pelloche

pelloche

lundi 16 janvier 2017

Love and friendship: caustique Austen



Grâce au site Cinétrafic, j'ai découvert en DVD le film Love and Friendship de Whit Stilmann, une adaptation du roman inachevé de Jane Austen, Lady Susan. Ayant lu et beaucoup aimé le livre, je me faisais une joie de voir ce film, et j'en ai été plutôt récompensée.

J'aime beaucoup Jane Austen, vraiment beaucoup. Dans l'imaginaire collectif, c'est surtout une romantique dans les 2 sens du terme, le sens littéraire et le sens "fleur bleue". Mais ce qu'on oublie très souvent chez Austen, et ce qui me la rend éminemment sympathique, ce qui fait que je prend autant de plaisir à lire ses romans, c'est que Jane Austen est une femme très très marrante. Pour moi, la qualité première de Jane Austen, c'est son humour. Et attention, pas un humour gentil à la chick lit genre "oulala, j'ai oublié de m'épiler pour mon premier rencard". Non, Jane Austen a un humour acerbe directement lié à son regard sur la société victorienne dans laquelle elle vit, un humour dévastateur qui dénonce nos travers, un humour pince-sans-rire (ou tongue-in-cheek outre-manche) qui a autant de classe que de force de frappe. Jane Austen, c'est les yeux de Molière et la bouche d'Oscar Wilde. Jane Austen, c'est une littérature qui cache sous ses falbalas des dagues bien affutées et qui se moque autant d'elle-même que des autres. Jane Austen, c'est tout ce que vous avez toujours voulu que l'humour anglais soit.



J'aime généralement bien les adaptations des romans de Jane Austen que j'ai pu voir (Raison et Sentiment, ou Orgueil et préjugés). Mais je restais toujours un peu sur ma faim, ne retrouvant pas dans ces beaux films la verve cinglante dont savait se parer l'auteur, ni son regard désopilant sur les bonnes mœurs de son époque. J'attendais toujours un peu plus de mordant. Whit Stilmann a heureusement exaucé mes vœux en s'attaquant à une des œuvres les moins connues de  l'auteur, Lady Susan, une œuvre épistolaire de jeunesse qui n'avait été publiée qu'assez tardivement. On pouvait le trouver chez Folio à 2 € il y a quelque temps, je ne sais pas s'il est toujours disponible.



Love and Friendship est donc l'histoire de Lady Susan Vernon (Kate Beckinsale), une veuve particulièrement joyeuse qui a bien mauvaise presse: certains la dise formidablement séductrice et perfide. Mais il faut la comprendre: la vie est très dure pour une aristocrate désargentée de la fin du XVIIIème siècle. Elle est obligée de vivre avec sa fille Frederica (Morfyyd Clark) au crochet des autres et ne se voit d'autre choix que de multiplier les intrigues pour parvenir à ses fins. Elle a dû quitter en catastrophe la résidence des Manwaring où sa relation avec Monsieur (Lochlan O Mearain) commençait à être un peu trop évidente à Madame (Sophie Radermacher), et trouve refuge chez le frère (Justin Edwards) de son défunt époux. Mais sa belle-sœur Catherine DeCourcy Vernon (Emma Greenwell) ne voit pas sa venue d'un très bon œil car elle comprend vite que Lady Susan a jeté son dévolu sur son jeune frère, Reginald DeCourcy (Xavier Samuel). Et la manière dont Lady Susan traite Frederica en essayant à tout prix de la caser avec un riche idiot, Sur James Martin (Tom Bennet, hilarant), ne la porte pas à l'accueillir à bras ouvert. Heureusement, Lady Susan peut compter sur l'amitié presque indéfectible d'une charmante américaine (Chloé Sevigny) qui a épousé un vieux grincheux (Stephen Fry).

Vraiment, j'ai été complètement séduite par Love and friendship que j'ai trouvé absolument délectable. Enfin, je retrouvais la Jane Austen que j'aimais. Enfin je retrouvais sa malice, ses clins d'œil, sa férocité charmante. Enfin je voyais transposée sur l'écran toute la dimension humoristique de l'auteur, et je me suis régalée. Ce film est un petit bijou de drôlerie. Notez bien qu'il n'est pas rigolo et qu'on ne se fend pas la poire comme des fous, mais on sourit. En tous cas moi, j'ai souri beaucoup. Et cet humour n'a d'égal que son intelligence. On prend un plaisir incroyable à voir cette sacrée Susan Vernon se démener dans de complexes intrigues pour tirer sa part du gâteau. Les autres femmes ne sont pas en reste, elles redoublent toutes de ruse pour obtenir satisfaction de ces messieurs. Et n'allez pas me dire que toute cette fourberie donne une mauvaise image de la femme. Whitman, comme Austen, sait tout à fait nous montrer combien ces machinations, ces manigances, ne sont rien moins que la seule manière de survivre des femmes dans une société qui occultent totalement leurs besoins personnels et financiers, qui sont perçues comme mineures et qui n'ont pas plus leur mot à dire sur leur situation maritale que la manière dont elle peuvent se comporter dans le monde. En cela, et malgré sa vacherie, on ne peut s'empêcher d'éprouver une véritable sympathie pour le personnage de Lady Susan, la même qu'on éprouve pour Maître Goupil lorsqu'il se joue de balourd de loup. Malgré sa duplicité, on a envie de la voir s'en sortir.



