jeudi 24 décembre 2015

Humbugs and frogs



Ce mois-ci, Potzina a proposé un thème bien étrange pour la saison pour son ciné-club: les films de Noël. c'est l'occasion pour moi de vous parler de mon film de Noël préféré, mon film de Noël plaid et orangettes, celui que je regarde toujours à cette période de l'année et même en dehors, et qui a ma préférence sur même La vie est belle de Capra (ouais, carrément). 


Pour comprendre mon choix, on va faire un petit retour en arrière sur mon histoire de Noël favorite, depuis bien longtemps. Mais regardez qui voilà! Une « étrange silhouette, celle d’un enfant ; et néanmoins, pas aussi semblable à un enfant qu’à un vieillard vu au travers de quelque milieu surnaturel, qui lui donnait l’air de s’être éloigné à distance et d’avoir diminué jusqu’aux proportions d’un enfant ». Le fantôme des Noëls passés! Suivons le!





Années 80. Une petite fille en sous-pull qui gratte, collants qui grattent et robe-salopette en velours est assise par terre, un livre d'images devant elle. C'est la période de Noël et elle vient d'avoir son nouveau "Raconte-moi des histoires" (ancêtre de l'audio-book) spécial Noël. Dans le radio-cassette, une voix lui narre une histoire fantastique. Une histoire qui fait encore plus aimer Noel. Parce qu'elle rit des péripéties d'un vieil avare, parce qu'elle pleure devant la tragédie du petit Tim, parce qu'elle frissonne de peur devant un devant un fantôme de mauvais augure. Tous les éléments de ce qu'elle va aimer plus tard au cinéma sont là, sur le papier et sur la bande de la cassette. Elle en oublie le sous-pull et les collants qui grattent et se met à rêver. Elle ne le sait pas encore, mais elle vient de découvrir son premier grand auteur, son premier grand classique: Un chant de Noël, de Charles Dickens.


Vous l'aurez donc compris, le film que j'ai choisi a donc un rapport avec le plus beau conte de Noël jamais écrit, une histoire de rédemption magnifique, avec le vieux grincheux le plus adorable du monde. Mais il a un truc en plus, un truc qui hurle "magie de Noël" à tue-tête, un truc adoré des petits et des grands: un truc vert avec une voix nasillarde, un truc rose avec une chevelure blonde, un truc bleu avec un nez qui pendouille. Oui, oui? Comment rendre Dickens encore plus magique? Il suffit d'y ajouter... DES MUPPETS!!!!!





Mon film de Noël préféré est donc Noël chez les Muppets, chef d'oeuvre (non, je n'ai pas peur des mots) de Brian Henson, fils de Jim du même nom, le marionnettiste le plus fabuleux que la terre ait porté.


Mais attention, la cloche sonne et voici venir un jovial géant aux joues bien rouges: c'est le fantôme du Noël présent.





Une jeune femme d'une beauté irréelle (ben quoi, c'est Noël, on offre un peu de rêve, que diable) est assise en pyjama sur son canapé. Devant elle, un chai au chocolat, des chocolats, des cadeaux de Noël à finir de coudre à la main, et un écran diffusant Noël chez les Muppets. Elle voit ce film pour la 30ème fois, mais elle se sent toujours comme une enfant en sous-pull et collants qui grattent. Elle rit aux facéties de Gonzo qui dit être Charles Dickens, elle s'amuse des apparitions fantomatiques des 2 vieux du balcon, elle s'émeut des malheurs de la famille de Kermit et Miss Piggy. Elle chante les chansons qu'elle connait maintenant par coeur, qui sont drôles et adorables. Et elle surkiffe Sir Michael Caine dans ce qui pour elle est son meilleur rôle à ce jour: celui d'Ebenezer Scrooge, vieux grigou avare et méchant, qui va redécouvrir la bonté et la joie de Noël grâce à trois fantômes fabuleux. Elle trouve que les relations entre l'acteur et les marionnettes fonctionnent à merveille, et qu'on oublie très vite que l'un est fait de chair et de sang, et les autres de fils, de tissu et de mécanismes. Elle est tellement bien avec ce film qu'elle en oublie l'aiguille qui pique et se met à rêver.





Voilà, moi je vais rester un peu là, à attendre le dernier son de cloche et le fantôme des Noëls à venir. Et j'espère qu'il me montrera une vieille dame, entourée d'enfants, chantant à tue-tête "Thankful heart"


Merry Christmas to us all!








mercredi 16 décembre 2015

Der Samourai: Hara Queery



Grâce au site Cinétrafic (qui le recense parmi les meilleurs films traitant de l'homosexualité de 2015 et propose également une liste de films produits en 2014),  j'ai pu découvrir en DVD un film allemand, que j'avais raté en salles cette année, mais dont la bande-annonce avait bien aiguisé ma curiosité: Der samourai. (Ils présentent aussi en ce moment une liste de films produits en 2014, si vous voulez vous faire une petite rétrospective)

Derrière ce titre nippon-teuton, se cachait effectivement une bien mystérieuse histoire. Dans un petit village allemand environné de forêt, un loup rôde. Jakob, jeune policier de la bourgade, lui laisse de la nourriture dans la forêt pour le dissuader de s'approcher des habitations. Mais un soir, la menace se fait plus effrayante: un troublant jeune samourai blond, vêtu d'une robe de mariée, vient perturber la placidité du village du tranchant de son sabre. La poursuite entre les deux jeunes hommes commence, sans que l'on sache vraiment qui des deux est le chasseur, ou la proie.



Il m'est difficile d'avoir un avis tout à fait tranché sur ce film, car je continue de m'interroger sur ce samourai. Il garde encore un mystère que je n'arrive pas complètement à élucider, et sans trop savoir si c'est bien ou pas, j'avoue que je suis toujours intriguée.

En effet, sans trop vouloir dévoiler du scénario, il y a de nombreuses choses qui restent opaques: sur les motivations des personnages, sur l'apparition du surnaturel, sur le rôle exact du loup, etc... Till Kleinert, réalisateur et scénariste, choisi de nous laisser le choix de l'interprétation, ce qui est un choix, même chez Lynch, qui peut parfois m'irriter suivant dans quelle disposition je suis, parce que si je suis mal lunée, je me dis juste que le scénariste a été trop fainéant pour avoir un point de vue. Là, ça va, je l'ai plutôt bien accepté, mais il me semble que cela peut être particulièrement dangereux, surtout si, comme ici, on traite de sujet parfois épineux, comme la difficulté d'assumer ses préférences sexuelles dans un milieu rural très claustrophobe. Je ne prête bien évidemment aucune pensée homophobe à Kleinert, mais laissés à l'interprétation de chacun, j'ai bien peur que les rapports de cause à effets présents dans le film (boudiou, que c'est difficile d'en parler sans ne rien dévoiler) ne soit pas raccourcis par certains idiots... C'est peut-être pas du tout le cas, mais le manque de point de vue m'interroge tout de même. Bref, j'hésite à parler plus du scénario, parce que je risquerai d'en dévoiler trop, trop vite, parce qu'il faut bien dire que ce film est tout de même assez court (1h15), mais ce format convient plutôt bien à cette histoire.



Si le scénario me laisse un peu dubitative, je ne peux en dire autant de l'esthétique de Till Kleinert qui m'a conquise. Il le dit lui-même dans l'interview qui suit le film, ce qui l'intéresse avant tout, c'est de créer des images qui touchent. Et là, on peut dire que ça a vraiment marché sur moi. Tout d'abord parce que le directeur de la photographie, Martin Hanslmayr fait avec de petits moyens un travail très impressionnant: la nuit profonde est superbement rendue, éblouie de flash de couleurs très saturées: le blanc de la robe du samourai, le jaune verdâtre des éclairages publics, le vert éclatant de la forêt et surtout, le rouge du sang. On pense à la fois au giallo et à une forme de réalisme à l'allemande, ce qui correspond tout à fait à l'atmosphère du film, qui oscille entre un réalisme rural et rugueux, et un fantastique à la lisière des contes de fées.

Quant à la création d'images, j'ai été servie, car nombreuses sont celles qui ont imprimé ma rétine par leur beauté et leur singularité: une séance de maquillage dans une maison délabrée, aussi inquiétante qu'envoutante, une poursuite à la fois ludique et menaçante dans la forêt, rythmée par des éclairs de lampes torche, un duel sur une écluse, une scène de danse très casse-gueule, qui pourrait être à la limite du ridicule, mais qui se révèle assez belle et émouvante, un final flamboyant...



