lundi 29 août 2016

Le ciné-club de Potzina d'août: A table!

 
Pour ceux qui me suivent un peu, vous savez que j'hébergeais ce mois-ci le ciné-club de Potzina nouvelle formule (pour en savoir plus, c'est ici), qui convie tous les blogueurs ciné qui le veulent à nous parler de leur film favori concernant un thème précis (c'est ici pour nous rejoindre). Ce mois-ci, j'avais choisi le thème "A table", pour avoir plein d'idées appétissantes de films, et je n'ai pas été déçue.

- La chambre rose et noire a ouvert le bal en nous offrant une délicate sucrerie: le film Waitress





- Friande de série télé s'est intéressée à la malbouffe avec le documentaire décapant Super size Me

 
- Je vous ai proposé un tour culinaire du Japon avec le formidable Tampopo



- The Movie Freak nous a proposé un menu dégustation des meilleures scènes de bouffe au cinéma.



C'est d'ailleurs The Movie Freak qui va prendre le relais pour le Ciné-club du mois de septembre. Rendez-vous donc sur son site ou sur notre groupe Facebook dans peu de temps pour connaître le thème du mois prochain: j'ai hâte!

Petit SOS par ailleurs: pour l'instant, nous n'avons pas d'hôte blogueur pour le mois d'octobre. Si vous avez un thème en tête et que vous voulez partager avec nous, n'hésitez pas à nous faire signe (sur notre page Facebook par exemple, ou en commentaire ci-dessous), on en sera ravis!

Enfin, pour vous remercier d'avoir participé, une petite sélection de films liés au thème que j'aime bien:

- Menu parisien: Ratatouille, le rat chef de Pixar, qui donne l'eau à la bouche des petits et des grands,
- Menu Un Indien dans la ville: La jolie comédie indépendante Today's special, de David Kaplan, sur un chef New-yorkais d'origine indienne qui doit reprendre le restaurant en passe de fermeture de sa famille,
- Menu enfant (gniark gniark): Nouvelle cuisine, de Fruit Chan, film à déconseiller aux âmes sensibles , où une femme mûrissante trouve une recette de beauté assez peu ragoûtante,
- Menu All you can eat: Le mythique et scandaleux La grande bouffe, de Marco Ferreri,
- Menu cuisine du futur: l'anticipation pas bien appétissante de Soleil Vert,
- Menu fusion: la comédie rock 'n'roll de Fatih Akin, Soul Kitchen,
- Menu météorologique: le très rigolo Tempête de boulettes géantes,
- Menu classique: rien de tel qu'un bon vieux l'Aile ou la cuisse,
- Menu food-truck: la belle comédie de Stephen Frears The van,
- Menu chinois: Le festin chinois: Tsui Hark, Leslie Cheung, de la nourriture: c'est un rêve? non c'est un film,
- Menu La vengeance est un plat qui se mange froid: Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant, vaudeville horrifique de Peter Greenaway,
- Menu exotique: L'odeur de la Papaye verte: un magnifique vietnamien rafraichissant et sensuel,
- Menu surprise: le film d'animation pour adultes Saucisse Party, que j'attend avec impatience.

A bientôt, et bon appétit!

 














jeudi 25 août 2016

Dernier train pour Busan: grippe ferroviaire



Pas de vacances pour moi cet été. A force de voir pulluler les photos des copains en Italie, au Canada, en Nouvelle Zélande, au Portugal ou à d'autres magnifiques coins de la planète, je me sentais un peu frustrée. Alors, moi aussi, j'ai décidé de partir. J'ai pris mes valises sous les yeux et j'ai acheté mon billet. Loin de chercher le soleil, je me suis installée dans le noir pour prendre le Dernier train pour Busan, une destination aussi lointaine qu'incertaine.

Je ne suis absolument pas déçue du voyage, mais autant vous prévenir: suite à des incidents techniques, il risque d'y avoir quelques arrêts momentanés sur la route. Mais pour votre sécurité, il vous est cependant strictement interdit de descendre des rames avant votre arrivée à destination. Dites adieu au tranquille brinquebalement, au délicieux et hypnotique roulis des wagons, et préparez-vous à des secousses. Si vous êtes toujours partant, installez-vous bien confortablement (parce que ça va pas durer) sur la moleskine de votre place, et évitez d'ouvrir trop les rideaux des fenêtres: ce ne sont peut-être pas des troupeaux de vaches que vous y verrez défiler, mais une meute de créatures bien plus menaçantes. Attention à la fermeture des portes, accès au départ!



