aimé ce film aux indéniables qualités (les scènes de combat sont impressionnantes, l'esthétique est à tomber par contre, les acteurs sont top, surtout Zhang Ziyi) mais il manque un truc pour qu'on soit totalement satisfait.

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    1. Je suis plutôt d'accord, je pense que dans ce film, en voulant se plier aux lois du marché chinois, WKW y perd en singularité

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