Quant au duo d'acteur choisi pour tenir ce film à bout de bras, j'avoue que j'ai été très séduite. Ils ont en commun d'avoir des physiques très singuliers, à la fois très beaux et inquiétants, et ils sont tous les deux assez troublants. Pit Bukowski, le samourai, avec son sourire que l'on dirait coupé au fil de son sabre, est d'une grâce assez incroyable (ce qui, soit dit en passant, en courant dans la forêt en robe de mariée ne doit pas être donné à tout le monde), même si je regrette le un peu un cabotinage ponctuel à la Nicholson. Mais c'est surtout Michel Dierck, avec ses yeux tout en pupilles et ses faux airs de John Simm qui m'a le plus impressionnée. Il est absolument parfait pour incarner toute la complexité de son personnage: sa douceur et sa violence rentrée, sa frustration, son goût du devoir et ses désirs de transgression. Je l'ai trouvé à la fois touchant et bien flippant (donc carrément craquant, c'est l'effet Anthony Perkins). Tous les deux forment un très beau duo et j'ai été très séduite par leur relation faite de jeu, de menace, de défis, mais surtout d'un désir terriblement fort, qui crève l'écran et qui en font un beau couple de cinéma (les plus beaux couples du cinéma sont toujours des ennemis mortels).

Petit mot sur la musique également, je n'en parle pas souvent, mais là, j'ai vraiment craqué sur la bande originale de Conrad Oleak, très inspirée des films d'horreur 80's, qui convient tout à fait à l'univers de Der Samourai.

Le DVD

Le DVD, édité par Blaq Out (présent aussi sur Facebook) est sorti le 17 novembre 2015.

En premier lieu, je dois dire qu'ayant reçu le DVD de manière assez exclusive, je ne pense pas avoir reçu un DVD destiné à la vente, parce qu'il ne possédait pas d'étiquette (Du coup, bien évidemment, la première fois que je l'ai mis dans mon mange-dvd, je l'ai mis à l'envers parce que je suis une grosse maline...). Il y aura peut être des différences avec les dvd en vente, et quelques erreurs seront sûrement absentes dans ces derniers.

Tout d'abord, la pochette du DVD est cartonnée (c'est idiot, mais mes étagères à dvd aiment, elles se sentent tout de suite plus belles qu'avec des pochettes plastifiées), et elle présente la magnifique affiche dessinée (ouais, comme au bon vieux temps) du film. Un artwork absolument sublime, ça fait tout de suite envie.



Pour les bonus, il y a une interview particulièrement intéressante de Till Kleinert, qui permet de mieux approcher son travail, et notamment la conception esthétique qu'il en a. Il y a aussi 2 courts métrages: Kokon, sur une coupe de cheveux, qui n'a guère d'intérêt, et Cowboy, sur lequel j'aurai bien de mal à me prononcer. En effet, les sous-titres ne correspondaient pas au film et mon allemand n'étant plus qu'un lointain souvenir s'arrêtant à l'Hymne à la joie et au Erkölnig, je me suis arrêtée au bout de 5 minutes. J'ai juste pu observer une nouvelle fois une très belle photographie et la présence de Pit Bukowski. Dommage!




mardi 1 décembre 2015

La belle promise: de belles promesses?


Grâce au site Cinetrafic qui, en cette fin d'année, présente ses coups de cœurs 2015 et les sorties ciné 2016, j'ai eu la possibilité de découvrir, en DVD, le film La Belle Promise, la première réalisation de fiction de la scénariste Suha Arraf (La fiancée Syrienne, Les citronniers).

La Belle Promise (j'avoue y préférer le titre original Villa Touma, beaucoup plus parlant à mon avis, et moins gnan gnan) raconte l'histoire de la jeune Badia (Maria Zreik), une orpheline recueillie dans une belle maison à Ramallah , un peu à contre-coeur, par ses tantes, aristocrates palestiniennes chrétiennes, qui ont pratiquement tout perdu au lendemain de la guerre des six jours, si ce n'est leur maisons et leurs très bonnes manières. Les trois sœurs vivent recluses dans leur maison, portant les mêmes tenues que dans leurs plus jeunes années, et ne laissent rien pénétrer du tumulte du monde qui les entoure. A l'arrivée de Badia et de ses jeans, tout va changer. Badia va devoir devenir une parfaite fille de bonne famille et une promise idéale, et les 3 sœurs vont bien devoir s'ouvrir sur le monde extérieur.



Décidément, avec Mustang et Notre petite sœur, 2015 aura été l'année des frangines, du gynécée et du sista powa, mais les personnages féminins intéressants n'étant pas toujours légion, on ne va pas s'en plaindre. Le scénario La Belle Promise se situe d'ailleurs bien entre les deux films, entre la réclusion et la volonté de marier à tout prix de Mustang et l'arrivée d'une nouvelle sœur dans Notre Petite sœur. Pour moi, le film n'atteint pas le lyrisme du premier, ni la tendresse profonde du second, mais reste un très joli film. Sans être un gros coup de cœur, j'avoue l'avoir apprécié sur de nombreux points.

Tout d'abord, le scénario assez resserré (le film dure 1h22) de La belle promise est assez bien écrit. On a, en très peu de temps, la possibilité de vivre une période avec la famille grâce à une alternance de scènes de la vie quotidienne et de scènes dramatiques, qui nous font percer l'intimité des personnages et leurs conflits. Les personnages sont assez bien écrits, on apprend peu à peu à les découvrir et avec une belle économie du scénario, Suha Arraf nous permet de les approcher, de mieux les comprendre et les apprécier.

Il faut dire que la réalisatrice peut ici compter sur un bon casting: Nisreen Faour campe une Juliette aux allures de gouvernante délicieuse de rigidité, Ula Tabari joue une Violette torturée, la jeune Maria Zreik, pour qui c'est un premier rôle, apporte une belle innocence et fragilité à son personnage et surtout, la belle Cherien Dabis (réalisatrice d'Amerrika et May in the Summer) illumine complètement le film dans le rôle d'Antoinette, personnage solaire à la jeunesse sacrifiée, ressurgissant grâce à la présence de Badia.



Le ton du film est difficile à cerner: on est entre la comédie sociale, le drame familial et la tragédie. On rit parfois de bon cœur (par exemple quand Juliette, avec tout le dédain dont elle est capable, déplore qu'aujourd'hui, tout le monde puisse avoir du diabète, la maladie étant réservée aux seuls aristocrates dans le bon vieux temps) et on peut être aussi très émus. Le souci, c'est qu'on peut avoir un peu de mal à se situer dans ce mélange des genres qui rend l'harmonie générale du film parfois assez bancale.

La réalisation est somme toute assez classique, mais ne manque pas de subtilité, et la lumière est assez belle, mettant bien en évidence l'opposition entre l'univers claustrophobique de l'intérieur de la maison et la clarté de l'extérieur.

Sans être un chef d'œuvre, La Belle Promise reste cependant un joli premier film, et je vais désormais m'intéresser de plus près à Suha Arraf qui fait ici des débuts prometteurs derrière la caméra.



Le DVD

Edité par KMBO Editions, le DVD sorti le 3 novembre se présente dans une belle pochette cartonnée en getfold (oui, je parle en vinyl), un détail que j'apprécie toujours face aux pochettes plastifiées.

Dans les bonus, on peut retrouver une interview de Suha Arraf , très intéressante puisqu'on y découvre comment elle en est arrivée à la réalisation, les difficultés (notamment pécunières) qu'elle a rencontrées, et la génèse du scénario, qui est une belle histoire. Il y a aussi des scènes coupées tout à fait pertinentes. J'avoue même que j'aurais aimé les voir dans le film, car elles apportent pour certaines, plus d'émotion et d'informations, notamment pour le public que nous sommes, pas forcément au fait de la société palestinienne.

La seule chose que j'ai regrettée, c'est que le doublage ne soit proposé qu'en Français, ce qui peut être dommage si l'on souhaite faire découvrir le film à des amis non-francophones. Une version anglaise aurait été bienvenue.



dimanche 29 novembre 2015

Une nouvelle Amy




Si vous me lisez régulièrement, vous devez savoir qu'il y a une chose que j'adore, mais que je trouve bien mal accueillie en France, c'est la grosse comédie américaine. Donnez-moi du Ben Stiller, du Farelly, du Jack Black, du Will Ferrel, du Kristen Wiig, une pizza et de la bière, et je passe une soirée de rêve. Parce que oui, je l'avoue sans détour, le pipi-caca-prout bien dosé, les gros gags parodiques et les gens qui se vautrent par terre en beauté, ça fonctionne très très bien avec moi. Je sais que je devrais être une femme distinguée échangeant des sourires entendus devant un bon mot philosophique de Woody Allen et une truculente idée de Wes Anderson, en tordant une moustache imaginaire et en faisant "meuheuheu" (c'est peut-être pas très parlant comme ça, mais Tom fait ça très bien). Mais non, moi j'aime bien exploser de rire devant des gags aussi délicats qu'un vomi inopiné ou une bataille d'essence entre supermodèles. Pour ceux qui ont compris la dernière référence, arrêtez de rougir, et avouez vous aussi, que le film que vous attendez le plus en ce moment et depuis 6 mois, c'est 2oolander (sérieusement, jetez-vous sur la bande-annonce, c'est un régal!).