Direction la Corée du Sud, donc, qui après The Strangers (vu ici) et Man on High Heels (que j'ai honteusement raté, mais que Tina me donne furieusement envie de voir), a décidément une sacré patate estivale. Dernier train pour Busan est un film de Yeon Sang-Ho et c'est le premier film que je vois de ce réalisateur, qui a surtout fait de l'animation (ce qui se voit un peu).

Tout commence dans une petite bourgade où l'on observe un barrage routier de décontamination biologique qui arrête un transporteur agricole: pas très rassurant, mais rien d'inhabituel dans le monde où nous vivons et où les souvenirs de la grippe aviaire sont encore très frais. Le transporteur agricole reprends la route, et percute une biche. Pour éviter tout problème, il déplace l'animal mort et reprend tranquillement la route. Un joli pano et on revient sur la route, un spasme anime le cadavre qui se relève et affiche un regard vitreux pas très sain. Et bim! On est tombé dans le film. Après quelques minutes à peine, première émotion: on hésite entre le rire et la surprise, mais en tout cas, on est aussi ferrés que la voie (bon, ok, elle était facile, celle-là) et prêts à voir à un bon petit film de zombies des familles. Les films de zombie, c'est plus très original, se dit-on, mais ça fait toujours plaisir. Et bien ce n'est qu'à moitié juste.

Parce que oui, un film de zombies, ça fait toujours plaisir, mais non, ce film de zombies n'est pas qu'un énième film de zombies. Et rien que ça, bon sang, c'est une excellente nouvelle. Dernier train pour Busan est un film extrêmement intelligent qui reprend des films de zombies ce qu'ils ont de plus intéressant, mais arrive tout de même à renouveler le genre de manière très étonnante, mais pour le comprendre, il faut que je vous parle un peu plus du pitch...

 



Nous avons donc 2 protagonistes principaux: un trader sans merci, Sook-Woo et sa fille Soo-han, qu'il a tendance à négliger un peu, se donnant corps et âme à son diable de taf. Il doit ramener la fillette chez sa mère, à Busan et ils prennent un train à grande vitesse pour s'y rendre. Le voyage devrait être rapide, et le père devrait vite pouvoir revenir au business as usual. Mais c'est sans compter l'intrusion pirate au moment de la fermeture des portes d'une jeune femme tremblotante, aux veines bleuies et au teint blaffard, symptômes d'un virus très virulent et hautement contagieux qui foudroie ses malades puis les transforment en cadavres décérébrés et assoiffés de sang.

Voilà, les dés sont jetés, tout est là: on est parti pour un huis-clos en mouvement avec l'intrusion d'un patient zéro dans un lieu fermé. On sait déjà à quoi s'attendre : la recherche d'une issue, le danger qui pousse à se surpasser, une contagion rapide et bien flippante, et une tension continue. Et on a bien raison, parce qu'il y a exactement tout cela.

D'abord le huis-clos dans un train. On le savait depuis longtemps avec le Crime de l'Orient-Express: enfermer des gens dans un train et y faire pénétrer une menace est une excellente idée. Ici, elle est parfaitement exploitée, balisant le terrain, créant de nombreuses contraintes qui, on le sait très bien, sont le meilleur catalyseur de la créativité. Comment s'en sortir quand on est cloitré dans un compartiment parce que les autres voitures pullulent de zombies, autant que les gares intermédiaires et que sa seule planche de salut c'est arriver à bonne destination? Dévoiler des trésors de courage et d'ingéniosité. Et là, comme on l'avait déjà fait pour l'autre chef d'œuvre d'anticipation ferroviaire Snowpiercer, on s'étonne de la manière incroyablement inventive dont on arrive à évoluer dans cet engin si étroit, à lui donner de l'espace et de la profondeur grâce à des mouvements de caméra dont l'ampleur ébahit. On est épaté par l'économie du scénario qui ne laisse rien au hasard, qui sait parfaitement utiliser l'intégralité du décor, où chaque objet et élément de l'espace a une fonction. C'est d'une efficacité et d'une intelligence effarantes.

