vendredi 8 avril 2016

Hallucinations collectives: les films que vous ne pourrez peut-être pas voir

Il arrive que le monde de la distribution soit absolument impitoyable, et heureusement, les festivals sont là pour nous rendre ce monde un peu plus acceptable, et nous faire découvrir des films auxquels on aurait du mal à avoir accès autrement.

Cette année encore, les Hallucinations collectives ont permis à des films qui ont difficilement trouvé les voies des salles voire même des lecteurs dvd en France, de trouver un public enthousiaste. Et comme c'est toujours un plaisir de faire des découvertes (même si les films ne m'ont pas tous complètement fait décoller), je voulais partager un peu de ce plaisir avec vous. Un plaisir un peu mêlé de frustration, parce que je sais qu'il vous sera difficile d'y accéder. Mais c'est en en parlant qu'on pourra peut être donner l'envie à des distributeurs de leur donner une vie plus longue. Et que, pour certains notamment, ça vaudrait vraiment le coup!

Der Nachtmahr, Akiz



Je vais faire assez vite sur ce film-là, parce que je dois bien avouer que c'est clairement le film que j'ai le moins aimé de ceux que j'ai pu voir. Sachant que c'est un premier long métrage et qu'en plus, il n'est pas très chanceux en terme de distribution, je vais éviter d'être trop incisive (parce que j'avoue que j'ai quitté la salle un peu vénère sur le coup), même si je me dois d'expliquer les raisons de mon manque d'enthousiasme.

Der Nachmahr, c'est l'histoire de Tina, une ado, qui profite de l'absence fréquente de ses parents pleins aux as pour s'égarer au maximum dans les nuits berlinoises, ses rave-partys stroboscopiques et ses cocktails de pilules colorées. Mais après une soirée un peu trop trippante, elle se voit victime de visions récurrentes d'un monstre fœtal.



Pour faire vite, je reprocherais à ce film ce qu'on peut souvent reprocher à certains premiers long métrages, la volonté de trop en faire.

Là, Akiz est à la fois scénariste, réalisateur et créateur plastique (c'est d'ailleurs maintenant dans l'art contemporain qu'il œuvre désormais). Il sait effectivement à mon avis créer des images, mais pour moi, le scénario n'est vraiment pas au point. Le vrai problème principal, pour moi, ça a été le personnage principal. Tina, même si elle est interprétée par une actrice très juste et intéressante, la jeune Karolyn Genzkow, n'est pas un personnage très bien écrit: on ne sait pas ce qu'elle veut, quel est son conflit, et elle n'est pas du tout caractérisée, on a l'impression de voir tout au long du film une coquille vide qui subit sans cesse les évènements et on a donc pas trop envie de la suivre. Si je dois comparer ces jeunes personnages aux autres que l'on a pu voir lors du même festival, notamment dans Green Room ou Alone dont on parlera à leur sortie, il y a quand même un monde au niveau de l'écriture et de la vision de l'adolescence. Dans les autres films, en 5 minutes, on comprend tout de suite à qui on a affaire: il suffit de quelques répliques pour que chacun des gamins soit caractérisé et on a tout de suite envie de partir avec eux. Dans Der Nachtmahr, on ne comprend pas bien ce qui les différencie les uns des autres, on ne sait même pas vraiment s'ils sont autre chose que des adolescents (je veux dire, des personnes à part entière). C'est un peu dommage, d'autant plus que le scénario un peu décousu en mode Est-ce vrai/Est-ce faux? laisse une part un peu trop libre à l'interprétation, sans nous donner vraiment d'indice sur les intentions du film (et je ne parlerai pas de l'utilisation du gimmick qui me met hors de moi, le fameux "tout ceci n'était qu'un rêve"). Le rythme du film pâtit également de gros trous, et il y a de nombreuses scènes qui ne servent pas à grand-chose.



Et puis surtout, y'a un côté arty farty qui a tendance à m'énerver un peu, où on sent la volonté de faire un film "hype" en parlant d'une jeunesse riche mais désoeuvrée. Déjà chez Sofia Coppola, je m'en fous royalement... alors là... Et il y a une vision de la jeunesse assez moraliste qui me gêne un peu ("Ah ma bonne dame, les jeunes d'aujourd'hui, avec leurs téléphones portables et internet et les drogues, ils sont complètement déphasés, ils savent plus ce que c'est que la réalité... Et puis avec ces parents qui travaillent tout le temps et qui pensent que leur argent va compenser leur absence...") tout en voulant "faire jeune" (avec des avertissements pour les vieux qui écoutent pas la musique assez fort et les épileptiques). Et aussi (et là c'est mon avis de fille), un aperçu de la psyché féminine un peu trop clichée pour avoir été écrite par quelqu'un d'autre qu'un homme.