Bref, vous voulez me faire plaisir, une bonne comédie US sans autre prétention que celle de me faire rire, c'est parfait (clin d'œil: c'est bientôt Noël, je dis ça, je dis rien). Ça a l'air simple, comme ça, mais c'est loin de l'être: trouver une salle qui diffuse ce genre de film en VO à Lyon tient souvent du challenge (j'ose à peine imaginer ce que cela peut être dans des villes qui ont moins d'écrans à leur portée). Parce que le doublage, c'est la mort de ces films-là, il faut le dire. Si vous en doutez, essayer de revoir School of Rock en français (ou plutôt Rock Academy), vous m'en voudrez à mort jusqu'à la fin de votre vie. Quand on voit le succès de certains de ces films en DVD, je pense que certains distributeurs feraient bien de penser à nous, public exigeant qui aime les sons d'origines et les grosses blagues.

Donc autant vous dire que quand j'ai vu qu'il m'était possible de voir en VO et en salle Crazy Amy (titre français de Trainwreck), le dernier film de Judd Apatow avec Amy Schumer, j'ai regardé mon cher et tendre avec les yeux du Chat Potté, et on y est allés pratiquement sur le champ. D'abord, parce qu'en ce moment, j'avais vraiment, vraiment très envie de m'amuser au cinéma. Et puis parce que Judd Appatow, même si je lui préfère les frères Farelly (question de génération, sans doute), est un peu un des Kings du genre actuellement (réalisateur de 40 ans, toujours puceau, En cloque ou Funny People et producteur de Supergrave, Mes meilleures amies ou Walk Hard). Mais surtout, surtout, il y a Amy Schumer, une comédienne incroyablement, drôle, trash et féroce. Avec l'émission Inside Amy Schumer, elle m'avait déjà fait bien marrer avec des sketchs archi gondolants. Pêle-mêle, je vous conseille sur Youtube The Last F***able day, une critique du machisme hollywoodien bien sentie avec Tina Fey, Julia Lewis Dreyfus et Patricia Arquette, le pétaradant Horror Movie qui m'a fait pleurer de rire, ou l'impitoyable Générations sur le racisme ordinaire. Cette fille ose tout, elle n'hésite pas à se mettre en danger ou à se montrer parfois comme une personne détestable, elle est cruelle, souvent méchante, toujours maladroite, et sacrément culottée. Et sous ses gros sabots comiques, il y a un fond très caustique. Après avoir découvert un de ses sketches il y a quelques mois, j'ai passé pratiquement une nuit entière à m'enfiler tous les autres, et à pouffer comme une gamine de 14 ans. Alors quand j'ai vu sa trombine sur une affiche de cinéma, j'étais aussi impatiente que cette gamine de 14 ans à l'annonce d'un nouveau clip de One-D.



Amy, le personnage de la série, est donc un personnage assez proche de Amy, le personnage de l'émission créé par Amy, la comédienne. Amy, donc, est journaliste pour magazine masculin, genre Cosmo pour mâles, et vit à New York. Sa vie nocturne et sexuelle est très animée, et ça lui va parfaitement bien. Son père, aujourd'hui atteint de sclérose en plaques et en maison de retraite, lui l'a bien appris avant de quitter sa mère: "La monogamie, c'est pas réaliste". Si sa frangine n'a rien compris de la leçon, puisqu'elle est mariée et vit en banlieue avec sa famille, Amy, elle l'a bien intégrée et enchaîne les one night stands. Jusqu'au jour où, pour un article, elle va devoir suivre le chirurgien favori grands sportifs, Aaron, romantique et fan d'"Uptown Girl".

Alors oui, c'est vrai, le scénario de Crazy Amy ne révolutionne rien dans le petit monde de la comédie romantique gentillement trashy. C'est bel et bien le schéma habituel des contraires qui s'attirent, du bonheur, de l'échec puis de la reconquête. Et oui, on connait ça par cœur. Mais en ce qui me concerne, c'est pas grave, parce que ce schéma là, il marche à tous les coups, surtout si on nous amène à aimer les personnages, et c'est la recette des meilleures comédies romantiques. Vous ne me croyez pas: revoyez 4 mariages et un enterrement, Un jour sans fin, Quand Harry rencontre Sally: même schéma et je serai bien la dernière à m'en plaindre.




Donc, sans être la comédie de l'année (parce que Shaun the Sheep), mais n'empêche, je me suis quand même franchement marré. Les dialogues fonctionnent bien, la comédie de situation est bien menée, ça va très loin, presque trop loin, c'est même parfois à la limite de l'acceptable, mais ça marche. Franchement, l'alliance Schumer/Apatow, même si on sent parfois qui a apporté quoi, est plutôt harmonieuse.

Oui, étrangement, on peut dire que cette Crazy Amy est finalement pas mal équilibrée. Parce qu'une fois qu'on a allé assez loin dans le trashy, on parvient à nous emmener vers l'émotion, de manière finalement assez subtile (même si on sent que tout ça fait partie du plan du scénario qui n'a rien de bien innovant). Et là, j'ai pu apprécier le talent d'Amy Schumer. Parce que ce n'est pas que le clown de la classe qui raconte des blagues salaces pour faire rire les copines. Elle démontre ici qu'elle peut apporter un fond à ce personnage à une dimension qu'elle avait créé dans ses sketchs. Et elle devient ici émouvante, charmante, tout simplement adorable. Le personnage de comédie romantique auquel toute femme de plus de trente ans a envie de s'identifier. D'autant que face à elle, Bill Hader qui joue Aaron est tout simplement craquant. On  lui pardonnerait presque ses goûts musicaux discutables.



La seule chose que je regrette un peu, et qui me manque si je compare aux sketchs d'Amy Schumer, c'est le regard très caustiques sur la société, sa façon de dénoncer sans politiquement correct qui font que j'admire cette actrice. Par exemple, son sketch sur le procès de Bill Cosby, en plus d'être très drôle, était extrêmement culotté et osait mettre en avant l'hypocrisie de la société face au viol. Dans Crazy Amy, on reste quand même assez loin des gros sujets de société et même s'ils sont évoqués en fond (le racisme, notamment), on ne retrouve pas le ton acerbe qu'elle pouvait avoir en petit format.

Je n'ai cependant pas boudé mon plaisir et passé un très bon moment devant ce film, et j'ai passé allègrement la barre du rire tonitruant (tu sais, celui qui sort malgré toi, qui te fais un peu honte parce que tu sens que des gens te regardent, et que tu essaies de cacher, mais qui finit par te sortir par le nez). Et mon coeur de midinette qui aime les comédies romantiques rondement menées a aussi un peu fondu. C'est pourquoi en ces périodes grisâtres, je le conseille vivement. C'est un film chocolat au lait et aux noisettes: tu sais que c'est pas du 90% cacao, que c'est pas la méga-classe, c'est peut être même pas le meilleur chocolat au lait et aux noisettes du magasin (février 2016, 2oolander), mais bon sang, après une journée de daube, c'est un bonheur sans nom de croquer dedans à pleines dents.



PS: Je m'engage personnellement à faire une bise à l'exploitant indépendant qui me permettra de voir 2oolander en VOST pour moins de 9€ à Lyon ou même à St Etienne.








mardi 24 novembre 2015

Boxcar Bertha: Premiers wagons d'une belle locomotive du cinéma



Une nouvelle fois, le thème du ciné club de Potzina était très alléchant ce mois. Je dis le thème, mais je devrais dire les thèmes: "le film historique" et "Martin Scorcese". Deux thèmes passionnants, que j'ai décidé de marier pour ce post, avec le film Boxcar Bertha, réalisé donc par Martin Scorcese et que l'on peut considérer comme un film historique, puisque c'est adapté de la biographie de Bertha Thompson, criminelle durant la Grande Dépression.

Disons-le tout de go, si Boxcar Bertha n'est pas le plus connu des films de Scorcese, c'est probablement parce ce n'est pas son meilleur. Ici, pas de trésor inestimable caché, que l'on retrouve en criant "O génie!". Mais bon, cela reste un des tout premiers films du réalisateur-culte (avant même Mean Streets), et comme on va le voir très vite, les premiers symptômes du talent sont bel et bien là. Et ça prouve bien une chose: on ne nait pas excellent réalisateur, on le devient.

Boxcar Bertha est donc l'histoire de la toute jeune Bertha Thompson (Barbara Hershey), fille d'un aviateur surtout payé (quand il l'est) pour répandre des pesticides dans les champs de grands propriétaires du Sud des Etats-Unis. Lorsque ce père idéal meurt dans un accident, Bertha prend ses cliques, ses claques, le blouson d'aviateur du daron et le premier train pour ailleurs. Mais c'est la Grande Dépression, alors le train est un wagon de marchandise à bord duquel elle grimpe clandestinement. Au cours de son voyage, elle croise le beau syndicaliste, Big Bill Shelly (David Carradine) sous le charme duquel elle tombe. Poursuivant son périple, elle va également s'acoquiner avec un arnaqueur yankee, Barry Primus. Quand le triangle amoureux va se retrouver entre 2 wagons, ce sera pour former un petit gang de malfaiteurs spécialisé dans les attaques de train.