Mais là où Stillman s'en sort incroyablement bien, c'est qu'on éprouve une véritable sympathie pour pratiquement tous les personnages. Et il y a à cela deux raisons. D'abord, une galerie d'acteurs plus épatants les uns que les autres. En tête, Kate Beckinsale comme je ne l'avais jamais vue. Elle parvient à donner un corps tout à fait réaliste au personnage en prenant un plaisir évident à ce rôle fantasque, qu'elle traite cependant avec beaucoup de sérieux. Je n'ai jamais eu l'impression de la voir se regarder jouer. Elle est totalement sincère et je crois que cela joue beaucoup dans la richesse de son personnage. Elle n'est absolument jamais dans la caricature. A ses côtés, tous les autres acteurs s'en donnent à cœur joie, et travaillent de la même façon, sachant faire ressortir les dehors comiques de leurs personnages, en n'essayant pas de forcer le trait et en toute sincérité. Stephen Frears me semblait une véritable évidence, car qui mieux que lui incarne actuellement l'humour anglais dont Jane Austen était tellement pourvue. Mais j'ai adoré en particulier 3 prestations: celle d'Emma Greenwell dans le rôle de la nemesis de Lady Susan, qui va finir par utiliser les mêmes armes que sa rivale pour protéger les siens, celle de Chloé Sévigny, la confidente perfide mais brimée, et Tom Benett, le bêta terriblement attachant.



L'autre raison, c'est l'écriture subtile et délicieuse de Stillman et, bien évidemment, Austen. Une écriture ambitieuse aussi. Parce qu'elle demande une certaine exigence du spectateur, une attention vivace, très proche de celle d'un lecteur. Beaucoup d'informations sont données dans des dialogues superbement ciselés, il faut donc s'y attacher pour bien suivre l'intrigue. On peut ajouter à cela une mise en scène rigoureuse, une très belle image à laquelle la lumière extérieure irlandaise et les intérieurs à la bougie donnent une ambiance très intimiste, et une composition superbe de Benjamin Esdraffo à la bande son.  Mais surtout, Stillman, peut-être plus encore qu'Austen aime ses personnages. Bien évidemment, leurs actions sont loin d'être recommandables, ils ne sont pas tous bons ni agréables, mais ils sont magnifiquement humains. Parce que oui, comme chez Austen, l'Angleterre aristocrate de la fin du XVII est bien plus impitoyable que Dallas dans les années 80 ou On n'est pas couché dans notre ère. C'est vil, c'est moche, c'est faux, c'est jaloux et borné. Mais comme désigne le titre, il y a deux choses qui peuvent être sincères et qui sauvent de tout cela, que ressentent chacun des personnages malgré leurs défauts: l'amour et l'amitié. Et c'est ce qui rend ce film féroce si attachant.

Le dvd est édité par Blackout (qui a aussi une page Facebook) et est sorti le 2 novembre 2016.
Pour d'autres envies DVD, vous trouverez chez Cinetrafic
- le classement de leurs meilleurs films 2016
- et parce que y'a pas que la gaudrioles et la fantaisie d'Austen dans la vie, une liste de films d'amour tristes






11 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé l'adaptation de Raison et sentiment (film), beaucoup moins celle d'orgueil et préjugés (film) et adoré la mini-série de la BBC. Je n'ai pas vu les autres. J'avoue également avoir regardé Lost in Austen qui m'avait bien divertie. Par contre Love and friendship m'a moins séduite. L'histoire assurément, qui n'a pas comblé mes attentes de midinettes.^^
    Moi si je vois pas le bout du nez d'un pseudo Marc Darcy dans les parages...
    Faute avouée...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ca n'est pas une faute: c'est juste que tu préfères ce que j'appellerai la Jane Austen romantique. Je l'aime bien aussi, mais j'avoue que je ne l'aime jamais autant que quand elle devient piquante: un de mes romans préférés est Northanger Abbey, qui est pratiquement un one woman show sur la bonne société de Bath

      Supprimer
  2. J'aime beaucoup Jane Austen et ce film me tente beaucoup, merci pour la chronique!
    Bisous à toi et à plus sur nos blogs respectifs!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si tu aimes son style mordant, ça a des chances de te plaire.
      Bises

      Supprimer
  3. Fan de la littérature de Jane Austen pour les mêmes raisons que toi, j'hésitais beaucoup à voir ce film. Tu m'as convaincu !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si tu aimes Austen pour son ton caustique et féroce, il y a des chances que tu apprécies ce délicieux film

      Supprimer
  4. Je suis une grande fan de Jane Austen, elle représente la liberté et l'anti-conformisme mais je connaissais pas cette adaptation. Tu m'as convaincu. Qui plus est, Lady Susan est l'oeuvre la plus drôle que Jane Austen ait pu écrire, alors merci :)
    Bonne soirée

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si tu aimes ce court roman, je pense que tu vas te régaler avec ce film.
      Bonne soirée à toi aussi

      Supprimer
  5. J'ai moins aimé le film que toi mais malgré tout, il était grand temps que Lady Susan ait une adaptation et Kate Beckinsale est incroyable!
    Si je peux me permettre, dans ton premier paragraphe tu dis que Lady Susan est un roman inachevé de Jane Austen, ce qui n'est pas le cas.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi j'avoue que c'est un des films que j'ai trouvé le plus proche de ce que j'aime de l'esprit de'Austen.
      S'il est vrai que Lady Susan a une fin dramatique (j'entends du récit)assez abrupte, elle n'a jamais souhaité le publier en l'état et il l'a été de manière postume lorsque le manuscrit a été retrouvé.

      Supprimer
    2. J'ai vu que ton blog était spécialisé sur l'œuvre d'Austen: c'est très chouette. Je me permets donc de profiter de tes lumières. Sais-tu s'il existe une adaptation cinématographique de Northanger Abbey?

      Supprimer