pelloche

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vendredi 6 janvier 2017

Divines: Female troubles

Source: site internet Diaphana

Grâce au site Cinétrafic, j'ai découvert en DVD le film Divines de la réalisatrice Houda Benyamina qui avait reçu la caméra d'Or à la quinzaine des réalisateurs cette année à Cannes.

J'avais très envie de voir ce film, que j'avais raté lors de sa sortie en salles. La bande annonce était très alléchante, et la réaction vive et éclatante de Houda Benyamina lors de la réception de son prix à Cannes m'avait personnellement vraiment émue. J'avais donc grande hâte de mettre ce DVD dans mon lecteur et de voir enfin ce long-métrage que je regrettais d'avoir manqué.



Et je dois le dire, j'ai été comblée et ce, bien au-delà de mes attentes. Divines est un film formidable, ambitieux et à la hauteur de ses ambitions, comme on aimerait en voir plus souvent dans le paysage audiovisuel français, parce qu'il rend hommage à la tradition du film français en lui prenant ce qu'il a de mieux (le discours social fort, le travail poussé sur le jeu d'acteur, le réalisme), tout en osant faire du vrai cinéma, avec un scénario béton qui raconte une histoire avec des scènes fortes, et surtout, surtout, un parti pris esthétique qui fait pas sa timide ou sa modeste, une mise en scène qui va bien au-delà de l'effet docu-caméra à l'épaule qu'on a l'habitude de nous faire bouffer dans les films sur la banlieue, un vrai travail de réalisation qui m'a foutu la mâchoire au sol et m'a complètement enthousiasmée. Des surprises comme celles-là, j'en veux tous les jours.

Donc voilà, Divines, c'est l'histoire de 2 gamines de la cité, Dounia et Maimouna. Leur horizon est salement bouché, surtout celui de Dounia, qui vit dans un camp et a la rage au ventre. La porte de sortie, la seule visible, c'est la thune, la maille, la moneeyyy. Et il semble que le seul moyen d'en obtenir soit de s'inspirer de Rebecca, la dealeuse du quartier dont les vacances à Phuket et les amants à abdos apparents font rêver. Mais il est difficile de devenir une caïd quand on a des points d'attaches: une meilleure amie, une famille, un beau danseur...

Je ne sais même pas par où commencer tant j'ai l'impression d'avoir des choses à vous dire sur ce film, sur l'effet qu'il m'a fait, sur ce qu'il en ressort, j'ai du mal à mettre de l'ordre dans tous ça, alors il faudra m'excuser si je pars un peu dans tous les sens.

Alors d'abord, il y a le scénario, béton (amer), coécrit avec Romain Copingt et Malik Rumeau. Alors déjà, c'est pas pour revenir sur une de mes marottes, (si vous me lisez souvent, vous devez commencer à en avoir un peu ras-le-bol), mais putain que ça fait du bien de voir une réalisatrice qui ne s'entête pas à tout faire toute seule et qui choisit de se faire aider par des pros quand elle constate ses limites d'écriture (c'est pas moi qui le dis, mais Houda Benyamina elle-même dans les bonus du DVD dont on va parler plus tard). J'aime cette intelligence, à la fois modeste et diablement efficace qui consiste à dire: voilà ce que je veux raconter, ce que je veux dire, aide-moi à en faire une belle histoire. Pour moi, juste là-dessus, je me dis qu'elle a tout compris à ce qu'était le cinéma, Houda Benyamina, pas une œuvre solitaire d'artiste torturé et ermite, mais bien un art pluriel, un travail d'équipe, de partage où chacun apporte sa pierre à l'édifice et où chacune des pierres posées consolide celles qui l'entoure (il suffit d'ailleurs de voir comment elle parle de sa scripte - c'est tellement rare qu'on donne la paroles aux scriptes-, Julie Darfeuil, dans les bonus, expliquant combien son rôle est important avant, pendant et après le tournage, pour comprendre que la vision du cinéma de la réalisatrice est bien de cet acabit).