Comme je le disais, tout n'est pas formidable dans ce premier petit film d'un grand. Le traitement de l'histoire est très inégal, cela traîne parfois en longueur et  on ne comprend pas toujours tout ce qui se passe. C'est un peu bordélique, et ce n'est pas le montage très souvent foireux qui aide. Scorcese n'avait pas encore rencontré son alter-ego des ciseaux et de la pellicule, Thelma Schoonmaker, et c'est un certain Buzz Feitshans qui monte le film. Ce dernier comprendra vite son erreur d'orientation, puisqu'il quittera le métier de monteur pour celui de producteur qui lui apportera plus de succès puisqu'il est crédité en tant que tel sur Rambo, Conan le Barbare ou Total Recall. Mais on imagine que son travail n'a pas non plus été facilité par le tout petit budget du film, on sent bien que les plans de coupes ne sont pas légions, et qu'il faut utiliser au maximum le peu de pellicule imprimée.

Parce que oui, Boxcar Bertha est un film fauché: il est produit par Roger Corman (grand maître de la  série B) et est distribué comme un film d'exploitation en double-bill. Ce qui veut donc dire qu'on va voir des gens tout nus (mais bon, faut dire que pour une fois, Barbara Hershey ne sera pas la seule à apparaître en tenue d'Eve, les filles qui se sont toujours demandé à quoi ressemblait le ténébreux héros de Kung-fu sans son kimono seront servies), et des seaux de peinture rouge sang. J'entends que ça peut paraître un peu cheap pour le futur réalisateur du Loup de Wall Street, mais si l'on se replace dans le contexte socio-culturel de l'époque, c'est plutôt prometteur. Le cinéma d'exploitation a permis à de nombreux réalisateurs de faire leurs armes dans les années 70.



Et puis, dans ce film, il y a déjà un tas de bonnes choses. Malheureusement, vu le montage, on ne peut que parler de tas, tant tout est en désordre. Notez d'ailleurs que c'est un très bon film pour comprendre la valeur du montage: quand il passe inaperçu, et qu'on comprend tout, c'est que c'est un bon montage; quand, en plus, l'enchaînement des images crée un supplément d'âme et de sens, c'est qu'on est devant un très bon monteur, et c'est ce qui arrivera dès que Miss Schoonmaker rejoindra l'équipe de Tonton Martin, parce qu'à mon avis, il lui doit une partie non négligeable de son succès.

Bref, commençons par le cast: Barbara Hershey arrive à insuffler toute la jeunesse à son personnage, son innocence et sa joie de vivre. Cette joyeuseté même de l'adolescence en devient même effrayante, notamment lors des scènes de braquage, activité qu'elle traite comme un jeu insouciant, s'amusant comme une petite folle à jouer de la gâchette. David Carradine est aussi très convaincant en syndicaliste poussé au crime, qui essaie malgré tout de conserver son intégrité. Il est le seul personnage derrière lequel on ressent une véritable profondeur dramatique, un vrai conflit.



Le scénario, s'il est mal rythmé, reste aussi intéressant: il traite d'une période très difficile de l'histoire des Etats-Unis, et y intègre des éléments qu'on oubliait souvent à l'époque, et pour cause, très mal vus à Hollywood: le syndicalisme et la ségrégation. Parce que nous sommes bien dans le Sud, et que le personnage de Von Morton, membre afro-américain du petit gang, interprété par Bernie Casey( qu'on retrouvera dans Jamais plus jamais), est un joli personnage, et fourni une des plus jolies scènes du film, dans un club de blues. La plongée dans l'époque est très réussie, malgré le petit budget, on y sent le poids de la corruption et la nécessité de s'en sortir par tous les moyens.

Et puis, il y a surtout les débuts très prometteurs d'un réalisateur qui commence dès lors à montrer une belle patte. On y retrouve certaines obsessions toujours présentes chez lui: le crime, la camaraderie, la rédemption, l'image de la crucifixion, etc... Et on y voit déjà un talent certain pour la réalisation. J'en veux pour preuve quelques très belles scènes. Une jolie scène d'amour entre Bertha et Bill, vu par l'encadrement d'une porte dans une usine désaffectée: un cadre dans le cadre, comme pour protéger les deux amants, et, par la fenêtre, la nature automnale. La scène dans le club de blues où Bertha, comme enchantée par la voix et l'harmonica de Von Morton, entre, traverse une salle aux regards désapprobateurs sans même les remarquer, trop à la joie de retrouver son ami. Et bien évidemment, la scène finale, une scène qui lie à jamais les personnages aux wagons de marchandise si souvent empruntés, une fin tragique d'une violence extrême s'opposant à la beauté de la nature et à une somptueuse lumière naturelle. Et rien que pour ces trois scènes, peu importe le montage foutraque et la production fauchée, on est heureux d'avoir vu ce film.



PS: Je voulais juste noter que j'ai eu l'idée de choisir ce film en allant voir à la Cinémathèque française la très belle exposition consacrée à Martin Scorcese (allez-y!), qui a eu la bonne idée de diffuser la très belle scène finale de Boxcar Bertha. Je me suis alors souvenu que j'avais ce film dans ma DVDthèque et que je ne l'avais pas revu depuis un bail. Ca faisait très longtemps que je n'étais pas montée à Paris et ça m'a fait très plaisir de voir cette magnifique expo. C'était le vendredi 13 novembre et j'en garde un précieux souvenir.



Je ne le fais pas d'habitude, mais pour cette fois, je vous embrasse fort (et surtout toi, l'autre Sabrina ;-) ).










mardi 10 novembre 2015

Notre petite soeur: Les 4 filles du Dr "Baka"



Hier, je vous parlais d'un film qui aurait pu être un très joli film, mais qui, à cause d'une mise-en-scène tape-à-l'oeil escamotant l'émotion, ne finissait par être qu'un film intéressant. Et bien le Blog Baz'art (j'ai décidément été très gâtée) m'a permis de trouver le contre exemple en m'offrant la possibilité de voir le dernier film de Hirokasu Koreeda, Notre petite sœur. Ce très beau film montre, pour moi, exactement comment une réalisation en apparence très classique peut mettre en valeur un récit, aussi simple soit-il, et en faire partager toute l'émotion.

Donc voilà, après le très joli Tel Père, tel Fils l'an dernier, Koreeda poursuit sa réflexion sur la famille, en se focalisant ici sur une sororité. Depuis le départ de leur mère 14 ans auparavant, délaissée par leur père pour une autre femme, 3 sœurs partagent la vieille maison de leur grand-mère. Sochi, l'ainée, infirmière, s'occupe comme d'une mère de Yoshino, la cadette délurée et de Chika, la benjamine originale. A la mort de leur père, qui avait refait sa vie à plusieurs reprises, elles rencontrent la jeune Suzu, leur demi-soeur, qui se retrouve forcée de vivre avec sa belle-mère. Voulant l'aider à échapper à cette marâtre assez peu mature, Sochi lui propose de venir partager leur foyer. Suzu va donc apprendre à vivre dans cette nouvelle famille.

Ici, Koreeda va continuer à poser les questions qui touchent, des questions finalement universelles: sur l'importance ou non des liens du sang dans la création d'une famille, sur la transmission, qu'elle soit volontaire ou non, sur l'héritage, sur le deuil, sur l'individu et le groupe. Des questions assez profondes, mais posées en toute simplicité, par un scénario qui ne cherche pas le conflit dramatique furieux, mais interroge tout en douceur ses personnages, leurs blessures et leur lente reconstruction.
On y voit des personnages de jeunes filles forcées par des parents trop immatures à se priver d'une enfance insouciante, qui tentent de créer entre elles le foyer qui leur a été enlevé. On y voit comment, malgré tout ce qu'on fait pour essayer de s'en détacher, on parvient rarement à échapper à la reproduction familiale (l'une vit une passion avec un homme marié, comme sa belle-mère, une autre prête de l'argent sans compter comme son père, la plus jeune est le portrait craché de la plus âgée). On voit comment la famille, c'est aussi celle qu'on se construit (dans un café, où la gentille patronne accepte de devenir une véritable mère de substitution). La famille, comme partout, est ici autant un moteur qu'un frein: il faut pourtant y trouver sa place pour avancer.



