pelloche

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mardi 28 avril 2015

Blind: Des images plein la tête (Hallucinations collectives)



Pour moi comme pour beaucoup de cinéphiles, j'imagine, une de mes plus grandes peurs est de perdre la vue. Que faire si l'on ne sait plus face à quoi l'on se trouve? Comment réapprendre à vivre sans voir? Comment se souvenir des formes, des couleurs, d'un sourire?

C'est justement le sujet de Blind, d'Eskil Vogt, film norvégien sous-titré en Français "Un rêve éveillé" et qui sort demain sur nos écrans. Parce que quand on ne peut plus voir le monde, il ne reste plus qu'à le rêver.

L'histoire est difficilement pitchable, on va donc commencer au début: Ingrid a perdu la vue. Elle vit avec Morten. Depuis qu'elle est atteinte de cécité, elle n'ose plus sortir de son appartement, ce que lui reproche un peu son compagnon. La journée, qu'elle passe seule en l'attendant, elle tente de se remémorer des images et si sa mémoire lui fait défaut, d'en créer. Ainsi, elle s'interroge sur ce qu'elle ne peut pas voir: Morten se cache-t-il dans l'appartement et l'observe-t-il pendant la journée? A-t-il des aventures? Tout ce qu'elle ne peut plus constater de ses yeux, Ingrid l'imagine et elle oscille sans cesse entre doutes réels et fantasmes amusés où se croisent Morten, Elin, une jeune mère célibataire et Einar, un homme retranché dans sa solitude.



Le film part donc d'une question simple: que se passe-t-il dans la tête de quelqu'un qui n'est plus en mesure de voir? Que peut-on avoir comme certitude quand croire, ça ne peut plus être voir? La question est très intéressante et finalement assez vertigineuse. Comment savoir de quelle manière l'être qu'on aime réagit à une blague si on ne peut plus le voir sourire? Faut-il se dire qu'on sourit? Peut-on faire confiance aux autres, et mettre sa vue, voire sa vie entre leurs mains? Comment être autonome? Comment se faire à cette nouvelle vie?

Toutes ses questions, Ingrid se les pose, elle cherche, s'interroge, explore. Et surtout, elle crée. En effet, comme Ingrid ne peut plus voir le monde autour d'elle, et qu'elle ne se sent pas encore capable d'y participer, elle l'invente, le transforme à l'envi. En un mot, elle écrit. Blind devient alors un véritable examen du processus créatif, de ses joies et de ses frustrations, d'autant plus fortes ici que l'écriture devient la seule activité signifiante pour Ingrid, qui a du mal à trouver sa place et sa raison d'être dans ce monde auquel elle a du mal à revenir.



Je dois avouer avoir beaucoup aimé ce film, même s'il cela ne m'est pas apparu de manière évidente après sa vision, lors des Hallucinations Collectives. Mais c'est un film qui s'est lentement installé, et qui m'a plus touché que je ne l'aurai pensé. C'est un film qui s'insinue, des images, des expressions qui restent ancrés dans la mémoire, peut être déformées par le temps comme pour Ingrid mais qui laissent cependant un impression durable, le souvenir d'une expérience à part.

Le personnage d'Ingrid est absolument formidable et Eskil Vogt nous le fait rencontrer progressivement au gré de ses journées passées devant son ordinateur. Il n'hésite pas à proposer un personnage complexe, qui n'est pas uniquement défini par son handicap, très humain. Cette Ingrid est têtue, fantaisiste, drôle, réfléchie, séductrice et capricieuse, tout simplement touchante. On a envie de la suivre à travers ses doutes et les affres de son imagination, à la recherche d'un nouvel équilibre et surtout, d'un nouvel enthousiasme. Elle est interprétée avec beaucoup de justesse par Ellen Dorrit Petersen qui lui transmet ce formidable mélange de concentration et d'espièglerie.



Le reste du casting est également très bon, d'autant plus que les personnages sont doubles, triples voire même plus, puisqu'ils changent au gré des inspirations d'Ingrid. Mention spéciale à Marius Kolbenstvedt (c'est dans des moments comme ça que je suis contente d'avoir un blog écrit et pas une chaine Youtube) qui interprète un personnage pas évident de solitaire accro chronique au porno, mais qui rêve de grand amour.



