Parce qu'une bonne claque, il vaut toujours mieux la prendre au cinéma, je me suis fait défoncé la tronche par le dernier film de Céline Sciamma, Bande de filles.
Alors, je vous préviens, je vais passer très vite sur le contenu sociologique du film, la banlieue, la violence, le patriarcat des grands frères, comment s'en sortir autrement, tout le côté zone interdite, réalisme social, etc d'abord parce que pour moi, ça n'a finalement pas eu beaucoup d'intérêt, je vous laisserai donc voir sur d'autres blogs sur le phénomène des bandes de nénettes, la rudesse de la banlieue, la légitimité de Céline Sciamma à faire ce film...
J'explique très rapidement pourquoi. La raison principale qui a fait que j'ai adoré ce film, c'est parce que, depuis un certain temps, je n'avais pas vu un film sur la banlieue en me disant: "Ca, c'est du cinéma". Peut-être depuis La Haine, en fait. Alors on peut se prendre le chou, comme ça a été le cas pour Kassovitz, à se demander en quoi une p'tite bourg de la Femis peut s'octroyer le droit de parler d'un monde qu'elle ne connait pas si bien, à s'interroger sur la représentation négative de la banlieue, à mettre vouloir à tout prix mettre le doigt sur un manque de réalisme (sans voir qu'on est dans une œuvre de fiction), et passer à côté du principal: des personnages, une histoire qui tient la route et une putain de réalisation. Parce que sérieusement, qui s'est un jour demandé si Faye Dunaway n'était pas trop belle et bien habillée pour être Bonnie? Si Trainspotting donnait une mauvaise image des Ecossais? Comment faisaient Thelma et Louise pour s'arrêter si peu dans des stations services? Vous êtes d'accord? On s'en fout. Mais comme le cinéma français a cette image de docu-fiction qui lui colle à la peau, on préfère un pensum réaliste filmé avec les pieds qu'un film qui ose la fiction et le cinéma. Voilà pour le petit coup de gueule pour les "jamais contents".
Parce que des raisons d'être contents, y'en a plein et des qui, pour moi, sont quand même primordiales dans un film:
- Une histoire tenue, avec un début, une transformation, des étapes, une conclusion (ça à l'air de rien comme ça, mais c'est moins fréquent qu'il n'y paraît en fait).
- Des personnages écrits, fouillés, complexes, servis par des acteurs (ici, surtout des actrices) assez incroyables.
- Une esthétique, des plans, un montage audacieux. Une vraie réalisation, quoi!
Et puis plein d'émotions, DONT l'humour, et pas de leçon (et vous avez vu, l'air de rien, j'ai construit un plan, dites donc!)
L'histoire
C'est celle de Merieme, une ado un peu coincée en banlieue. Ses résultats scolaires ne vont visiblement pas lui permettre d'en sortir, ni sa mère qui trime pas mal et est souvent absente, ni le grand frère qui a sa vision toute particulière de la protection, ni les petites sœurs dont il faut s'occuper, ni le regard des types du quartier. Alors, le jour où une bande de 3 autres filles lui propose une issue, et une nouvelle forme de liberté, elle fonce, même si ça veut dire exercer sur les autres la violence qu'elle a elle-même subie.
Le parcours de Merieme est très bien écrit. On part d'une toute jeune fille, fragile, renfermée, qui regarde sans cesse autour d'elle d'où des coups pourraient pleuvoir. Et on va la voir se transformer radicalement en entrant dans cette fameuse bande. Cette transformation, resserrée dans un seul plan (près de l'évier pour ceux qui l'on vu), est digne d'un film de super héros. Là se situe le basculement complet du personnage qui va aller vers une apogée à peu près au milieu du film (où elle a droit à une manette pour jouer à FIFA) pour s'effondrer tout de suite après. Puis on va assister à sa longue lutte pour découvrir ce qu'elle peut vraiment faire, où est sa voie. Ca vous rappelle rien? Et ben si, parce que cette histoire, vous l'avez vu 15000 fois au cinéma et c'est pas pour rien, parce que cette histoire, c'est un mythe. Parce que le cinéma a pratiquement été créé pour raconter cette histoire: c'est Rocky, c'est Pinocchio, c'est n'importe quel récit initiatique.