Les conflits des personnages sont profonds et douloureux, et pourtant le film est d'une infinie douceur. Ca a été pour moi un véritable plaisir de suivre ces quatre filles tout au long du film, qui court sur un peu plus d'un an. D'abord, parce qu'on s'attache très vite à ces personnages: en quelques mots, en quelques gestes, les actrices, toutes formidables, les font exister dans toute leur complexité. Haruka Ayase, en particulier, qui joue Sachi, est incroyable: derrière sa stature sévère et ses allures de sainte, elle sait faire apercevoir, par un mouvement de bouche, par un regard, la colère rentrée, la frustration, le remord, parfois. Elle est terriblement touchante, tout comme la jeune Suzu Hirose. Les seconds rôles, quant à eux, même s'ils n'existent que sur quelques scènes, apportent tous une émotion supplémentaire à ce joli film. Mention spéciale à Riri Furanki (le père garagiste de Tel père, tel fils) qui, en quelques secondes de présence à l'écran, parvient tout de même à imposer un rôle très attendrissant.



Et là où Koreeda réussit son film, c'est qu'il utilise une mise en scène qui laisse tout loisir aux personnages et au récit de s'installer, de s'épanouir au fil des saisons (magnifiquement filmées) et par petites touches successives, de retirer une à une les couches qui nous séparent d'eux, finissant par nous émouvoir de manière juste et délicate (ce qui pour moi, se traduit par pleurer comme un veau lors du dernier quart d'heure). La caméra adopte la bonne distance face au personnages, elle se fait souvent discrète, mais nous fait cependant plonger dans l'intime, que ce soit dans les intérieurs (cette vieille maison toujours ouverte sur l'extérieur) ou dans cette magnifique petite ville côtière qui constitue le décor du film. Elle sait à la fois embrasser le groupe, le rapprocher dans le cocon de son cadre, et s'approcher tout près de l'individu, comme dans un gros plan sublime sur le visage de Suzu Hirose lors d'une promenade à vélo. Le film adopte un rythme assez lent qui, si l'on veut bien s'y adonner, nous emporte tranquillement sur le fil de la vie de cette petite famille à laquelle on a l'impression d'être peu à peu intégré, comme Suzu. Je ne saurai vraiment comment l'expliquer autrement, mais c'est un film dans lequel je me suis sentie véritablement accueillie, accompagnée. Je m'y suis totalement abandonnée, au point d'avoir l'impression parfois de partager avec elles leurs repas (petite parenthèse pour dire que c'est aussi un film qui donne très faim). Si j'aime parfois être bousculée, j'aime aussi que l'on soit doux avec moi, qu'on ait confiance en moi et que l'on me propose de partager une expérience.



C'est exactement ce que j'ai ressenti avec ce film généreux: je me suis sentie emportée par ce film, pas parce que j'y étais obligée par des artifices grossiers (j'ai du mal avec la prise en otage émotionnelle de certains films qui ont besoin de pleurs, de cris et de sang à profusion pour m'arracher une larme), mais parce que, avec une douceur et délicatesse, avec une bienveillance salutaire, on m'a amenée à aimer ces personnages et à partager leurs émois. Contrairement à d'autres films qui électrisent sur le coup, mais qu'on oublie 2 h après, je porte encore Notre petite sœur en moi. Je pense qu'on s'est adoptés, et qu'on va encore vivre ensemble quelques temps.










lundi 9 novembre 2015

Séance de rattrapage: mélancolique Manglehorn



Grâce au très chouette blog de mon voisin lyonnais Baz'art, toujours aussi généreux que curieux de tout, j'ai été tirée au sort pour recevoir le DVD du film Manglehorn, de David Gordon Green, avec sa Majesté Al Pacino dans le rôle principal. Je me suis donc empressée de le regarder.

David Gordon Green est un réalisateur à la filmographie assez atypique: elle oscille entre grosse comédie pouet pouet pour laquelle je dois avouer mon affection réelle (Pineapple express, Baby-sitter malgré lui) et film indé plus naturaliste et résolument sundancien (King of Texas, Georges Washington). Manglehorn fait définitivement partie de la seconde catégorie.

Il nous raconte ici l'histoire de Manglehorn, un serrurier aussi verrouillé que les portes qu'il doit ouvrir pour ses clients, qui ressasse sans cesse un ancien amour perdu, à qui il écrit invariablement de très nombreuses lettres sans retour. Il vit seul avec son chat, qui de surcroit n'est pas en grande forme. Ses relations avec son fils, qui s'est lancé dans les affaires, ne sont pas au beau fixe. Son appartement est en désordre, il boit un peu trop et joue aux machines à sous quand sa solitude est trop grande. Pourtant, il voit sa petite fille toutes les semaines. Pourtant, tous les vendredis, il va à la banque et discute avec la jolie Dawn (interprétée par la trop rare Holly Hunter). Pourtant, il se raconte en ville des histoires extraordinaires sur son compte: il serait un être exceptionnel aux pouvoirs quasi surnaturels.



Pour dire la vérité, je pense que Manglehorn aurait pu être un très joli film. Al Pacino est, comme à son habitude, formidable. Il est extrêmement juste et émouvant dans ce rôle de rustre tout de colère rentrée, renfrogné par le chagrin et la solitude. Dès que la caméra s'accroche à lui, à son visage, à sa démarche, à sa voix, le personnage s'offre à nous dans toute sa complexité, dans toute son émotion et je n'ai pu m'empêcher d'être touchée. Holly Hunter est aussi très subtile et à eux deux, ils nous offrent une très belle scène dans une cafeteria, pour moi la plus belle scène du film, à la fois tendre, et drôle et d'une infinie tristesse. C'est toujours un plaisir de voir ces deux acteurs, et ils délivrent là tous les deux une magnifique performance, délicate et humaine, qui avec peu de choses, nous font ressentir toute leur solitude et leur envie d'en réchapper.



Le scénario n'est pas en reste non plus. S'il est vrai qu'il y a, pour moi, un goût un peu trop prononcé pour le symbolisme (le serrurier coincé, la clé cachée, l'essaim d'abeilles sous la boîte aux lettres, les mimes...), Manglehorn reste une jolie histoire qui trouve de la magie dans le quotidien, et qui s'appuie sur de beaux personnages. On est devant une chronique de la solitude tendre et parfois cruelle qui fonctionne assez bien sur le papier: les dialogues, s'ils sont parfois trop écrits, sont tout de même assez drôles et bien sentis. Pour moi, le problème n'est en tous cas pas dans l'écriture.

Non, ce qui gâche pas mal le plaisir de spectateur, c'est la mise en scène. A mes yeux, David Gordon Green réalise là un produit marketé Sundance, avec tous les tics de cinéma indépendant pseudo-arty, au symbolisme à gros sabots et au goût "film de fin d'études d'école de cinéma". Une caméra portée à l'épaule pour faire cinéma-vérité, de longs fondus au noir ou fondus enchaînés à tire larigot, de la musique planante incessante. A trop vouloir en faire, David Gordon Green gâche totalement le potentiel formidable de son film. L'émotion est escamotée par les ronds de jambes de la réalisation, qui devient une véritable caricature de film indépendant. Ca en devient prétentieux, et c'est bien dommage, parce que quand la mise en scène se fait plus discrète, et qu'elle suit son personnage avec authenticité, le résultat peut être très beau, d'autant que la lumière du film, dans les tons de gris-jaunâtres, est assez délicate.

Pour finir, je pense que si l'on parvient à passer au-delà de cette réalisation lassante et outrancière, Manglehorn reste un film qu'il est intéressant de voir: parce que Al Pacino et Holly Hunter, parce qu'une jolie histoire et parce que, malgré le montage insupportable et certains tics de mise en scène, on a parfois droit à des moments empreints d'une douce mélancolie, d'une drôlerie tendre et amère et que quand l'émotion transparaît ainsi, on imagine le beau film qu'il aurait pu être.








lundi 2 novembre 2015

Crimson peak: Dolor is clay born



Voilà, comprenne qui pourra, ça c'est pour le jeu de mots pourri post-halloween, on ne vous dira jamais assez que la consommation excessive de rouleaux de réglisse et de crocodiles en gélatine est dangereuse pour la santé mentale...

Ce week-end, j'ai donc vu Crimson Peak, de Guillermo Del Toro. En même temps, je pouvais pas y couper: un film d'horreur en plein halloween, des acteurs qu'on a envie de voir dans pratiquement tout ce qu'il font, et le réalisateur du Labyrinthe de Pan et de l'Echine du diable. La bande-annonce, annonçant très clairement un parti pris esthétique fort, et une inspiration directe de la Hammer a fini de me convaincre: c'était pour moi un passage obligé. J'ai essayé de ne pas trop en attendre afin de ne pas être déçue, et puis bon, j'ai attendu une bonne semaine avant de le voir et j'avoue que j'étais très impatiente de voir ce que ça pouvait donner.