Après, je reconnais qu'il y a de très bonnes choses: les relations entre Tina et ses parents sont plutôt bien dépeintes (une très belle scène de repas), les apparitions de la créatures sont plutôt réussies, d'autant que la créature en question est une vraie réussite plastique.

Mais dans l'ensemble, je pense que ce film aurait largement gagné à être un court métrage: cela aurait permis d'évacuer les nombreuses scènes un peu inutiles du film, de recentrer l'action et l'énergie du film, et de pallier aux vides du scénario, notamment concernant le personnage principal. Et je pense que sous ce format là, on aurait pu être face à un très bon film (même si j'avoue que je reste quand même très hermétique au thème).


Blind Sun, Joyce A. Nashawati



Pour ce film, qui est aussi un premier film, je vais aller très vite, puisque je lui reprocherais exactement la même chose qu'au précédent.

On enlève l'ado à Berlin, on la remplace par Ashraf, un immigré qui devient gardien d'une maison chicos dans une Grèce en crise et en mal d'eau. Et lui non plus va pas super bien dans sa tête et a des visions, ce que la solitude et le soleil de plomb ne fait rien pour arranger.

Premier problème identique: la réalisatrice, aussi scénariste, aurait peut-être bien fait de se faire épauler sur l'écriture du scénario. De même que pour le précédent, le personnage principal n'est pas vraiment caractérisé, on ne comprend ni ses intentions, ni ce qu'il désire, ni vraiment quel est son problème (même si pour moi, y'a du post-trauma là-dessous, mais cette interprétation en vaut bien une autre). Il y a beaucoup de scènes assez inutiles, qui alourdissent le rythme du film et qui l'ont rendu pour moi, je dois le dire, assez difficile à supporter sur la longueur. De même, le scénario laisse encore une fois un telle part à l'interprétation libre du spectateur, qu'on peut réellement s'interroger sur la présence ou non d'un point de vue. Et encore une fois, je pense que ce film aurait largement gagné à être scrupuleusement ratiboisé et aurait pu devenir un excellent court-métrage en resserrant tout autour du personnage principal.



Mais je dois avouer que les thèmes évoqués dans Blind Sun, en revanche, m'intéressent, et qu'ils soulèvent plein de questions intéressantes, sur la crise économique en Grèce doublée d'une crise écologique, sur la violence engendrée par les différences sociales qui ne cessent de se creuser, sur le statut d'immigré ou de réfugié, la menace constante qui pèse sur eux. Dommage que ces sujets ne soient pas exploités et qu'une nouvelle fois, on ne ressente pas vraiment quel est le point de vue du film.

En revanche, si j'ai quelques doutes sur le potentiel de scénariste de Joyce A. Nashawati, je n'en ai absolument aucun sur ces talents de réalisatrice. Elle réussit tout à fait à créer une expérience sensorielle, rendant palpables la sécheresse de l'air, la chaleur suffocante, la lumière écrasante du plein cagnard. On en ressort comme victime d'insolation, le bourdonnement des insectes incessants aux oreilles, les membres et la tête lourds. Elle parvient également à bien imposer la tension tout au long du film, malgré les longueurs qu'il comporte. Il y a une démarche esthétique forte et réussie, soulignée par le travail magnifique de Giorgos Arvanitis, le directeur de la photo qui sait filmer ce "soleil aveugle" comme personne.



Donc, même si ce film m'a déçue, j'espère véritablement voir Joyce A. Nashawati s'attaquer à un autre scénario (peut-être écrit avec ou par un autre scénariste) où elle puisse mettre tout son talent au service d'une histoire plus efficace et plus recentrée, parce que sa maîtrise picturale est très impressionnante.


Scare Campaign, Cameron & Colin Cairnes



Alors là, on est tout de suite dans un registre complètement différent. Ici, avec les Cairnes, on plonge sans complexe dans le film d'horreur traditionnel, avec du gore, des sursauts et des blagues qui tournent mal. C'est le deuxième film de ce duo australien qui ne cache pas son goût pour l'hémoglobine.

J'aime beaucoup l'idée de départ de ce film, que je trouve assez rigolote. L'équipe d'une émission de téléréalité spécialisée dans les caméras cachées horrifiques doit faire de sa dernière émission de la saison un hit sous peine de déprogrammation. Ils décident donc de se surpasser dans le foutage de chocottes, mais la réalité dépasse cette fois la fiction...