 
 
 


Autre code du film de zombies totalement respecté: la situation de survie exacerbe les caractères, pousse l'humain dans ces derniers retranchements. C'est l'un des aspects les plus intéressants du film de zombies, du film catastrophe de manière générale. Parce que oui, le film de zombies et particulièrement celui-ci peut être totalement affilié au film catastrophe (ce qui fait que j'ai toujours du mal à comprendre les gens qui adorent les films de zombies et qui n'aiment pas Titanic). Donc là, les personnalités se dévoilent et les sentiments explosent: le trader se découvre père, la petite fille délaissée se découvre aimée, la grande gueule à gros bras se découvre tolérant et sensible, le gamin réservé se découvre courageux, le gros con... ben reste un gros con. Et il y a toujours quelque chose d'exaltant à voir s'opérer ces transformations pour les personnages, à voir combien leur évolution peut être rapide en situation extrême.

Autre contrainte forte qui déploie des trésors d'imagination chez les scénaristes et qui en font un film haletant: la notion de temps est aussi étroite que les toilettes d'un TER. Si l'on met en exergue l'introduction et la présentation des protagonistes, l'essentiel du film est raconté en temps réel: on apprend que le voyage Seoul-Busan, en temps normal, dure une heure: il faudrait vérifier, mais je suis persuadée que si l'on rajoute les temps d'arrêts et de retard dus au légers désagréments zombiesques, on tombe pile sur un vrai parcours. Et durant ce voyage, on ne s'ennuie pas une seconde. Le tempo est mené tambour battant, les scènes où l'action permet de respirer sont émotionnellement intenses, les scènes sans fort potentiel communicatif entre les personnages sont de l'adrénaline pure. Encore une fois, le scénario est une merveille de développement durable de l'écriture: tout sert, pas de déchet, pas de temps mort, pas d'infos inutiles: ça va à très grande vitesse et c'est d'une efficacité qui fait pâlir tous les ingénieurs de la SNCF.



Et au-delà de son respect des commandements principaux du film de zombies, Dernier train pour Busan innove. D'abord avec ce truc de malade dont seuls les Coréens semblent capables à l'heure actuelle: un mélange de genres qu'on ne verrait à la base pas du tout ensemble mais qui marche du tonnerre. Et là, tenez-vous bien, vous êtes devant le premier mélo zombiesque réussi de l'histoire du cinéma. Quand je vous disais qu'on était pas loin de Titanic, je déconnais absolument pas! C'est la première fois qu'un film de zombies me fait autant chialer. Et quand je dis chialer, je dis pas écraser une petite larme au coin de l'œil, non je dis chialer comme un veau qui regarde passer les trains et à l'heure où je vous parle, en me remémorant certaines scènes, j'ai les yeux franchement humides. Parce que, je vous le disais, la situation étant bien évidemment un catalyseur de caractère, c'est aussi une bombe d'émotions servis par des acteurs très doués, et notamment une formidable petite comédienne qui va vous faire complètement dérailler. Je sais pas ce qu'ils leur mettent dans le biberon aux jeune actrices coréennes, mais entre cette merveilleuse Kim Soo-Ahn et l'incroyable Kim Hwan Hee de The Strangers, il y a une intelligence de jeu et une transmission d'émotions dont bien des actrices grand format pourraient s'inspirer.



Il faut souligner également la parfaite maîtrise de la réalisation, qui parvient à créer des images jusqu'alors inédites (ce qui devient un sacré challenge dans cette période de surdose de zombies). Pour moi, la grande idée visuelle est de traiter la meute de zombie comme un véritable essaim: ils ont une sorte d'instinct collectif qui les poussent à faire les mêmes choses en même temps: on assiste donc à de terrifiantes et impressionnantes "vagues de zombies". Ici, on ne mise pas sur le gore, les boyaux et le sang pour foutre la pétoche, mais sur la menace du nombre et celle de la contamination et bon sang, ça fonctionne.

Et puis, on le dit toujours, et on va encore le dire, depuis Romero, le film de Zombie est un parfait prétexte à proposer un miroir à peine déformant de notre société en pleine déliquescence. Et alors là, mes petits amis, laissez-moi vous dire qu'on fait pas dans la dentelle. Le constat de Dernier Train pour Busan est terriblement amer, et fait état d'un monde où le cynisme et l'individualisme outrancier fait basculer toute idée d'avenir dans l'horreur. Des politiciens qui font croire qu'ils maîtrisent une situation qui, comme on peut le voir sur internet, les dépassent largement, des salopards prêts à tout pour garder leur petit confort, et surtout, une charge dévastatrice contre... argh, je peux pas vous le dire. Mais bon sang, allez voir le film, parce que pour moi, c'est la première fois où je trouve que la source de l'apparition du virus zombiesque est totalement plausible: pas de savants-fous, pas de théorie du complot, juste une négligence au service de l'enrichissement immédiat. Et entre ça et les torrents de larmes,  je peux vous dire que ce film m'a gravement pris aux tripes, au point où je me demande si je n'ai pas été infectée.

