Nous allons donc à Antonio Bay, en Californie du Nord, un bucolique petit village de pécheurs. Dès les premières secondes, oncle Johnny a trouvé le truc pour me séduire tout de suite et m'embarquer à bord: il me raconte une histoire. Je suis comme ça, moi, depuis ma plus tendre enfance, j'y suis accro: j'aime qu'on me raconte des histoires. Et là, c'est un vieux matelot qui s'y colle autour d'un feu de camp où l'on vient rejoindre une bande de gamins avides de récits terrifiques: on apprend que cette bonne vieille bourgade d'Antonio Bay, qui s'apprête à fêter son centenaire, serait frappé d'une malédiction suite au terrible naufrage qui est à la base de sa constitution. Mmmh, une bonne histoire de marins et de mauvais sort, comment refuser de continuer?
Voilà, vous êtes donc prévenus: derrière les jolies maisons colorées, les festivités municipales, les ritournelles de la radio locale et le ciel bleu pointe une menace terrible et on va voir le sort s'abattre sur ce charmant village. Il va venir sous la forme d'un brouillard épais et étincelant, qui va semer la terreur sur son passage.
Beaucoup ont tendance à penser que The Fog est un film tout à fait mineur de John Carpenter. En ce qui me concerne, et malgré l'absence de Kurt Russel, c'est un de ceux pour lesquels j'ai le plus d'affection. Alors oui, il a quelques failles: il est complètement fauché, et n'a donc pas les effets spéciaux de dingues d'un The Thing. Il n'a pas non plus le scénario resserré d'un Assaut, car si huis-clos il y a, c'est sur tout un village. Mais vous allez voir, il y a au moins 3 bonnes raisons de (re)découvrir ce formidable film fantastique.
1. Du fantastique boosté à l'œstrogène
On a souvent l'habitude de dire que Carpenter fait des films très testostéronés. Alors c'est vrai que si l'on s'intéresse aux films suscités, y'a pas vraiment beaucoup de femmes. Pourtant, s'il reste fidèle aux films de genre, on oublie souvent les films où il a fait la part belle aux personnages féminins de qualité comme Ghosts of Mars ou même Halloween. The Fog est résolument de ceux-là, et passe le test Bechdel haut le crochet.
On a effectivement trois personnages féminins majeurs, trois personnages féminins qui tiennent des rôles narratifs qu'on a l'habitude de donner à des hommes, et qui en plus sont interprétés par des actrices très charismatiques. Petit coup de projecteur sur ce triumvirat de choc:
- Stevie Wayne, la lanceuse d'alerte. Stevie Wayne est la directrice et l'animatrice vedette de la station radio locale qui émet depuis le phare d'Antonio Bay. C'est donc une femme entre 35 et 45 ans, une mère de famille, une entrepreneuse et la voix d'Antonio Bay. Ca fait plaisir de voir un tel personnage, une femme sans love interest, qui, immobilisée dans son phare-donjon à l'avant-poste, tente de protéger la ville (et son fils) du brouillard meurtrier. Et en plus, c'est la belle Adrienne Barbeau (à l'époque Mme Carpenter) qui interprète la protagoniste, une femme droite dans ses boots à talons et courageuse, qui n'hésite pas à affronter seule le danger.
- Elisabeth Solley, l'aventurière. C'est une fille à papa qui a décidé de tout plaquer pour vivre sa vie au gré du vent et des hasards de l'autostop. Elle débarque juste à point à Antonio Bay pour rencontrer le beau loup de mer Nick Castle et enquêter sur la disparition mystérieuse de marins. Ca aussi, ça fait plaisir: au lieu d'avoir le bon vieux aventurier qui arrive pour sauver la ville et en débaucher la plus jolie fille avant de repartir pour de nouvelles aventures, on nous donne rien moins que Jamie Lee Curtis en baroudeuse à la recherche de sensations fortes.
- Kathy Williams, la femme de pouvoir. Accompagnée de son assistante, elle est en charge des festivités du centenaire de la ville et de la petite communauté qui l'habite. Elle aussi va enquêter de son côté sur les mystérieux évènements liés au brouillard. Et dans le rôle de cette vénérable dame, la non moins vénérable Janet Leigh, qui vient rejoindre sa fifille dans le casting de ce film.
Notons par ailleurs que le scénario est coécrit par la complice de toujours d'Oncle Johnny, qui produit également le film, Debra Hill, alors qu'on vienne pas me dire que le fantastique, c'est uniquement un truc de mecs!
2. Le classique, c'est indémodable
C'est une des choses que je préfère dans ce film. Le fait d'avoir resserré l'intrigue fantastique sur cette petit village de la côte américaine lui confère une atmosphère très particulière. On pense tout de suite au grands Maîtres de la littérature horrifique américaine qu'on aime. Le décor évoque immédiatement le Maine cher à Stephen King, et l'histoire des fantômes vengeurs qui viennent se venger des méfaits du passé bien maquillés dans l'histoire patriotique américaine nous rappelle ses obsessions. Et puis il y a cette moiteur, ce froid, cette ambiance putride, cette idée que l'enfer sur terre est dans la mer qui nous renvoie directement à Lovecraft. Et il y a bien évidemment cette histoire de revenants et cette ironie qu'on retrouve chez Edgar Allan Poe cité dès l'ouverture du film. "All that we see is but a dream within a dream" (Bon, en même temps, avec un tel brouillard, on voit quand même pas grand chose).
On est donc bien dans l'atmosphère de l'horreur classique américaine, voire du roman gothique anglais, comme au coin d'un feu une froide nuit de novembre: du brouillard, des fantômes du passé qui viennent hanter une ville maudite, un phare qui brille dans la nuit, c'est peut être pas super original, mais ça fonctionne toujours très bien pour faire remonter un frisson d'angoisse le long de notre colonne vertébrale.
3. Less is more
Budget: 1 000 000 de dollars. Temps de tournage: 30 jours. Avec de telles contraintes, ce film est à mon avis une véritable réussite.
D'abord parce qu'on a pas besoin d'une abondance d'effets spéciaux pour que ça marche (en parlant d'effet spéciaux, notons que le nom du météorologue dans le film est Dan O'Bannon, hommage au grand spécialiste de la discipline). On travaille surtout sur l'ambiance, les phénomènes étranges et les récits parallèles des différents personnages qui en font une sorte de film-chorale catastrophe et fantastique. Et à mon avis, ça marche complètement. Comme pour la bande original du film made in le Bontempi de Carpenter (comme souvent), c'est minimaliste, mais efficace. Et si l'on peut tiquer sur des incohérences, on ne s'ennuie pas une seconde.
Pour moi, ce film est véritablement une sorte de conte, il a quelque chose d'intemporel et de merveilleux, et joue sur des peurs primales, ce qui est parfaitement efficace en ce qui me concerne: la peur de l'isolement, de la cécité, de la nuit et du brouillard, et celle du mal qui engendre le mal, de la faute qui fait naître la malédiction. Le parfait petit film pour commencer l'automne....
Merci à The Movie Freak pour ce chouette thème. N'hésitez pas à nous rejoindre si ce thème vous inspire jusqu'au 30 septembre, ou plus tard si vous souhaitez lancez votre propre thème: nous avons besoin de nouveaux membres-bloggueurs pour héberger les futurs Ciné-club, vous êtes les bienvenus!