Alors d'abord, c'est toujours agréable, même si c'est pas très original, de s'en prendre au cynisme des émissions de télé-réalité qui sont prêtes à tout pour augmenter leurs chiffres d'audience: à jouer avec les émotions des participants et des spectateurs, à mentir, à humilier et ici, à faire complètement flipper, sans s'inquiéter des conséquences parfois fatales de leurs inconséquences (et en France, on a eu notre dose de tragédies!).

Du coup, on a droit à des personnages assez savoureux. L'héroïne est bien évidemment la caution éthique du film, une comédienne qui en a assez de bosser pour ces vilains méchants de la télé, mais qui accepte tout de même une toute dernière émission, le producteur est sans scrupule mais complètement dévoué à son métier, la directrice de programme est impitoyable, l'équipe technique est efficace et sympa (donc première victime désignée), la nouvelle recrue passe sa vie sur son portable et veut devenir une scream queen.



Ici, rien de bien étonnant ni de bien nouveau, mais un travail honnête qui fonctionne plutôt bien. On peut tout de même déplorer un scénario très téléphoné (en ce qui me concerne, j'avais compris comment tout allait fonctionner dès le premier tiers du film), qui aurait pu laisser des indices moins évidents, parce qu'on a parfois l'impression qu'on a un gros panneau lumineux avec plein de flèches qui nous les montre. Mais malgré cela, la tension reste assez constante, on sursaute un peu, les scènes gores sont bien sanguinolentes et on se laisse quand même porter. En plus, on a de bons acteurs, qui s'amusent et nous amusent (l'aspect comique de la satire marche plutôt bien).

Et puis surtout, c'est un des rares film d'horreur à base de "found footage" que je peux respecter (et si vous saviez combien je suis allergique au genre, vous sauriez que c'est un immense compliment). Pas de caméra qui bouge dans tous les sens, parce que les mecs sont des pros avec des caméras stables et du matos de son, ce qui explique enfin (presque) pourquoi ça ne sature pas (parce que les mecs qui filment avec leur portable en hurlant, avec un son top niveau dans les films, il faudra m'expliquer où ils achètent leur téléphone qui peut faire studio d'enregistrement). Les séquences en found footage sont intégrées dans le film, et pas trop nombreuses, donc supportables.

Bref, on n'est pas ici devant le film d'horreur du siècle, c'est certain, mais on passe tout de même un très bon moment entre rires et frissons.



Le complexe de Frankenstein, Alexandre Poncet et Gilles Ponso



Là, je dois dire que ce documentaire un de mes gros coups de cœur du festival. D'abord, son sujet est des plus fascinants: la création de monstres au cinéma de Méliès à Cameron au fil des différentes techniques, du maquillage à la modélisation 3D. Pour moi qui adore les créatures diverses et variées, qui suit fan des Muppets comme des Gremlins, qui rêve de monter sur Falcor au studio Babelsberg et ai failli défaillir devant une Gorgone de Ray Harryhausen, c'est le documentaire rêvé!

Déjà, on peut dire que le film est un film de passionnés. Alexandre Poncet, journaliste à Mad Movies, et Gilles Ponso, journaliste à l'Ecran fantastique sont des fous furieux des effets spéciaux. Ils avaient déjà réalisé ensemble un documentaire sur leur héros, Ray Harryhausen, le Titan des effets spéciaux, qui leur avait demandé 4 ans de travail afin de sillonner les Etats-Unis et de réunir des archives et des témoignages absolument exceptionnels. C'est à cette occasion qu'ils ont eu l'idée de ce nouveau film, en rencontrant les maîtres des effets spéciaux hollywoodiens.



Et là, en terme de rencontres, c'est quand même le bonheur, parce qu'on a droit à des interviews des plus grands spécialistes des effets spéciaux: Steve Johnson (élève du génie Rob Bottin auquel le film rend un bel hommage, papa du Slimer de Ghost Busters ou des créatures sublimes d'Abyss, et sosie non-officiel de Robert Dawney Junior), Rick Baker (papa du Loup garou de Londres et des effets beurk de Videodrome), Alec Gillis et Tom Woodruff (pour les bébêtes alien de Starship troopers) Greg Nicotero (le maquilleur responsable du teint éclatant des zombies de la série Walking Dead), Phil Tippet (papa de Jabba the Hutt, qui s'est fait soufflé les dino de Jurassic park par le numérique) Chris Walas (le papa des Gremlins)... Mais on a droit aussi à des interviews de metteurs en scène qui vouent un culte aux effets spéciaux Joe Dante et John Landis (qui règlent en bons copains leurs rivalité sur le sujet des loups-garous entre Hurlements et le loup garou de Londres), Guillermo Del Toro (qui avec le Labyrinthe de Pan et Hellboy a une sacré expertise en beaux monstres) ou Kevin Smith.