Petit rappel de l'histoire: Edith Cushing,(mais oui, comme un certain Peter), fille d'un puissant industriel américain, croit très fort aux fantômes. Difficile pour elle de faire autrement: sa maman, morte du choléra, est venue perturber ses nuits, lui intimant de manière très convaincante de se méfier de l'énigmatique "Crimson Peak". Devenue adulte, elle aspire à une vie d'auteur de roman gothique (son modèle est Mary Shelley) jusqu'à sa rencontre avec le beau et ténébreux baronnet anglais, Thomas Sharpe, qui, bien que fauché et flanqué d'une frangine austère et fortiche au piano, danse parfaitement la valse, sait apprécier les talents littéraires d'Edith et est tout de même vachement plus romantique que l'ophtalmo qui la courtise habituellement. Papa Cushing n'aime pas trop ce freluquet british trop beau pour être vrai et va essayer de l'éloigner de sa fille. Mais il tombe malencontreusement sur un coin de lavabo et meurt subitement: il ne reste donc plus aucun obstacle à l'union d'Edith et de Thomas, et à leur déménagement dans sa splendide bicoque, construite sur une carrière d'argile rouge. Alors oui, il y a de l('espace, et l'eau courante, mais le toit est légèrement défoncé (pas pratique pour le ménage, surtout qu'il n'y a pas de domestique) et l'accueil de la belle-soeur n'est pas des plus chaleureux. Celui des nombreux fantômes habitant la maison ne le sera pas plus...

Disons-le tout de suite, le scénario de ce film n'est pas des plus surprenants. C'est pour moi le seul défaut de ce film, encore que cela ne m'a pas dérangée. C'est une histoire très classique, dont on connaît un peu déjà les ficelles, mais le film étant un hommage aux bons vieux films d'horreur, ce classicisme n'est finalement pas mal venu, on s'y sent à l'aise comme dans un bon vieux cercueil tapissé de velours rouge, on y prend même un véritable plaisir à guetter les scènes mythiques du genre, et on n'est pas déçu.

Pour moi, ce film n'a pas la force incroyable du Labyrinthe de Pan, mais il n'est pas du tout sur le même registre, et ce n'est donc pas dommageable. Nous sommes ici face à une véritable pièce d'orfèvrerie, un ouvrage délicat, ciselé avec méticulosité, doré à l'or fin, une petite merveille pour les yeux, un délice de cinéphile. Tout, absolument tout est d'une beauté à couper le souffle.



A commencer par la photographie de Dan Lautsen qui est absolument splendide. Il manie les verts et les orangés, les explosions de rouge, à la manière d'Argento dans Ténèbres et Suspiria. Il parvient à créer une atmosphère à la fois intime, confinée, et sauvage, à la manière de cette maison recluse et pourtant ouverte à tous les vents. Le cadre est d'une maîtrise incroyable, j'aime en particulier la scène de valse, où la caméra sait à la fois nous faire sentir l'ivresse des mouvements des danseurs, mais aussi l'observation statique et inquiète des personnages autour, nous faisant sentir toute la tension de cet amour naissant, l'ogre derrière le conte de fées. Chaque plan dit quelque chose, sans jamais être lourdingue. On prend plaisir à tous les détails de chacun d'eux, et on s'en délecte comme de la beauté d'un papillon si vite disparu. Et puis bon, moi, les fondus au noir avec caches, qui rappellent l'expressionnisme et le cinéma muet, je suis toujours bien cliente...

Ce qu'il y a dans l'image est également assez somptueux. Les décors sont à tomber. si comme moi vous aimez les bons vieux films d'horreur, les Frankenstein, la Hammer et tout le cinéma gothique, vous allez adorer la maison des Sharpe: son portail brinquebalant, son hall couvert de feuille mortes, ses tours menaçantes, ses vitres embuées, sa longue salle de bain cuivrée, sa froide cuisine, sa nursery démoniaque, ses cuves d'argile rouges au sous-sol, son ascenseur dissonant, son atelier aux rouages innombrables, son escalier central vertigineux et son piano magistral, qui semble être le seul élément propre à défier les effets ravageurs du temps.

Et les costumes! Rha les costumes, je sais que ça fait midinette, mais je m'en moque. Mes démons couturesques et tricotesques étaient en pleines bachanales... La robe jaune, la lourde robe de chambre olivâtre, la chemise de nuit, la ravissante sortie de bain avec de la dentelle (un jour, elle sera mienne, oh oui, un jour, elle sera mienne...) Je comprends les envies meurtrières de Lucille Sharpe: qui ne tuerai pas sa belle-soeur pour une telle garde-robe?



Quant aux créatures fantomatiques, elle sont à la fois très belles et très flippantes. Les fantômes sont de bons vieux squelettes et cadavres en décomposition, aux mouvements étranges à vous faire courir des frissons dans le dos. Et cette idée de les recouvrir de cette argile rouge, cette boue sanglante, qui leur donne un côté humide et croupissant, digne des créatures lovecraftiennes les plus repoussantes, est une trouvaille visuelle et presque sensorielle assez formidable.

Le trio d'acteurs, à la base, est déjà assez réjouissant, puisqu'ils font partie des acteurs parmi les plus talentueux actuellement et à la filmographie la plus impressionnante.  Ils s'en donnent tous à cœur joie. Mia Wasichowska est absolument parfaite en jeune oie blanche sacrifiée. Elle compose un personnage assez naïf et hautain pour qu'on prenne un malin plaisir à la voir souffrir, mais assez sympathique pour qu'on ait tout de même envie de la voir s'en sortir. Tom Hiddleston joue comme jamais de son physique de séducteur ténébreux et manipulateur, mais parvient à y ajouter la touche d'émotion et bizarrement, de bêtise un peu comique pour en faire un personnage intéressant. Quant à Jessica Chastain, qui a troqué sa belle chevelure rousse pour un chignon noir de jais, elle est une parfaite héritière de Barbara Steele: la glace et le feu, l'austérité et la passion, tout est déjà dit dès sa première apparition au piano (et il me semble en plus que l'actrice n'y est pas doublée): une posture sèche et rigide, qui délivre une performance puissante, furieuse. On sent qu'elle s'amuse comme une folle dans ce rôle et elle m'a complètement embarquée.



A mon avis, ce film est une magnifique déclaration d'amour au cinéma horrifique, très référencé, assez respectueux, mais avec assez de distance pour ne pas se prendre complètement au sérieux. En cela, pour moi, Del Toro réussit où je trouve que Tim Burton échoue depuis longtemps, et, même si j'espère qu'il nous reviendra avec un film plus personnel, j'ai passé un très très beau moment de cinéma.

lundi 19 octobre 2015

L'emprise des ténèbres, ethnozombisme



Quand j'ai vu que le ciné-club de Potzina (blog très très conseillé) portait ce mois-ci sur le cinéma d'horreur et d'épouvante, mon sang n'a fait qu'un tour: il fallait que je vienne y mettre mon grain de sel. Parce que j'aime les films de genre, parce que j'aime en particulier les films d'horreur, et que Halloween, avant d'être une fête qui nous oblige désormais à acheter des bonbecs qu'on pourra même pas manger, c'est d'abord un film que j'adore, qui mérite bien d'avoir un jour pour lui tout seul (je propose d'ailleurs qu'on inaugure le Kurt Russel day rapidement, une fête qui consiste à porter des bandeaux de pirate et des jeans taille haute avec des débardeurs, et à ne parler qu'en réplique badass, en mangeant des burgers).

Bref, je me suis un peu demandé de quel film j'allais parler: un vieux film de la Hammer? Un classique incontesté (Psychose, Suspiria, Nosferatu, Qu'Est-ce qu'on a fait au bon dieu)? Un petit indé de dessous les fagots (Willard, May)? Et puis finalement, je me suis rendu compte que je n'avais pas rendu les hommages nécessaires au très regretté Wes Craven, et c'est pourquoi j'ai décidé de vous parler de mon film préféré de ce maître de l'horreur, qui n'est peut être pas le plus connu, peut-être pas le plus magistral, sûrement pas le plus fun, mais qui est sans aucun doute celui qui me touche le plus: L'emprise des Ténèbres.

Ce film de 1988 est adapté assez librement du livre de l'ethnologue Wade Davis "The serpent and the rainbow" qui évoque ses recherches à Haiti sur la zombification. Parce que oui, en ces temps où le Zombie est devenu un Z international qui veut dire franchise, il faut se souvenir de l'origine ethnologique et vaudou du mort-vivant cannibale à la lenteur caractéristique. Le zombie, c'est haïtien et il y avait des processions vaudous sur l'île bien avant nos zombie walks.



