pelloche

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jeudi 15 janvier 2015

Le 20 000ème jour, Nick créa...


A ce rythme-là, ce blog va bientôt être consacré à des films que vous n'aurez même plus la possibilité de voir en salles. Mea maxima culpa donc s'il est trop tard pour vous d'aller voir ce petit bijou de poésie, de musique et de cinéma, la faute à la période de l'année, la recrudescence de travail, ma légendaire paresse (c'est joli, "paresse", ça ressemble à "caresse", je préfère ça à l'hypocrite "procrastination") et au trainage de pieds lié aux récents évènement pas jouasses.



Il est des films, et 20 000 days on earth en fait partie, dont on sait d'avance qu'on ne sera jamais objective à leur propos. Mais bon, vous avez dû le remarquer, l'objectivité ,comme la délicatesse, est loin d'être ma principale qualité. Et puis là, à quoi bon? Parce que oui, je l'avoue, je l'assume, je le revendique: j'aime Nick Cave. J'aime sa voix grave et profonde, à la fois inquiétante et rassurante, suave et menaçante, sa présence incroyable de pasteur sataniste, sa croonitude terrible. J'aime le travail d'orfèvre de ses compositions, la délicatesse de certains morceaux, le fracas d'autres, la montée en puissance des instruments et des voix, les pianos mélancoliques et les guitares ébourriffantes. J'aime ses textes, sa manière incroyable de raconter des histoires qui font rire, qui font peur, qui font pleurer. J'aime la musique de ses mots, leur intelligence, leur précision, leur capacité à créer des images, leur beauté douce et cruelle. Bref, avec un a-priori pareil, il aurait vraiment fallu être de sacrés manches pour me décevoir avec un film sensé retracer la 20 000ème journée de l'immense artiste qu'est Nick Cave.




Du coup, Iain Forsyth et Jane Pollard auraient pu faire un banal film de fans, avec deux trois interviews, des archives, des répets et des extraits de concerts, comme ça se fait généralement, que j'aurai été satisfaite. Mais ils ne s'en sont pas contentés, et ont créé ainsi un film monstre, un rockumenteur (spéciale dédicace à David, s'il lit) puisque cette journée est fictive, un hymne à la musique et à la poésie, une rétrospective de la carrière de Nick Cave, une introspection de l'artiste , et surtout, surtout, le plus bel ouvrage que j'ai jamais vu sur le processus créatif.


Et ce monstre, Forsyth, Pollard et surtout Cave, qui a écrit une bonne partie du film, parviennent à le dompter avec brio, lui lâchant parfois la bride pour quelques envolées enflammées, notamment lors d'une captation de concert ahurissante. La caméra épouse parfaitement l'univers de Cave, sachant mettre en valeur la lumière si particulière du lourd ciel de Brighton, lieu de résidence et machine à rêve de l'artiste, évoquer avec mystère et pudeur les intérieurs intimes, que ce soit un canapé éclairé par l'écran de télévision qui diffuse Scarface pour le plus grand bonheur de ses garçons, ou dans la présence énigmatique de la belle Suzie Bick, à laquelle Cave consacre une déclamation d'amour à faire pâlir de jalousie toute les femmes de la terre.


On retrace toute la carrière de Nick Cave, sans même s'en rendre compte, partageant avec des amis de longue date ses réflexions sur la musique et la vie: une anecdote démente sur le chewing-gum de Nina Simone avec Warren Ellis, son rapport d'attraction/répulsion avec ses chansons en compagnie de Blixta Bargeld, l'épreuve de la scène avec Kylie Minogue...

 
Ce film, pour moi, c'est un peu l'équivalent filmique et musical des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. On y découvre et décortique le processus créatif, le créateur et ses relations à sa créations. On découvre avec émotion comment un père lisant la première page de Lolita peut vous donner envie de vous transformer, comment une histoire peut débuter en mettant un enfant et un tueur psychopathe dans une même pièce, comment une chanson n'est intéressante que tant qu'on ne la comprend pas, comment l'observation quotidienne du ciel peut mener à un album... Tout ça avec les mots de Nick Cave, soit des images d'une beauté fantastique, qui donnerait envie à quiconque de créer, aussi, un petit monde à soi. Dans son 20 000ème jour, Nick Cave a cessé d'être humain, il est devenu sa propre création.

Lentement, par petite touches, comme une de ses chansons, ce film m'a prise, m'a emportée sur des vagues d'abord tranquilles et douces, m'a envoyée voguer au fil des récits, puis m'a laissée secouée de sanglots sur la grève, sans que je ne sache vraiment comment j'y étais revenue, ayant "vu quelques fois ce que l'homme a cru voir".






4 commentaires:

  1. Alors déjà, je valide : paresse est un joli mot et il paraît que je devrais apprendre à plus le mettre en pratique.
    Deuxio , je n'avais pas entendu parler de ce "film" et merci parce que j'aime bien Nick Cave mais qu'au final je ne connais peu. J'aime les quelques chansons et albums que j'ai entendu de lui. Il y a quelque chose d’intrigant et de fascinant chez lui donc je note dans un coin de ma tête : regarder ce rockumenteur dès que j'en aurai l'occasion!!

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    1. Oui oui, c'est très bien la paresse si elle est bien dosée, ça permet de rêver...
      Et si ça peut te convaincre un peu plus, j'étais accompagnée au cinéma de quelqu'un qui n'est pas non plus un inconditionnel de Nick Cave. Lui aussi a bien aimé le film, même s'il n'a pas compris toutes les références. Ca reste un excellent film sur ce qu'est, finalement, le travail d'auteur.

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  2. Je connais pas cet artiste, enfin si de nom, Môsieur m'en a déjà parlé à moult reprises mais je n'ai jamais pris la peine de creuser ^^.
    En tout cas j'aime beaucoup la façon dont tu en parles.
    C'est presque contagieux, tu as un don pour susciter l'intérêt...

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    1. Rho merci, c'est très gentil, ça.
      Si je peux me permettre un conseil, si tu ne connais pas trop Nick Cave, c'est de l'écouter un peu avant d'aller voir le film. Si cela te plait, t'évoque des images, te fait ressentir quelque chose, fonce voir le film, c'est fascinant!

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