La qualité de la réalisation est aussi à souligner. Eskil Vogt sait filmer les intérieurs comme personne, y déceler l'humain qui suinte derrière la déco scandinave. Parce que derrière le blanc, le bois, les tasses de thé, il y a du désir et de la peau. Sa caméra sait approcher les personnages et leur donner toute leur humanité, toute leur beauté. Il sait nous les faire aimer. L'ambiance du film est très belle, elle épouse parfaitement les états d'âmes d'Ingrid et nous fait partager, de l'intérieur, ses conflits. Le tout est soutenu par une bande originale au top: parce qu'entendre dans un même film Françoise Hardy et Sonic Youth, moi ça m'enchante, tout comme voir des appartements qui débordent de collections de vinyls et de posters de Morrissey... Il faut souligner aussi des idées de montages formidables et très drôles, que je ne peux pas trop dévoiler ici sans gâcher une partie de votre plaisir. mais quand vous verrez le café-bus, vous comprendrez.



Blind nous parle aussi beaucoup de la solitude et de l'exclusion: celle des handicapés, mais aussi des timides, des étrangers. Il met en avant les évènements qui ont suivi les attentats de 2011 en Norvège: la solidarité nationale, l'élan d'amour et de vie généralisé provoqué par cet évènement traumatique, puis le délitement progressif de cette union. Un constat qui sonne juste chez nous par les temps qui courent.



Enfin, il faut dire que ce film est simplement une magnifique histoire d'amour. Il m'a d'ailleurs semblé que la sélection des Hallucinations collectives cette année était très love love (entre Duke of Burgundy dont on reparlera en juin, Spring et Blind, on a eu droit à de très belles histoires d'amour). La relation entre Ingrid et Morten est à la fois simple et splendide, elle s'inscrit parfaitement entre le quotidien et le fantastique, elle est grave et joyeuse. C'est une vraie et adorable histoire de couple. Et je l'avais déjà dit pour Spring, je le redis pour Blind: il ne faut jamais passer à côté d'une belle histoire d'amour...









6 commentaires:

  1. C'est bizarre hier je me suis demandé comment je réagirais si je perdais la vue ( ce qui est sans nul doute lié au visionnage de la série Daredevil)...Mais bon quand même.
    Je sais ce que je vais faire pendant ce WE de 3 jours, je ne vais pas passer à côté d'une histoire d'amour...

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    1. C'est aussi une question que je me pose souvent et j'aime beaucoup la manière dont ce film essaie d'y répondre. Mais bon, j'avoue qu'elle est moins douée en bagarre que Daredevil, quand même ;-).
      Vu le temps que la météo prévoit pour ce week-end, aller au cinéma sera sûrement une des meilleures choses à faire, malheureusement. J'espère que tu vas aimer cette jolie histoire d'amour

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  2. Ce film a l'air vraiment intéressant (tout à fait mon genre) et ta critique donne vraiment envie de le voir. Et du cinéma norvégien, c'est peu connu :)
    Bisous à toi!

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    1. Je trouve ce film assez original et très bien joué et réalisé et puis tu as raison, c'est pas tous les jours qu'on a accès à un film norvégien...

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  3. Tu es visiblement bien inspirée par ce film. Il a l'air bien ce festival !
    Ça fait plaisir de voir des sujets traités à hauteur d'une histoire et en même temps à la hauteur de l'humanité. Apparemment le propos ne s'emmêle pas malgré sa densité. Faudrait que je me mette au cinéma norvégien, et scandinave plus largement. Me souviens pas avoir vu un seul film produit là-bas -_-

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    1. Effectivement, le propos est assez clair car il a la bonne idée de se focaliser sur un personnage, et de nous faire partager son point de vue et son imaginaire. Comme toi, je ne m'y connais pas des masses en cinéma scandinaves: je déteste Lars Von Trier et suis pas une grande fan de Bergman. Mais c'est vrai que le peu de films que j'ai découvert ces dernières années venant de Scandinavie a plutôt changé ma vision des choses. J'ai par exemple adoré la comédie Les rois du Curling (le titre parle pour lui-même. Et toi qui est spécialiste de la série, tu as dû voir la très chouette Real Humans, une série suédoise sur des cyborgs. Si ce n'est pas le cas, fonce, c'est très très bon (une des meilleures séries vues ces derniers mois...)

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