 





















mercredi 10 août 2016

Le ciné-club de Potzina: Tampopo: la reine des nouilles



Comme vous le savez, ou peut-être ne le savez-vous pas, ce mois-ci, c'est bibi myself qui anime la nouvelle formule du ciné-club de Potzina qui est devenu plus participative. Pour ceux qui ne connaissent pas le principe, et n'ont pas déjà lu mon petit post à ce sujet, je rappelle brièvement le principe: tous les mois, un blogueur héberge le ciné-club. C'est à dire qu'il choisit un thème sur lequel tous les blogueurs qui le voudront proposent un film sur leur blog. A la fin du mois, le blog hébergeur répertorie dans une publication toutes les chroniques des blogueurs qui ont participé. Ca vous tente? N'hésitez pas à m'envoyer les liens vers vos chroniques pour le sujet de ce mois en commentaire ou sur ma page Facebook. N'hésitez pas non plus à nous rejoindre sur notre groupe Facebook pour participer et pour vous inscrire pour héberger à votre tour un ciné-club.

Comme je disais donc, ce mois-ci, c'est moi qui ai choisi le thème du ciné-club "A table". Je dois bien vous avouer que quand cette inspiration m'est venue, j'étais poussée, d'une part, par mon insatiable estomac (ou comme le dirais une certaine All mad(e) here, "la fringalette dévastatrice estivale"), et de l'autre part l'envie irrépressible de revoir un de mes films préférés au monde, qui sait formidablement traiter de mes deux passions: mon amour du cinéma et celui de la boustifaille: le merveilleux Tampopo, de Juzo Itami de 1985.




Tampopo est un film un sketch japonais qui, selon moi, a tout compris à la vie et qui dès la première scène nous explique sa philosophie on ne peut plus recommandable: deux choses subliment la vie, la rendent passionnante, vibrante, importante, du berceau au cercueil: l'art (et surtout le cinéma), et la nourriture (et c'est là que déjà vous voyez votre Girlie Cinéphilie se prosterner devant tant de sagesse). Ce film pourrait se réduire en quelques mots: la vie, l'amour, la mort, le cinéma, et toujours la bouffe! Vaste et universel programme, que Juzo Itami sait mettre en scène avec humour et une formidable gourmandise.



Tampopo (notez combien il est délicieux de prononcer ce titre, qui signifie aussi fleur de pissenlit) est construit de la façon suivante: une intrigue principale, à laquelle viennent se greffer plusieurs sketches périphériques, tous de genres et de tonalités différents, mais tous en rapport avec la bonne chère.

L'intrigue principale tourne autour d'une héroïne, une jolie maman middle age qui tient seule un bistro à nouilles et qui porte le doux nom de Tampopo. Elle a bien du mal à s'en sortir, et son bistrot n'est pas des mieux famés. Jusqu'au jour où deux cowboys solitaires sous la forme de deux routiers gastronomes se présentent à son comptoir. Ils sont aussi éblouis de l'accueil et de la gentillesse de leur hôte que désappointés par le contenu de leurs bols. Ils vont donc accepter d'aider Tampopo à faire de son rade un peu pourrave un temple de la gastronomie noodlesque. Mais la tâche va être ardue: entre séances d'entraînements intensifs, masterclass avec les plus grands, espionnage industriel, et romances, Tampopo va devoir se dépasser pour devenir la reine des nouilles!



Nous voilà donc dans un joli récit initiatique mêlé de western-ramen, auquel vont s'ajouter des sketchs tous aussi plaisants et des personnages hauts en couleurs: un film noir et rose où un érotisme torride se dégage de mets succulents et variés mais où rode la mort (ceux qui ne croient pas au potentiel orgasmique d'un simple œuf seront bien surpris), un film burlesque où l'on apprend à bien manger des spaguettis, un mélodrame familial autour d'un dernier repas, un slapstick avec le jeu du chat et de la souris entre un épicier et une vieille dame un peu trop tactile avec ses produits. On rencontrera également une galerie de portraits aussi délicieux les uns que les autres: un vieillard que sa gloutonnerie mène à la frontière du décès dès que sa femme l'abandonne pour aller à la banque, un groupe de clochards gourmets menés par un formidable Sensei, un sous-fifre gastronome qui va mettre ses patrons à l'amende dans un restaurant français, un gangster amateur de ciné, pourfendeur de pop-corn et amateur de frichtis-frichtas. C'est un régal de petites histoires, un festin d'émotions et de rire, un véritable délice.



