Petit retour sur un film des Hallucinations Collectives, dont j'attendais la sortie en salles pour vous donner mon avis. A mon grand dam (et peut être au vôtre), ce film ne sera pas distribué en salles, mais directement accessible en dvd (sous le titre
Seuls, parce que oui, maintenant on traduit les titres de films même quand ils sont français). Alors même si je n'ai pas été complètement bouleversé par ce film qui a quelques lacunes, moi ce genre de distrib, ça me fait vraiment monter la moutarde au nez, et ce pour plusieurs raisons:
1.Un coprod franco-espagnole de genre:
Les productions de films de genre en Europe ne sont pas légion, il faut bien l'avouer. Là, on a droit à un film de genre de bonne facture, réalisé par un Français qui a déjà fait ses preuves, avec de jeunes comédiens britanniques qui sont plutôt bons. C'est quand même assez rare pour être signalé.
Alors pourquoi des films pareils ne sont pas distribués?
Ne venez pas me dire qu'il n'y a pas de public pour ça. C'est toujours ce qu'on veut nous faire croire, mais c'est faux. Il y a un public pour le film de genre (ici, on est assez proche du film de zombie), le succès des séries de genre le montrent bien. Mais quoi alors, c'est un gros mot le genre? Et on veut pas le voir associé au cinéma français de qualité, c'est ça? Pourtant,
Alphaville, c'est de la SF, non? Et
La cité des enfants perdus, j'ai pas rêvé, c'est bien du fantastique? Non parce qu'à force de voir combien les réalisateurs de films de genre en chient en France pour se faire produire puis distribuer, c'est à croire que c'est le cas.
Quand on voit que certaines bouses mal cadrées, mal jouées et/ou mal écrites sortent chaque semaine avec des chiffres d'entrée désastreux et que des films comme celui-ci n'y ont pas accès, ça me rend un peu vénère sur les bords. Pourtant, on sait que ça peut marcher: le succès des Revenants (la série) le prouve. Cette frilosité me dépasse franchement.
2. Un réalisateur français qui a fait ses preuves
Alone a été réalisé par un réalisateur français qui n'en est pas à son premier essai. Thierry Poiraud était déjà un des deux réalisateurs
d'Atomik Circus (une sympathique histoire d'aliens) et celui de la deuxième partie du super fendard
Goal of the dead (que j'avais chroniqué
ici). Il fait ici cavalier seul sur
Alone.
Et Thierry Poiraud, c'est un vrai faiseur d'images. Ici encore, la photo est magnifique et il fait à nouveau preuve d'un grand sens du cadre. Pas de caméra tremblottante et de lumière cradingue, pas de "cinéma vérité" aussi moche que la vraie vie, mais la création d'un véritable univers visuel. C'est si fréquent que ça pour s'en priver? Ben crotte alors! Le jour où, comme d'autres avant lui, il sera recruté par Hollywood qui aura vu en lui le bon artisan qu'il est, il ne sera plus temps de crier Cocorico. C'est maintenant que son talent doit être reconnu!
Ca c'était pour mon petit coup de gueule habituel de copine du film du genre français. Parlons maintenant du film en lui-même.
Nous sommes dans un centre de redressement perdu au beau milieu d'une île écossaise avec 6 adolescents: Thomas, un jeune timide et plein de rêves, May, une jeune fille assez sérieuse et amoureuse de Liam, le beau gosse à grand gueule de la troupe, le meilleur ami de ce dernier, Shawn, Pearl, la benjamine rebelle, et Bastian, le taiseux qu'on dit un peu timbré. Un matin, ils se réveillent et se trouvent livrés à eux-mêmes sans adultes pour les surveiller. Ce qui peut paraître à première vue une aubaine et une libération va bientôt se transformer en cauchemar quand ils se rendront compte que les adultes les ont bien plus abandonnés que prévu puisqu'ils se sont, du jour au lendemain, transformés en une horde de zombies brutaux. Au-delà d'une simple question de survie, une autre menace plane sur nos jeunes héros: celle de grandir trop vite et de sombrer dans la dégénérescence précoce de leurs aînés.
Comme je le disais, j'ai quelques réserves sur ce film. D'abord, sur l'écriture du scénario dans laquelle je déplore quelques incohérences et passages à vide, et je ne suis apparemment pas la seule. Effectivement, après la séance des Hallucinations collectives, le public a pu échanger avec Thierry Poiraud et se sont souvent des interrogations que je partageais qui sont ressorties. D'abord, on a un peu de mal à comprendre comment fonctionne la maladie: comment la contracte-t-on? Est une histoire d'âge? de maturité? Le film n'est pas très clair là-dessus. Mais Thierry Poiraud a bien voulu nous livrer son interprétation: les personnages deviennent adultes, et sont donc susceptibles d'être touchés par la zombification à partir du moment où ils ne vivent plus uniquement pour eux-mêmes, mais s'intéressent plus au sort des autres. Si on y réfléchit, ça semble fonctionner à peu près, même si ça semble parfois discutable mais en effet, cela aurait été bien que cela soit plus visible dans le film.