L'histoire est donc celle de l'ethnologue Denis Allan, interprété par un Bill Pullman en mode BG baroudeur à mèche, qui est envoyé à Haiti par une grosse boîte pharmaceutique pour enquêter sur la zombification. Si une substance permet celle-ci (c'est la thèse de Wade Davis), cela ouvrirait des perspectives anesthésiques plutôt réjouissantes pour le labo. Denis revient juste d'un trip amazonien digne d'un Blueberry kounenien, et s'embarque, ni une, ni deux, pour l'île aux mystères vaudou. Il va y trouver une belle doctoresse (la somptueuse Cathy Tyson), un envoûteur Mozartien, et un sacré paquet d'emmerdes parce qu'un certain Jean-Paul Duvallier y fait régner la terreur.

On dit souvent, et on a raison, que le film de zombie est un film politique, une critique sociale. Romero ne s'en est, par exemple, jamais caché. Ici, cela n'a jamais été aussi vrai. L'horreur parfois profonde que l'on ressent à la vue de L'emprise des ténèbres n'est pas tant due aux éléments fantastiques du récit, qui filent déjà bien des frissons d'angoisse, mais à la cruauté profonde, à la monstruosité de l'âme humaine incarnée dans le personnage de Lucien Céline (terrifiquement joué par Paul Winfield), un des personnages les plus cauchemardesques de l'histoire du cinéma, tout simplement parce que si proche des personnages les plus cauchemardesques de l'Histoire, tout court.

Lucien Céline, dans le film, est le chef des Tontons Macoute, la milice paramilitaire de François (papa doc) Duvallier puis de son fils Jean-Paul, tristement célèbres pour leurs massacres, viols et multiples exactions. Le nom de cette affreuse organisation vient du personnage folklorique, Tonton Macoute, une sorte de croque-mitaine effrayant. La réalité s'inspire de l'horreur, et l'horreur de Wes Craven s'inspire de la réalité. Cette tension s'est d'ailleurs invitée sur les plateaux puisque, pour des raisons de sécurité, le film a dû se terminer en République Dominicaine. Vous comprendrez combien la réalité rattrape finalement le fantastique quand vous verrez qu'une simple chaise est plus éprouvante que tous les morts-vivants, fantômes et autres apparitions creepesques.

Alors oui, certains éléments du film, notamment quelques effets spéciaux ou une scène d'amour pouet pouet, n'ont pas super bien vieilli. Mais dans l'ensemble, le film tient encore très bien ses promesses: on est effrayé, parfois assez fasciné par ce récit aux frontières du réel, Bill Pullman est (comme presque toujours) formidable et Wes Craven marie à merveille l'esprit de comédie de certains passages à l'horreur pure ou au quasi-documentaire. Pour Halloween, je vous invite donc à revenir aux sources du zombie, et à vous perdre dans les ténèbres haïtiennes.







jeudi 8 octobre 2015

Séance de rattrapage: an honest liar



Petit focus aujourd'hui sur un documentaire absolument passionnant, sur un homme absolument passionnant, avec une histoire absolument passionnante: An honest Liar, un film de Tyler Meason et Justin Weinstein, sur James Randi, "The Amazing James Randi", que tous les sceptiques américains connaissent bien, mais qui est moins célèbre par nos contrées.

Ce docu date de 2014, mais je ne l'ai découvert que cette année sur Netflix, et c'est une petite merveille: un sujet en or, une narration au suspens digne d'un film d'Hitchcock et le hasard qui fait bien les choses, le timing parfait pour en faire un grand film, aux formidables enjeux.

Au départ de ce documentaire, la vie et le portrait de James Randi, grand illusionniste devenu le champion du scepticisme aux Etats Unis. Imaginez un descendant spirituel d'Houdini, un escapologiste formidable, qui ligotté et pendu la tête en bas au dessus des chutes du Niagara, parvient en quelques minutes à se libérer. Imaginez un roi de l'illusion, au regard hypnotique et au pouvoir de suggestion formidable, un homme dont le métier est de nous mystifier, qui décide un jour de partir en guerre contre tous les mages, les gourous et les médiums qui utilisent les mêmes "trucs" de magiciens que lui pour des raisons beaucoup moins nobles que le simple divertissement.



Cet homme-là, c'est James Randi, un type capable de mettre à mal un médium tordeur de cuillères (une scène assez fendarde), un télé-évangéliste guérisseur qui communique par télépathie avec son public et avec sa femme par une oreillette (là, on ne rigole plus du tout, en ce qui me concerne, je pleurais presque de dépit),  et qui va même jusqu'à offrir un million de dollars à celui ou celle qui saura prouver qu'il ou elle a de véritables dons surnaturels (notez bien que pour le moment, le million attend bien sagement qu'on le réclame). Un génie de la manipulation, qui réussit à mystifier jusqu'à des programmes de recherche du gouvernement américain alors friand d'expériences mystiques, en formant une équipe de deux jeunes prodiges de la prestidigitation, se faisant passer pour de puissants médiums, afin de révéler au grand jour la supercherie.



Un amoureux de la vérité, qui parfois dérange, titille, mais garde une ligne de conduite sévère et droite, scientifique, quitte à décevoir même ses collaborateurs. Un personnage à l'honnêteté que rien ne semble entamer, un chevalier des faits, du réel et du tangible.

Sauf que...

Sauf que James Randi est un personnage passionnant. Sauf que sa vie ne cesse de tester ses propres limites. Sauf qu'il doit s'arranger de ses propres secrets.

Et là, on touche à James Randi l'être humain, partagé entre ses convictions et son cœur, et le dilemme devient bouleversant. On apprend d'abord que c'est à 85 ans qu'il a décidé de s'ouvrir sur sa très belle histoire d'amour avec son compagnon, l'artiste José Alvarez. Mais surtout un évènement se produit au cours de la réalisation du documentaire qui va faire tourner ce film au vrai drame psychologique: que faire lorsqu'on a passé sa vie a vouloir défendre la vérité et que le mensonge est constamment présent au cœur de son intimité?



C'est à cette dernière partie du film que le documentaire devient une réflexion sur l'intégrité, et la difficulté à la garder en toutes circonstances. La réponse donnée par le film est à la fois troublante et terriblement émouvante. Je ne peux pas vous en dire plus, mais vous invite vivement à la découvrir.

jeudi 24 septembre 2015

Miss Hokusai: biopictural



Sans trop de conviction, presque après avoir ploufé (le plouf est une méthode de sélection qui en vaut bien une autre), je suis allée voir Miss Hokusai, de Keiichi Hara. Pas convaincue car, si j'aime beaucoup les mangas, et en particulier les mangas historiques, comme je vous l'ai dit auparavant, j'ai un peu de mal ces derniers temps avec les biopics, que je trouvais souvent longs et terriblement plats.

Bien m'en a pris, car j'ai enfin trouvé, au milieu du fatras des biopics annuels, celui que j'attendais, celui qui déroge à tous les faux pas qui l'entrainent vers le bof, celui qui m'a fait revenir sur tous mes vilains préjugés, et ce pour mon plus grand plaisir. Ceci est donc un article sous forme de mea culpa, je reviens sur mes mauvais points distribués précédemment, et je change mon fusil d'épaule.

D'abord, petite précision sur Miss Hokusai. Ce film est un manga de Keiichi Hara. Il se passe en 1814, au Japon, qui est encore un régime shogunal, avec samourais. Le Sensei Hokusai est un peintre très renommé (on connait tous la fameuse Grande Vague de Kangawaga). Il vit cependant dans un certain désoeuvrement avec son apprenti et sa fille, O-Ei, peintre elle aussi. Ce film se concentre sur cette jeune femme à une période de sa vie et de son apprentissage artistique et humain. On nous fait le portrait d'une jeune femme talentueuse, réfléchie, profondément humaine et farouchement indépendante.



1. Un biopic qui ne cherche pas à être exhaustif
Comme je l'avais dit pour The Imitation Game ou A dangerous method, les biopics pêchent souvent en voulant tout raconter. Du coup, on passe en vitesse sur toute la vie d'une personne, et on ne peut s'attarder sur rien, rien observer en profondeur, et la planche en surface, c'est très souvent ennuyeux pour le spectateur.
Ici, pas question de raconter la vie de O-Ei de sa naissance à sa mort. Le film se focalise sur une période de sa vie, sa sortie de l'adolescence et son entrée dans l'âge adulte et choisit un angle (ô bonheur). On est bien là dans le film de coming-out-of-age, un film initiatique d'une jeune femme qui apprend à devenir une artiste, une femme, une sœur et une fille. On assiste donc à l'évolution progressive de ce personnage, à ses états d'âme, à ses déceptions, à ses désirs, ses échecs et ses rebonds, depuis la jeune fille austère en colère contre son père à une jeune femme sûre d'elle et apaisée. On choisit donc une période de sa vie aux enjeux très importants, lors d'une période historique fascinante et on touche juste et fort. En cela, le film est très efficace, il sait ce qu'il veut raconter à travers son personnage, et s'y tient. Et bon sang, ça fait plaisir!