Et c'est très bien comme ça. Parce que pour que Merieme devienne véritablement la femme Merieme, il faut qu'elle passe de l'enfant de sa famille, à la Vic de Lady, puis au "bonhomme" de son boss, puis à la femme de son homme. Parce qu'apprendre à trouver sa "voix", c'est d'abord écouter celle des autres, et parfois apprendre de la manière la plus dure que les autres aussi se trompent. Et c'est ça qui fait grandir. Parce que parfois, on n'apprend à savoir ce qu'on veut qu'en éliminant ce qu'on ne veut pas.
Les personnages
Ici, Céline Sciamma a une grande force: si elle ne juge pas ses personnages, elle ne leur cherche pas non plus des excuses. Autant, Merieme et ses copines sont touchantes dans leurs rapports entre elles, autant les voir s'attaquer à d'autres gamines qui ressemblent beaucoup à la Merieme du début ne met pas du tout à l'aise. Et il y a notamment une scène glaçante où cette dernière, intégrée à un groupe de mecs, participe à un harcèlement sexuel en règle sur une autre nénette, où on a carrément envie de la baffer.
Du coup, on se retrouve avec des personnages complexes, qui se définissent plus par leur volonté d'atteindre un but que par des traits de caractère précis. Tous dévoilent plusieurs facettes, adoptent des visages différents en famille, au travail, dans la rue, avec les potes. Quand rien n'est simple, on doit s'adapter.
Et les actrices relèvent le défi haut la main. Ce sont des non professionnelles, mais elles bouffent l'écran. On croit à tout ce qu'elles disent, à tout ce qu'elles font, à leurs rires, à leurs prises de tête, à leur colère, à leurs larmes. Elles se jettent complètement dans le récit, dans leurs personnages, Karidja Touré en tête, qui assume toutes les transformations de Merieme avec un aplomb incroyable.
La réalisation
Moi j'avoue que c'est là que j'ai pris une claque, mais alors, magistrale! Je suis prête à entendre tous les arguments que vous voudrez contre Céline Sciamma mais le premier qui me dit qu'elle ne sait pas se servir d'une caméra, je le provoque en duel!
Dès la première scène, j'ai été soufflée et au bord des larmes. Pourtant, à la base, le football américain, c'est pas vraiment ma came (je comprend même pas les règles). Mais là, on assiste à un véritable ballet, à des regards qui en disent déjà long sur la détermination des gamines, un éclairage irréel dans un stade vide. Et dans cette seule scène, toute la puissance du film est déjà là: la lourdeur de la carapace des joueuses, et la violence des affrontements, mais aussi la grâce du geste et la beauté du partage collectif.
Dans la scène suivante,on suit le groupe de jeunes filles, se faisant mutiques à l'entrée de la citée. Le groupe se disloque à la croisée des tours, dans la pénombre où guette des silhouettes masculines. cette scène pose abruptement le décor. Et là, deuxième claque dans ta face.
Et ça continue comme ça tout au long du film, des trouvailles, une audace frondeuse (des panneaux noirs assez longs qui créent de vraies ellipses, par exemple) et des scènes qui se surpassent en beauté et en lyrisme. Donc oui, évidemment, la scène sublime sur Rihanna, mais aussi la scène drôle et attendrissante du mini-golf, les scènes de baston, les scènes entre sœurs... Tout est d'une puissance émotionnelle à la fois formelle et narrative. On pardonne alors les quelques longueurs qui jalonnent le film ou la sur-utilisation de la musique et du ralenti. Parce que ça marche, et ce jusqu'au dernier plan, superbe: la caméra s'éloigne du visage de Merieme, mais Merieme, comme consciente de ce cadre qui lui échappe, y pénètre à nouveau, volontaire, son film à elle n'est pas fini.
Donc voilà, alors on pourra toujours dire que c'est trop stylisé, que c'est pas réaliste, que c'est fantasmé. Alors ok, ce n'est peut-être pas "vraiment" la banlieue, mais s'il y un endroit où l'est sûr d'être, avec Céline Sciamma, c'est au cinéma!