Source: site internet Diaphana


Bref, j'en reviens au scénario, béton, donc. Houda Benyamina décrit son film comme une tragédie. C'est tout à fait ce que j'ai ressenti en voyant Divines, une vraie tragédie dans le sens aristotélicien (comment j'me la pète!) du terme. Et c'est à la fois la force du film, et le petit bémol que j'y attacherai. Je sais que ce film est souvent comparé à Bandes de filles, de Céline Sciamma, que j'avais aussi véritablement adoré. Alors oui, on retrouve des thèmes communs: la place des jeunes filles en banlieue, la volonté de sortir de ce carcan, quitte à en passer par des méthodes violentes, l'attrait pour le blé, parce que le blé, c'est la liberté. Mais là où Céline Sciamma décide de faire un film initiatique, où le parcours de l'héroïne va l'emmener à faire des choix parfois salutaires en apprenant de ces erreurs, Houda Benyamina choisit le côté pile, la tragédie. Et sa protagoniste, Dounia, est une parfaite héroïne de tragédie, parce qu'on l'aime tout de suite: elle est pleine de fougue et d'énergie, elle n'a pas la vie facile, elle a la rage au ventre et une grande histoire d'amitié avec Maimouna. Dès le départ, on s'identifie à elle (moi en tous cas), et on crève d'envie qu'elle s'en sorte enfin. Mais Dounia a des défauts fatals: un manque de patience et de tempérance, et un certain orgueil, qui la poussent souvent à faire de mauvais choix. Mais les mauvais choix, même s'ils semblent être sans grande gravité de prime abord, peuvent être lourds de conséquences. Et comme Dounia, on l'aime, on souffre avec elle. Donc là, pas d'erreur, la tragédie, on est en plein dedans. Le seul souci, si on revient à Aristote, c'est que lui-même définit la tragédie comme un instrument pédagogique, qui par la souffrance que vit le spectateur à travers le personnage, lui enseigne à ne pas reproduire les mêmes erreurs. Le film, étant une tragédie a donc bien une valeur morale, ce qui, dans mon cas, est le seul défaut que je trouve au film.

Mais s'il est moral, Houda Benyamina n'est pas non plus dans la condamnation de son personnage. Ce qui l'intéresse, c'est surtout d'expliquer les raisons de ce parcours, l'audace qu'on peut avoir quand on ne pense plus avoir rien à perdre, l'horizon bouché, l'envie de s'enfuir. Et ici, contrairement à Bande de filles, si le propos est plus moraliste, il y a clairement un discours social fort. Le discours sur l'argent, par exemple, je l'aime bien. Ici, parler d'argent, c'est pas sale, c'est pas minable, c'est pas caca: quand t'en as pas, que tu vis dans des conditions affreuses, et que tu passes le plus clair de ton temps à essayer de trouver les moyens t'en procurer assez pour t'en tirer sans crever de faim, l'argent, ça fait le bonheur. Il y a un discours sur les inégalités sociales et sexuelles tranchant, qui fait d'autant plus mal qu'il est tout fait réaliste, même dans les répliques les plus drôles (parce que, bien que ce soit une tragédie, le film n'est pas complètement dénué d'humour): "Si les pauvres le restent, c'est parce qu'ils n'osent pas." dit Rebecca, la dealeuse en chef. Sur certains points, on pourrait croire qu'elle a tout compris. Combien l'apparence compte, comment tu peux dealer plus facilement et vendre plus cher si t'es une jolie fille en talons hauts, que l'audace, celle de se confronter à un monde dominé par l'argent, par les hommes, est peut-être la seule façon de s'en sortir (elle a juste oublié que l'argent liquide avait ses limites et que si on voulait vraiment s'élever, il fallait aller un peu plus loin dans l'analyse, mais n'est pas Stringer Bell qui veut). Et Dounia, cette audace elle l'a. Son seul problème, c'est qu'elle la dirige au mauvais endroit. A plusieurs reprises, elle a devant elle d'autres voies d'élévation, aussi bien sociales, que sentimentales et spirituelles qu'elle finit par lâcher pour l'attrait du gain immédiat. Le film nous présente d'ailleurs une belle scène, très forte, en montage alternée, nous montrant ces deux chemins: celui qu'elle a choisi et celui auquel elle aurait pu accéder.

Source: site internet Diaphana

L'élévation, c'est d'ailleurs une obsession chez Houda Benyamina, qu'elle soit sociale ou spirituelle. Et c'est terriblement visible dans sa mise en scène, truffée de plongées et contre plongées qui se répondent les unes aux autres. C'est notamment frappant pour le début et la fin du film, où de 2 manières bien différentes, Dounia observe son amie Maimouna depuis un soupirail qui mène à une cave et tente de l'entraîner à l'extérieur (Quand je vous disais que le scénar était bien écrit). Ce sont aussi les scènes de pleine lune qui se répondent de manière tragique. C'est aussi le poste d'observation en hauteur d'où Mounia reluque le beau Djigui, ou la pluie de billets qui tombe du plafond. Souvent, Dounia est à une extrémité, et son objectif, à l'autre. Mais rien n'est immédiatement atteignable et surtout pas la dimension amoureuse et spirituelle. Ainsi, au début du film, la grille du soupirail s'interpose entre elle et Maimouna, qui participe à une prière commune. De même, un ensemble d'équipements techniques fait barrage entre Dounia et Djigui qui danse. Ainsi, on sent chez elle un attrait vers la spiritualité, la beauté, l'amour, mais quelque chose semble toujours faire obstacle. Bref, la mise en scène a beaucoup de choses à nous dire, peut-être encore plus que les personnages lorsqu'ils s'expriment. Et ça, moi ça me fait rudement plaisir, surtout lorsqu'on nous donne une scène centrale éblouissante dont je ne veux même pas parler pour vous laisser la découvrir (en revanche, l'éditeur du DVD a eu la très mauvaise idée de la divulgacher en la mettant derrière les menus, alors si vous vous procurez le DVD, ayez la main agile sur la télécommande....). Pour moi, si tout n'est pas parfait (et en même temps, c'est pas obligé), il y a là une vraie volonté de raconter une histoire par le cinéma, avec des images, et pas qu'avec du dialogue (ce que j'ai souvent tendance à reprocher au cinéma français) et ça me fait toujours bondir d'enthousiasme!