2. Un biopic qui ose s'écarter du réalisme
Dans la biographie ou l'adaptation, c'est souvent en trahissant son sujet qu'on est y est le plus fidèle. Les biopics deviennent bien souvent planplan à force de respecter à la lettre la vie de leur personnage et le réalisme d'une époque, et ni les scénaristes ni les réalisateurs ne parviennent à se les approprier.
Récemment, Tim Burton, qui avait pourtant réussi magnifiquement Ed Wood en le faisant complètement sien, a failli faire quelque chose d'intéressant avec Big Eyes en amorçant une incursion dans le fantastique. Mais il s'est vite rassagit et est donc, de mon point de vue, est complètement passé à côté de son sujet par excès de respect.
Dans Miss Hokusai, pas de ça, on ose tout, et c'est ce qui rend le film aussi beau. On entre notamment de plein pied dans le fantastique, et le film y gagne en émotion, en poésie. Le monde de miss Hokusai est un monde peuplé de fantômes, de démons et de phénomènes étranges. Les légendes japonaises font intrusion dans ce réel en plein changement vers le modernisme et créent une véritable bascule. Cet imaginaire, loin de nous éloigner d'une époque, nous en rapproche, nous permet de mieux la comprendre.
Mais là où le fantastique est le plus fort, là où Burton s'est fourvoyé et où Hara réussit brillamment, c'est dans son rapport avec la peinture. Ei-O, en tant que peintre, est rattaché au monde imaginaire, au monde des légendes, il est vivant en elle. Et sous son pinceau et celui de son père, ce monde prend vie dans le réel, parfois avec des conséquences dramatiques. C'est là que l'on comprend toute l'importance du rôle du peintre, et les enjeux de son travail. Ce qu'on perd en réalisme, on le gagne en réalité, et de la plus belle manière possible. Les plus belles pièces d'Hokusai père et fille entrent en mouvement, en souffle sous nos yeux, d'autant plus que ce film est d'une beauté picturale époustouflante.



3. Un biopic audacieux
S'il y a une chose qu'on ne peut pas reprocher à ce film, c'est de ne pas avoir de parti-pris. En dehors des deux points évoqués ci-avant, tout en fait une œuvre unique, loin du biopic-à-la-papa. Le rythme est très particulier, il est assez lent, mais assez hypnotique, on s'y laisse prendre doucement, comme devant l'observation d'un tableau.
Le film dégage une émotion incroyable grâce à une attention poussée à des détails, notamment grâce à la personnage de la petite sœur de Ei-O, aveugle. Avec elle, le film devient une véritable expérience sensorielle. Il y a notamment une scène sur un pont pendant laquelle on réussit un tour de force incroyable. Ei-O est là, avec sa petite sœur et rencontre un homme, qui est visiblement amoureux d'elle. On parvient à nous faire vivre cette scène du point de vue de la sœur, on a l'impression de sentir le souffle du vent, le frôlement des étoffes, et l'on entend tout ce que contiennent les voix et les mots. J'en ai eu la gorge serrée d'émotion.
Comme son héroïne qui ose l'indépendance et la singularité, ce film a sa propre voix, et suit son propre chemin. On peut ne pas le suivre sur tous ses choix (j'avoue que le choix du rock sur certains passage m'a un peu gêné), mais force est de constater qu'il délaisse la tiédeur et trace, d'une main de maître, une œuvre originale et très émouvante.








lundi 7 septembre 2015

Cavalcade



Aujourd'hui, on va parler de Mustang, de Deniz Gamze Erguven. J'ai vu ce très beau film il y a quelques temps, mais  il m'a fallu une longue période de gestation après celui-ci. Je ne sais pas pourquoi, j'ai essayé de le retourner par tous les bouts, mais je n'arrivais pas à trouver un angle pour en parler. Peut-être parce que ce film m'a particulièrement émue, il m'a été très difficile de prendre du recul sur lui, de l'intellectualiser et d'en rendre quelque chose d'assez construit, comme j'essaie de le faire d'habitude. Donc, voilà, je m'excuse d'avance pour ce billet un peu bordélique, jeté en vrac, trop tard et à l'envers, mais devant l'émotion, mon cerveau s'est fait la malle et s'est retrouvé lancé au galop sur mon cœur épris de liberté, libéré de ses ornières et de ses rennes. Je vous invite donc à la cavalcade: on laisse pour cette fois le parcours d'obstacle. On va s'ébrouer, on va ruer et montrer les dents, et on va galoper, aussi vite et aussi loin qu'on pourra.




C'est la fin de l'année scolaire, dans la tristesse de quitter les professeurs et l'ivresse de la liberté. 5 frangines rentrent chez elles avec des amis. Ils s'arrêtent ensemble sur la plage et vont s'amuser, comme plein de gamins de leur âge, dans les vagues. Sauf qu'on est en Turquie, sauf que les gamines sont des orphelines élevées par leur grand-mère et leur oncle, sauf qu'une voisine médisante les a vus et en a profité pour jouer les saintes nitouches, sauf que ce simple moment de jeux va changer à jamais leurs vies.

Peu à peu, les filles voient les règles se rigidifier, les couleurs s'affadir, leurs mouvements s'entraver, leur monde se rétrécir, et les murs autour d'elles s'élever. Pour sauver leur réputation, on tente de les marier au plus tôt et de leur apprendre à devenir de parfaites femmes d'intérieur. Elles vont peu à peu être séparées, par des mariages plus ou moins heureux, ou pire, et devoir faire face à des pressions physiques et morales de plus en plus fortes.




Beaucoup ont vu, dans ce film, un clin d'œil au film Virgin Suicide, de Sofia Coppola et effectivement, il y a des similitudes: l'histoire de ces sœurs enfermées par des parents trop rigides y fait penser, ainsi que l'esthétique du film à l'image lumineuse et filtrée et l'obsession pour les longues chevelures en mouvement. L'image est donc splendide, et les cinq jeunes comédiennes le sont tout autant. Chacune est différente, belle à sa manière, rebelle à sa manière et on s'attache à toutes, notamment grâce à l'interprétation impeccable des jeunes filles (la grand mère et l'oncle sont eux aussi extrêmement bien campés).

Mais le film est différent et, pour moi, encore plus appréciable que celui de Sofia Coppola pour plusieurs raisons. D'abord le ton: alors que la mélancolie était celui de Virgin Suicide, Mustang est dominée par une énergie extraordinaire, une véritable bouffée de révolte juvénile et de contestation libertaire. Si une des sœurs se résigne, toutes les autres sont animées d'une saine colère et même dans d'atroces circonstances, elle ne se départent jamais d'un humour provocateur et mordant. Ce qui en fait un film très réjouissant.



L'autre différence avec le Virgin Suicide est que, alors que ce dernier était situé plusieurs décennies auparavant et s'apparentait à une sorte de conte, le film de Deniz Gamze Erguven est éminemment contemporain et politique. L'histoire de ces filles, qui sentent peu à peu la pression religieuse et sociale peser sur elle, qui voient leur horizon se bloquer et cherchent à tout prix à s'en sortir, c'est aussi celle d'un pays. La Turquie vit depuis quelques années un tournant politique et religieux de plus en plus rigide et la situation ne s'est pas améliorée depuis les évènements de la place Taksim, surtout pour les femmes. Si Mustang paraît à la base n'être que l'histoire de jeunes filles, la réalisatrice lie leur destin à l'évolution nationale à plusieurs reprises: on nous parle des débordements masculins dans les stades de foot qui ont poussé les fédérations à organiser des matchs devant un public essentiellement féminin.

Mais il y a surtout une des scènes principales du film (pour les amateurs de théories scénaristiques, elle se situe à peu près au milieu du film). La famille est réunie à table: la grand-mère, l'oncle et 3 sœurs. L'oncle (un gros salopard, par ailleurs), réprimande les filles qui s'amusent des blagues de l'une d'entre elles, qui saisit toutes les occasions possibles pour faire de mauvais gestes à son oncle. On ne voit pas la télé, mais on entend ce qu'elle diffuse à ce moment du film: un discours arguant que les jeunes filles riant dans la rue sont vulgaires et indécentes. Ce discours, ce n'est ni plus ni moins que celui de M. le vice-premier ministre, Bulent Arinc, et ce doigt d'honneur à ce moment là du film, personnellement, m'a émue aux larmes. C'est pour moi une des plus belles réponses que l'on pouvait faire dans un film aux propos admis actuellement au sein de l'Etat turc. Une provocation effrontée, et un fou-rire de gosse. Et s'il est suivi d'une scène tragique, il n'en est pas moins une bouffée de liberté absolue.



Et c'est dans ce souffle épique que le film prend toute sa dimension, et son émotion. C'est dans cet élan lyrique, soutenu par la musique toujours merveilleuse de Nick Cave et la beauté des paysages turcs, c'est dans cette équipée sauvage que le film nous emporte, un espoir fou au cœur, celui de l'avenir des sœurs et au-delà, de celui de toutes les autres filles...