Autre problème que le film peut poser: sa construction. On peut effectivement découper le film en plusieurs parties: présentation du cadre et des personnages / problème / parenthèse enchantée / vision d'apocalypse / issue. Cela pourrait plutôt bien fonctionner si ces parties n'étaient pas un peu déséquilibrées. En effet la phase "parenthèse enchantée", même si elle est très intéressante, est assez longue et l'avant-dernière partie est en revanche très courte. Thierry Poiraud s'est expliqué là-dessus lors de la soirée de présentation. Au départ, l'avant dernière partie était beaucoup plus longue et il y avait beaucoup plus de scènes d'action dans celle-ci à l'écriture. Malheureusement, le manque de moyens techniques et financiers l'a contraint à restreindre cette partie au tournage. Bien dommage en effet, parce que si cette partie est bien trop courte, elle est cependant à couper le souffle, et on se prend à rêver de ce qu'on aurait pu voir si l'équipe avait pu se le permettre.
Parmi mes quelques réticences, je rajouterai également des flashback un peu trop longs et explicatifs, mais c'est un détail.
Parce que pour le reste, je ne vous cache pas que j'ai passé une très bonne soirée. D'abord, parce que j'avais face à moi de beaux personnages d'adolescents que j'avais envie de suivre. Et c'est là que l'écriture de scénario de Marie Garel Weiss s'avère très efficace. Il suffit d'une scène, la première pour savoir à qui on a affaire et pour poser les enjeux: une courte interview video de chaque gamin où ils sont interrogés sur leur vision de l'avenir, une sorte de found footage de la maison de correction. C'est pas un procédé qui date d'hier (Le fameux monologue des
400 coups), mais ça n'a pas son pareil pour poser les personnages et la menace qui pèse sur eux. En à peine 5 minutes, on sait à qui on a affaire, les rêveurs, les désenchantés, ceux qui veulent de devenir des adultes accomplis et ceux qui ont peur du futur. Et déjà, en les voyant parler de leur avenir, on sent à la fois que celui-ci va être résolument en danger et que ce que nous voyons sur notre écran n'est qu'une trace de leur existence, et sans même les connaître, on ressent pour eux dès le départ la nostalgie de leur disparition. Et moi je trouve ça hyper fortiche.
On est donc face à des personnages bien écrits, qui ne se contente pas d'être une bande de jeunes, de caricatures d'ados, et on s'attache instantanément à eux. Ca a l'air évident, comme ça, mais c'est pas si fréquent de voir au cinéma aujourd'hui un regard bienveillant et de la tendresse sur la jeunesse. On a tellement souvent droit au couplet "le jeunes d'aujourd'hui, ma bonne dame, ils ont plus de repères, ils passent leur vie sur leur téléphone, ils ont plus conscience des réalités, ils sont tous pourris gâtés, ils ne savent pas se concentrer 5 minutes et leur rêve c'est de faire de la télé-réalité ou de braquer les fringues de Paris Hilton pour les mettre sur Facebook" (bon, ok, j'ai une petite dent contre Sofia Coppola et ses look-alike du moment, qui veulent faire jeune pour faire cool tout en faisant passer cette génération pour des monstres, faudra que je vous en parle plus longuement à l'occasion). Bref, les gamins de Alone sont loin d'être des anges, mais ce sont de chouettes être humains, plein de fêlures, plein de rêves et contraints de vivre vite et intensément tout ce qu'ils savent qu'ils ne pourront avoir la chance de vivre en tant qu'adultes. Ils sont tous touchants, jusqu'à la petite frappe menteur, et d'une lucidité à la fois bouleversante et horrifiante.
Et bien évidemment, pour que de bons personnages soient au mieux visibles, il faut de bons acteurs. Et là, je trouve que le casting est époustouflant. Les jeunes comédiens, le troublant Fergus Riordan et l'adorable Madeleine Kelly en tête, sont tous formidables, et arrivent parfaitement à transmettre toute l'intensité de leur situation. On sent chez eux cette énergie de vivre, malgré leur vie jusque là un peu merdique, malgré le monde qui s'écroule autour d'eux, malgré la violence et l'urgence. Ils sont en parfaite adéquation avec le ton du film, une fuite désespérée, un cruel désenchantement, un oscillement permanent entre la vie et la mort.
Et puis, il y a une réalisation à la fois efficace quand il s'agit de faire "du film de zombie" et subtile quand il s'agit de s'approcher au plus près des personnages, de les traiter avec tendresse et délicatesse. La fameuse "parenthèse enchantée", même si je l'ai trouvée un peu longue reste tout de même un de mes passages préféré. Cette histoire d'amour entre deux adolescents est filmée de manière douce et pudique, sans que l'on perde en intensité ou que l'on oublie la terrible toile de fond. Le tout est parfaitement souligné par une photographie superbe, qui sait mettre en valeur les magnifiques paysages désertés que ce soit la forêt ou les terres arides, mais qui sait faire brûler l'enfer d'une cité vaincue par la peste. On a souvent droit à des images très belles, très bien construites, et tout à fait terrifiantes pour certaines. Des images qui mériteraient vraiment plus qu'un petit écran.