Source: site internet Diaphana


D'autant plus que les dialogues fonctionnent vraiment bien, ils sont crédibles, même lorsqu'ils sont clairement écrits, parce qu'ils tiennent une certaine justesse vis-à-vis des personnages et que les acteurs (en particulier le trio d'actrices principales) sont absolument époustouflants (peut-être à l'exception de Kevin Mischel dont la prestation corporelle compense heureusement le jeu d'acteur parfois hésitant). Oulayah Amamra apporte toute son énergie à Dounia et m'a complètement embarquée. Mais j'ai été surtout bouleversée par Deborah Lukumuena, qui est véritablement solaire et la relation entre Dounia et Maimouna est sans nul doute la plus belle partie du film (c'est d'ailleurs là-dessus que commence le pré-générique).

Sinon, j'ai entendu pas mal de critiques négatives sur Houda Benyamina, notamment après Cannes, toutes basées sur une prétendue "hystérie" (bizarre, quand c'est Begnini qui se met à genoux, on ne parle pas d'hystérie, comme quoi), de "vulgarité" du film et de ses personnages féminins qui, tout de même, manquent de "féminité". A ces critiques, je trouve que la meilleure réponse est celle d'une autre Divine:



Le DVD
Sorti le 3 janvier 2017 et distribué par Diaphana, le DVD de Divines présente une belle qualité d'image et surtout de son ( et quand la BO fait aussi bien péter du Haendel que du Azealia Banks, ça vaut le coup).
Les bonus sont vraiment bons. Il y a des scènes coupées, un making-off et surtout des interviews très intéressantes d'Houda Benyamina et de ses collaborateurs qui m'ont confortée dans l'idée qu'elle était véritablement une réalisatrice que j'avais envie de suivre de très près, avec une vision du cinéma en tant qu'œuvre commune, esthétique et politique, qui m'a donné envie de la prendre dans mes bras, sans déconner.









10 commentaires:

  1. Sacré billet ! Une fois de plus, après t'avoir lu, on n'a une seule envie, découvrir ce film !

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  2. Tu donnes envie de tomber amoureuse du film et de le voir ainsi que Bande de filles que je n'ai toujours pas vu.
    Bisous à toi et à plus sur nos blogs respectifs!

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  3. Merci! N'hésite pas à voir Divines. Bises

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  4. Une bonne surprise, je ne m'y attendais pas (vu que j'aime pas les films de cité, notamment Bande de filles). Franchement c'est bien mieux foutu (que ce soit en mise en scène ou niveau scénario) que ça en a l'air. Et comme toi, j'y vois aussi une tragédie qui interroge autour de nos choix. Dounia est une fille qui a du potentiel, elle pourrait être heureuse et même réussir honnêtement comme son mec. Elle choisit la facilité, l'illégalité, le mépris même. C'est un point qui me semble très important. Et les actrices sont merveilleuses !

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    1. Oui, le scénario est sacrément bien écrit autour des choix de Dounia: à plusieurs reprises, elle peut faire le bon choix, mais la passion (terme ô combien tragique)la pousse à en faire de mauvais (le truc des camions de pompiers caillassés, c'est un ressort tragique de malade!)Et oui, tu as raison, quelles actrices incroyables!

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  5. Quel enthousiasme!
    Moi qui avais jusque-là envie de le voir "vite fait"? j'ai dorénavant envie de le voir "grave".
    Toi partir dans tous les sens ? Jamais! Tes articles sont toujours aussi bien construits/écrits. Un vrai plaisir à lire et en plus t'es suffisamment fortiche pour m'emmener vers des chemins que je n'aurais sûrement jamais pris.

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    1. Alors il faut grave le voir!
      Tu es gentille. Mais si souvent j'essaie de structurer un peu mon propos, j'avoue que là je suis un peu partie en "freestyle", mais ça fait du bien des fois. Merci pour tous tes encouragements

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    2. Enfin vu! Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi mai je dois reconnaitre la grande qualité des actrices et de la mise en scène. Je suis moins convaincue par le scénario. Merci de m'avoir encouragée à visionner ce film. Bonne semaine.

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    3. Avec plaisir, contente que tu aies aimé la mise en scène et les actrices (tu as vu le discours Deborah Lukumuena aux César? Tellement choute!)

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