pelloche

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lundi 22 septembre 2014

L'ivresse de voir Double


Alors, oui, j'ai du retard, je le sais, mais les vacances, surtout si l'on attend le mois de Septembre pour les prendre, c'est sacré. Alors, bien que sachant qu'il ne doit plus y avoir beaucoup de salles le diffusant, mais il fallait absolument que je partage ce film avec vous. Je suis allée voir The Double un matin et j'en suis sortie émerveillée, avec l'impression d'avoir découvert un futur très grand cinéaste, d'avoir (re)découvert un acteur formidable, avec de la pop sixties japonaise plein la tête et un bonheur mélancolique au bord du coeur.

J'avais déjà évoqué ce film dans la programmation du festival Hallucinations Collectives, dont il avait gagné le prix du long métrage, mais n'ayant pu le voir alors, j'ai dû attendre sa sortie cet été. C'est donc avec d'excellents échos, et une terrible envie de découvrir le travail de cinéaste de Richard Ayoade que j'y suis allée. Richard Ayoade, depuis que je l'ai découvert dans le rôle de Moss, l'informaticien introverti de la série hilarante et/donc britannique, The IT Crowd, j'avoue que j'ai un faible pour lui. Ce personnage qu'il décline, à la télévision ( de la fausse série d'horreur 80's Garth Marenghi's Darkplace à l'émission créée par Stephen Fry présentant des objets plus ou moins innovants, Gagdget Man) est un clown un peu triste ou en tout cas très sérieux, un peu maladroit, et très attachant. Ce sont des caractéristiques que l'on va retrouver chez Simon, le protagoniste de The Double.

Ne dérogeant pas à sa réputation d'intellectuel, pour son second film, il a décidé d'adapter un roman de Dostoïevski, Le double, et en met en exergue toute la nature absurde, bureaucratique et claustrophobique. C'est dans cet univers anxiogène que nous introduit d'emblée la première scène du film. Dans un wagon de métro vide au néons hésitants, est assis un jeune homme, Simon, costume gris marronnasse, un attaché-case sur les genoux. Un homme s'avance et se plante devant lui. Il lui dit "Vous êtes à ma place" et lui fait signe de s'en aller. Simon s'exécute. Dès lors, nous savons à quel personnage nous avons affaire. Un jeune homme, ne sachant trop quelle est sa place, et prêt à la laisser à un autre, si on l'y pousse un peu.


Et sa place, il va justement se la faire subtiliser, par la pire némésis qu'on puisse avoir, soi-même et en même temps, son contraire. En effet, son double maléfique, mais aussi charismatique que lui est timide, aussi séduisant que lui est maladroit, aussi audacieux que lui est effacé va débarquer du jour au lendemain et obtenir tout ce qu'il attendait de la vie, tout ce qui lui donnait un sens: le job, la fille.

Son job, c'est aligner des chiffres dans un box, faire consciencieusement ses heures sup, et bosser parallèlement sur un projet d'amélioration des processus de l'entreprise afin de rencontrer, un jour, son inaccessible grand patron. La fille (Mia Wasikowska, qui enchaîne les bons films cette année), c'est la jolie reprographiste de son entreprise, sa voisine d'en face, qu'il observe par la fenêtre peindre et déchirer de petites images qu'il va chercher au vide-ordure et collectionne religieusement.

L'arrivée de James, le double prodige de Simon, va d'abord lui permettre de voir celui qu'il avait toujours rêvé d'être et le plonger dans un véritable cauchemar. Il en devient le souffre douleur et est condamné à l'observer faire écrouler tous ses projets, comme un enfant sadique prend plaisir à écraser les châteaux de sables des autres.


 Le cinéma de Richard Ayoade est un cinéma référencé, on y retrouve du Terry Gillian, du Hitchcock, du Wong Kar Wai, mais il crée son propre monde, une uchronie où les individus sont maintenus dans une servitude volontaire, des conditions tout juste vivables, une solitude désespérante, une bureaucratie toute puissante. Un monde où l'on crée une brigade spéciale pour les suicides par quartier, tellement le travail y est conséquent. Le film est d'un pessimisme profond, d'un désespoir presque complet (la seule lueur d'espoir étant d'un cynisme assez mordant). L'humour est bien présent tout au long du film, mais c'est un humour de l'absurde, qui fait sourire, mais nous laisse cependant inquiets. La tendresse est aussi là, ainsi que de beaux moments, mais tous empreints de nostalgie et du sentiment d'une occasion ratée. Ces moments ressemblent aux belles chansons sixties qui jalonnent le film, d'une beauté désuète et défraîchie. La bande originale d'Andrew Hewitt est d'ailleurs d'une qualité assez exceptionnelle, participant à nous enfermer dans l'angoisse de Simon.



Il faut absolument souligner la performance de Jesse Eisenberg qui réussi à interpréter les deux rôles avec beaucoup de subtilité. Il donne au personnage de James ce qu'il faut d'opportunisme charmeur, de violence souriante, de psychopathie élégante. Avec Simon, il trouve lui aussi son clown triste, et si dans un premier temps, ses rêves le rendent attachant, son désespoir et son angoisse, par la suite, sont complètement bouleversants. Et, je ne l'avais jamais remarqué avant ce film, mais il est aussi d'une beauté absolument désarmante.



En résumé, pour moi, ce film est d'ores et déjà l'un des meilleurs de l'année, avec Only lovers left alive. Comme ce dernier, il développe un véritable univers, aussi bien visuel que sonore (parce que j'ai parlé de la musique, mais le sound design est aussi incroyable). Comme ce dernier, il nous laisse groggys au sortir de la salle, alourdis d'une étrange nostalgie, celle qui est sans cesse présente dans le film, mais aussi celle que nous éprouvons, nous spectateurs, à quitter ces personnages, cette ambiance qu'on sait qu'on ne retrouvera pas ailleurs. Les oreilles un peu bourdonnantes, les yeux qui refusent de s'adapter à la lumière, là, dehors, l'impossibilité de parler pour rester dedans encore un peu pour se repasser des scènes, laisser l'ivresse d'un film agir encore un peu...









4 commentaires:

  1. J'avais hâte de le lire cet article.
    Comme tu le sais je ne suis pas sortie aussi enthousiaste que toi de ce film, par contre c'est toujours un plaisir de te lire!

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    1. Oui, je suis comme qui dirait un peu à la traîne en ce moment, mais promis, je vais me rattraper.
      Merci pour tes compliments, ils me vont toujours droit au coeur! :-)

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  2. Je ne connaissais pas ce film, ça a l'air d'être du cinéma qui me plaît.
    Avec des acteurs que j'aime beaucoup.
    Si j'y pense et si j'ai le temps, pourquoi pas?
    Merci de la découverte!
    Bisous

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    1. Merci! La difficulté sera surtout de trouver une salle qui le diffuse encore (on va dire que je suis un peu à la bourre, sur ce coup là) ;-)

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