Et comme tout grand chef, Juzo Itami soigne sa présentation. Le cadre et la lumières sont d'une beauté à couper le souffle, le montage est très malin et dynamique. On n'hésite pas à utiliser les codes esthétiques des genres abordés pour leur rendre un hommage gourmand. Ici, un générique suivant un camion brinquebalant sous la pluie, là, une baston en contre-jour digne des meilleurs westerns, ou encore un concert de borborygmes tatiesques. Le film est autant une déclaration d'amour au cinéma qu'à la mangâille.

Alors oui, oui, oui, je vous recommande ce film magnifique, un film feel-good par excellence, parce qu'il réussit une prouesse formidable du premier au dernier et immense dernier plan: il donne de l'appétit. Un appétit dévorant de mets délicieux, de cinéma, d'amour, de vie quoi!






mardi 2 août 2016

"When you're strange, faces come out of the rain"



In extremis, j'ai finalement réussi à voir The Strangers, de Na Hong-Jin, que des concours de circonstances liés au soleil, aux terrasses et aux barbecues m'avaient empêchée de voir plus tôt. Je m'y suis finalement retrouvée un dimanche matin, ayant bravé les affres du sommeil et de la gueule de bois, me disant que c'était finalement une séance assez idéale, avec le reste de la journée pour pouvoir me préparer à une bonne nuit, sachant d'avance que le film porterait son lot d'images cauchemardesques.

Et grand bien m'en a pris, parce qu'effectivement, ce film a diffusé au long de ces 2h36 une atmosphère poisseuse et overcreepy qui en font un des films les plus flippants et les plus hantants (oui, j'ai décidé que c'était un adjectif) vu depuis longtemps. Vous êtes donc prévenus: gros coup de flip pour ce film que j'aurai été bien idiote (mais peut-être plus paisible) de manquer.



The Strangers est donc un film coréen qui raconte une bien étrange histoire. Dans un village, une série de meurtres abominables commence, accompagnée d'une sorte d'épidémie de folie violente qui s'empare de plusieurs habitants. Jong-Goo, petit flic de cambrousse pas hyper motivé, se trouve en devoir d'enquêter sur ces faits malgré la trouille que cela lui file. On n'a d'ailleurs pas trop de mal à lui trouver des excuses, parce qu'il faut bien dire que le Japonais auquel la rumeur attribue ces troubles est loin d'être des plus rassurants, et que les phénomènes étranges et violents se multiplient...

Tout commence sous une pluie battante (en Anglais, ce film s'appelle d'ailleurs The Wailing, les pleurs), celle qui transforme la terre en boue collante, celle qui fait remonter les odeurs du sol et de pourriture, celle qui s'imprègne en quelques secondes dans les vêtements, dans la peau, celle qui vous glace le sang durant plusieurs heures. Et c'est exactement comme ça qu'on rentre dans le film: trempés, dégoulinants, abasourdis. Et autant vous dire que si vous pensiez poser vos vêtements sur un fil et vous réchauffer au coin du feu, ben c'est mal parti. Non, vous allez passer toute la séance dans cette moiteur glacée, les vêtements collés par une sueur froide à votre corps, sous cette lumière grise et éblouissante, à essayer de distinguer le vrai du faux et le bien du mal à travers les violentes stries d'eau qui déforment tout. Et parfois, les visages étranges qui vous apparaitront sous la pluie (Merci Jim Morrison pour ce titre!) vous feront plus encore frémir que le froid qui colle à vos basques et ne vous quitteront plus. C'est dit: The Strangers n'est pas un film agréable. C'est même plutôt un film éprouvant, mais si l'on vient chercher des sensations fortes, on risque bien de les trouver ici.

Parce que cette plongée dans l'horreur poisseuse est extrêmement réussie, aussi bien au niveau du scénario (qui pourtant me pose encore pas mal de questions) que de la réalisation qui est tout bonnement époustouflante. The Strangers réussit brillamment un mélange de genres qui n'est pas forcément évident en théorie, pétri de références diverses autant que recommandables, et est véritablement une expérience sensorielle marquante.



