Ça fait toujours plaisir de découvrir un film qu'on savait exister, un peu mythique pour certains, dont on avait finalement vaguement entendu parler. De le découvrir sur grand écran, et être très surprise, dans le bon sens du terme. C'est ce qui m'est arrivé avec le film Seconds, L'opération Diabolique.
Seconds (on va l'appeler par son petit nom) est un film de John Frankenheimer de 1966, tout juste ressorti dans les salles avec une copie toute belle, toute restaurée. Au départ, moi je m'attendais à une petite série B, n'ayant lu que le synopsis: Un homme d'un certain âge, entraîné par un ami qu'il croyait décédé, va se voir offrir (de manière plus ou moins forcée) une nouvelle vie par une opération qui lui permettra de changer totalement d'apparence physique et de quitter son existence monotone. Du coup, je m'étais dit: "Cool, un petit film de SF sixties, tout ce que j'aime!" (Oui, parce que j'adore la 4ème dimension).
Alors oui, c'était ça, mais c'était surtout beaucoup plus que ça. Je ne m'attendais absolument pas à un film aussi audacieux. Audacieux à tous les niveaux, la mise en scène, le casting (Rock Hudson, nom de nom!), le sujet, la sexualité débridée, la musique (j'avoue pour ma part, que l'audace dans ce dernier domaine a parfois été éprouvante), les dialogues... Je suis allée de surprise en surprise et le tout m'a finalement bien scotchée.
En ce qui concerne la mise en scène, on est absorbé dès le départ par un générique de début saisissant: sur une musique de Jerry Goldsmith, qui signe une belle composition, nous approchons les détails d'un visage qui se déforment, formant des images abstraites par étirement et distorsion puis se métamorphosant en de nouvelles parties du corps. On sent tout de suite qu'il va ici y avoir un parti pris esthétique très particulier.
Et l'on s'en rend compte très vite avec la première scène, dans le hall d'une gare où, en gros un homme suit un autre. Mais la manière dont cela est filmé la rend particulièrement étrange, et nous plonge tout de suite dans un certain mal à l'aise: on ne voit aucun des visages en entier, il y a utilisation de caméra subjectives et portées près du corps des protagonistes (la GoPro avant l'heure). Le spectateur est désorienté, plongé dans un univers qu'il sait être quotidien, normal, mais vu d'une manière déviée, et il pénètre alors immédiatement dans le fantastique. Tout au long du film, il y a des trouvailles esthétiques, même si l'on se retrouve parfois face à des scènes qui tire en longueur.
Le choix des 2 acteurs incarnant le personnage principal est parfait. D'un côté, John Randolf qui campe un quinqua ou sexa ventripotent et suant, déprimé et sans désir, d'une banalité confondante. De l'autre, il devient rien moins que Rock Hudson, oui Rock Hudson lui-même sous l'identité d'Antiochus Wilson, peintre mineur mais fortuné, le mec trop beau pour être vrai, la classe de la classe, celui qui lui permettra de faire ce qu'il n'avait jamais osé entreprendre avant, d'être libre. Mais il va
découvrir que cette liberté a des limites plus fortes que prévues...
L'ambiance du film est particulièrement anxiogène, même lors des scènes de libération comme celle de la bacchanale qui est étourdissante et étouffante (mais aussi assez monstrueusement cacophonique). A aucun moment, nous n'avons une bouffée d'air frais, même face à l'océan. Tout semble déjà écrit, rien n'est laissé au hasard et la liberté, le choix n'existent pas.
Bien évidemment, l'élément horrifique existe, notamment dans les scènes d'opération et la scène finale qui fait vraiment froid dans le dos. Mais ce qui fait véritablement dresser les cheveux sur la tête, c'est le profond pessimisme de ce récit, l'impression désagréable et durable d'être coincé, avec ce personnage, dans une existence sans but, sans possibilité d'y faire les bons choix. C'est là que Frankenheimer a réussi ce film profondément angoissant, cette petite perle enfin retrouvée...