Le déroulement du film, s'il est un peu répétitif (et c'est l'unique reproche que j'aurais à faire à ce film), est très didactique. On suit une sorte de fil chronologique qui nous fait naviguer sur le fil de l'évolution des techniques d'effets spéciaux. On passe du maquillage, à la stop motion, aux créatures animées mécaniquement, à celles animées électroniquement (animatronic, mon amour), aux animations 3D, et, tout au long de l'histoire, à l'utilisation hybride de plusieurs techniques. On découvre comment fonctionnent ces techniques, qui en sont les grands maîtres, dans quels films elles ont été utilisées et pourquoi.

Et si comme moi, vous êtes un peu fétichiste de ces créatures, vous allez êtres ravis: on a accès à des archives exceptionnelles où l'on voit les créateurs aux prises avec leurs monstres, les dessinant, les sculptant, les animant... On comprend alors le titre du film, cette excitation du créateur à jouer à être dieu, et ce moment de ravissement où ce qui n'était qu'une idée se met à s'animer, et où l'on a envie de s'écrier: "It's alive! Aliiive!"



Mais surtout, le film présente de vrais parcours humains, et nous fait partager une dimension émotionnelle forte, qu'on ne soupçonnait peut-être pas. On assiste à l'explosion de la carrière de certains créateurs FX, puis à leur oubli une fois venu le temps du numérique. Et si l'on comprend souvent le choix des producteurs qui se tournent vers la 3D par économie et rapidité, on regrette toutefois la disparition progressive de ces métiers de magiciens, d'illusionnistes formidables, d'artisans du rêve, et de leur monstres fabuleux. Mais la nostalgie a ses côtés bénéfiques et le film, même si l'on en ressort un peu triste, nous livre un espoir pour l'avenir: la collaboration des effets mécaniques, électroniques et numériques pour des effets encore plus époustouflants et une impression de réel saisissante. De plus en plus de réalisateurs amoureux des effets spéciaux (Del Toro, notamment) l'ont bien compris, et savent que ce n'est pas la création qui doit s'adapter à la technique, mais que c'est au contraire à elle de déterminer quelles sont celles qui la rendront la plus vivante, et dans quelles situations, et que même s'ils sont devenus minoritaires, les maquilleurs et les créateurs d'effets mécaniques et électroniques ont toujours un rôle à tenir dans la réalisation de nos rêves, ou de nos pires cauchemars...

Pour l'instant, ce petit bijou n'a pas de distribution prévue, mais j'espère qu'on pourra tous très bientôt avoir accès à ce joli film, parce que j'ai déjà envie de le revoir très vite.



4 commentaires:

  1. Ce serait génial que la blogo incite les distributeurs à ce que ces films soient plus facilement visibles.
    Bisous à toi!
    https://lachambreroseetnoire.wordpress.com/2016/04/06/liste-de-souhaits-special-classiques

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    1. Je suis pas sûre que mon petit blog suffira à faire la réputation d'un film, mais si on est assez nombreux à en parler, je suis sûre que ça donnera des envies aux distributeurs. Bises

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  2. Quelqu'un a parlé de Robert Downey Jr?
    Merci de nous faire partager ton expérience via ce bilan très détaillé. Je serais presque tentée par le pitch de Scary Campaign mais je suis une vraie poule mouillée... J'ai appris un terme grâce à toi (Found footage). Je vais tenter de me la jouer en soirée. ^^
    Ah oui et merci pour la séquence nostalgie. En lisant "Mad Movies", je me suis rappelée que mon frère y était abonné dès son(très) plus jeune âge.

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    1. Je t'assures, la ressemblance est saisissante, et c'est encore plus flagrant quand il parle https://en.wikipedia.org/wiki/Steve_Johnson_(special_effects_artist)
      "found footage", pour moi ça veut surtout souvent dire "foutage de tronche", mais bon, je commence pas la dessus, parce que je pourrais faire un post entier sur les raisons pour lesquelles ce genre si jeune et déjà si prisonnier de ses clichés m'énerve profondément.
      Ah... Mad movies, il aurait probablement été un des mes magazines préférés s'il n'avait pas été si orienté vers un public exclusivement masculin... Il y a quelques années, je voulais même monter un fanzine qui se serait appelé MadMoiselle Movies, pour un regard féminin sur les films de genre, mais ça s'est jamais fait, et Madmoizelle est passé par là et c'était trop tard. Mais finalement, Girlie Cinéphilie c'est un peu ça, non?

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