Commençons par le scénario. Je dois l'avouer tout de go, je n'ai pas compris tout le récit, ce qui peut avoir plusieurs incidences: ou je trouve que c'est n'importe quoi, que ça n'a aucune importance et je laisse tomber, ou j'ai envie de le revoir pour bien définir les tenants et aboutissants de chaque fil du récit. Nul besoin de vous préciser qu'ici, on est bien dans le second cas. En effet, la fin est à mon avis le genre de fin qui laisse libre cours à l'interprétation de chacun. Je commence à me faire ma petite idée sur cette histoire, mais beaucoup de questions restent pour moi en suspens, que j'ai bien envie d'élucider en d'autres visions. Une chose est sûre à mes yeux: le mal (le démon, le diable, appelez-le comme vous voulez) sait parfaitement utiliser nos plus mauvais penchants (ici, par exemple, notre tendance suspicieuse envers l'étranger, et en particulier l'ancien ennemi) pour nous faire pendre lamentablement à son hameçon. C'est un véritable transformiste, prêt à endosser tous les rôles qui lui permettront de jouer avec les pauvres humains corruptibles. C'est à mon sens une des grandes idées du film, toute ramassée dans un premier plan, qui semble tout à fait ordinaire mais qui prend toute sa dimension à la fin du film.

Et le film est dense. Il n'hésite pas à convoquer une multiplicité de mythes. Il emprunte aussi bien au chamanisme, au bouddhisme, au catholicisme ou aux croyances populaires, comme par exemple celle de croire qu'en photographiant quelqu'un, on peut lui voler son âme (mais attention, avec un Minolta argentique, un vrai envoûteur ne lésine pas sur la qualité du matos). Il arrive à tout mélanger, et ça marche quand même, ce qui est assez incroyable. Il en va de même pour les genres: on passe allègrement du film policier au thriller, en passant par divers types de films d'horreur, mais aussi par la comédie ou la chronique familiale. Et c'est bourré de références: on pense, pêle-mêle, à l'histoire de Job, à l'Exorciste, aux zombies, à tous les contes qui nous apprennent à avoir peur de la forêt, aux loup-garous. Tout cela, surtout sur plus de 2 heures et demi pourrait vite devenir indigestes, mais ici, ça ne m'a absolument pas gênée et pour les raisons que j'ai citées précédemment, le mal adoptant le visage que chacun veut bien lui donner, ce mélange faisant appel à toutes nos peurs bien ancrées a plutôt bien fonctionné.



Mais je pense que si tout cela passe aussi bien, c'est que derrière tout cela, il y a un sens esthétique indéniable. J'ai accroché à tout: l'image, le cadre, l'ambiance, le montage, tout est maitrisé de mains de maîtres et, malgré la complexité du scénario, nous enchaîne devant l'écran, pour le meilleur et pour le pire. Dès les premiers plans, le brio de Na-Hong Jin saute aux yeux. Il s'attache à filmer les hommes, leurs combats, leurs atermoiements, et leurs effrois dans un cadre complètement insensibles à leurs malheurs. La nature se fout bien du destin humain. Face à la violence et au malheur, elle reste imperturbable et impose sa grandeur et sa beauté à la fois changeante et éternelle aux pauvres problèmes individuels. Na-Hong Jin, son photographe Alex Hong et son monteur Kim Seong Ming, parviennent à faire de ce film une expérience sensorielle terrifiante et captivante. Je parlais tout à l'heure de la moiteur et de l'impression d'embourbement que l'on ressent tout au long du film, mais il y a quelques scènes d'anthologie, qui ont un impact stupéfiant. Je ne citerai qu'une scène d'exorcisme en montage alterné, d'une maîtrise sidérante, qui nous entraîne par une accélération formidable dans une véritable transe et qui est un vrai bijou de cinéma. Vraiment, The strangers vaut d'être vu ne serait-ce que pour cette seule scène.



Enfin, parce que cela a le mérite d'être noté, l'interprétation est vraiment sans faille, Kwak Do-won, tout en bonhommie, est l'anti-héros parfait, Jun Kunimura et son visage imperturbable font froid dans le dos. Mais surtout, surtout, la jeune Kim Hwan-Hee, qui interprète la fille du héros est tout simplement hallucinante: elle m'a fait sourire, elle m'a fait rire, elle m'a fait pleurer, elle m'a fait mal. Sa performance éclipserait celle de Linda Blair dans L'exorciste si elle n'était pas aussi mythique.



Alors, si comme moi vous avez repoussé l'échéance et qu'il vous reste une chance de voir The Strangers, courez-y avec tous les grigris et talismans que vous pourrez accumuler: vous n'échapperez peut-être pas à l'envoûtement.