pelloche

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mercredi 25 mai 2016

Men and chicken (Hallucinations collectives): la génétique est une chienne (ou un hibou, ou un poulet, ou un boeuf)



Après "famille, je t'aime", il est temps de dire, "famille, je t'aime bien, mais franchement, y'a des trucs chez toi dont je me serais bien passé"... Parce que bon, c'est bien gentil l'amour, la camaraderie fraternelle, la sécurité filiale, mais il faut pas oublier qu'on n'hérite pas forcément que de bonnes choses. T'as le nez bossu de ta grand-mère, les cheveux impeignables de ta tante, la brioche de ton oncle et le diabète de ton père, alors que ta frangine a hérité de la chevelure abondante et soyeuse de la grand-mère, du teint rayonnant de ta tante, de la santé de fer de ton oncle et des dents parfaitement alignées de ton père? Ben oui, on en a la preuve tous les jours en regardant les Corrs, les Fonda, les Leigh-Curtis ou, pour d'autres raisons, les Marx Brothers: la génétique est une grognasse au cœur de pierre.

Et ça n'est pas Men and chicken, le film complètement taré (au sens génétique du terme) de Anders Thomas Jensen, que j'ai eu la chance de découvrir en avant-première aux Hallucinations Collectives (où il a obtenu le prix du public) et qui sort cette semaine, qui va me contredire là-dessus: quand l'ADN a décidé de jouer avec les chromosomes d'une famille, ça peut être pour le meilleur comme pour le pire. Et bien évidemment, ce n'est pas le meilleur auquel s'intéresse le réalisateur danois du déjà très drôle et très grinçant Adam's Apple (déjà avec Mads Mikkelsen, que je vous conseille avec ferveur!).



Men and Chicken, c'est d'abord l'histoire de 2 frères, Elias et Gabriel. Elias (Mads Mikkelsen) est un gros bourrin à la fois étrange et insupportable, aux manières aussi délicates qu'une chanson de Manowar, qui a donc bien du mal à trouver une partenaire de copulation. Gabriel est lui plus réfléchi et sensible, mais pas moins seul. Autant dire que ces deux caractères opposés n'ont pas vraiment une relation paisible et douce. Et lorsqu'ils apprennent qu'ils ont été adoptés et que leur père biologique est un généticien reclus sur une île, ils décident d'aller à sa rencontre. Ils vont découvrir un trio de frères tout à fait particuliers et comprendre à quel point les chromosomes qu'ils partagent sont tordus.

Ce film a été un véritable coup de cœur! Ce film est tout simplement taré (dans le sens fou du terme, ici!), et Anders réussit là un coup de maître. On ne sait pas comment tout ça peut fonctionner, comment il parvient à tenir un équilibre alors que ça part dans tout les sens. Mais force est de constater, ça tient: sur des planches vermoulues, sur de la paille pourrie, sur un sol crotté, mais bon sang, ça tient. Ca foisonne de partout, c'est un bordel sans nom, mais c'est absolument jouissif. On pense à Kervern et Delepine, on pense à Affreux, sales et méchants, on pense à l'Ile du Docteur Moreau, on pense à Buster Keaton et aux Marx Brothers, et en même temps, c'est complètement différent. On a ici un film d'une originalité démente, à la fois drôle, cruel et tendre, qui a un potentiel de film culte énorme.




Déjà, il y a un scénario béton. Et vu comme tout part en sucette, laissez-moi vous dire que pour que ça tienne, il fallait bien des fondations mastoc. Et tout, même les moments les plus frappadingues, est réglé au cordeau, chaque détail sert, chaque élément de conversation sert. C'est découpé au scalpel, même si on a l'impression que c'est tailladé à coups de hache. C'est très très bien écrit, que ce soit l'histoire ou les personnages.

Les personnages d'ailleurs, parlons-en! Là encore, je ne sais pas comment ce film s'y prend, mais ils ont beau être complètement idiots, violents, égoïstes, sexistes, vulgaires, on les aime quand même. Y'a comme une boule de tendresse dans ces grosses brutasses que l'évolution darwinienne semble avoir oublié, comme un trop-plein d'amour dans les maraves à coups de poutres et d'animaux empaillés. En plus, ils sont servis par des comédiens qui prennent autant de plaisir à les incarner que nous à les voir évoluer. Cette famille là, on serait prêt à bouffer notre extrait de naissance pour ne pas en faire partie, mais elle est pourtant terriblement attachante, parce que même dans sa complète démence, dans sa monstrueuse anomalie, elle ressemble à la nôtre: elle a ses rivalités et ses secrets, ses ressemblances involontaires, ses effets d'attraction-répulsion, elle est le foyer et la prison, le rire et les larmes, le lieu où on se fait mal parce qu'on s'aime.



Ajoutez à cela une très belle photo de Sébastian Blenkov et des décors géniaux de Mia Stensgaard, qui permettent à l'histoire de se développer dans une atmosphère chaude et rance.

J'essaie de ne pas vous en dire trop, parce que ce film est une surprise de scène en scène, et que je ne voudrais pas vous la gâcher. Personnellement, j'ai passé une séance à écarquiller les yeux d'étonnement, à m'étouffer de rire à des moments où je ne m'y attendais pas et à regarder incrédule le reste de la salle dans le même état que moi. C'est un film à la fois choquant et attendrissant, délicieux et tonitruant, à ne pas rater!












jeudi 19 mai 2016

Alone (Don't grow up) (Hallucinations collectives): Adocalypse



Petit retour sur un film des Hallucinations Collectives, dont j'attendais la sortie en salles pour vous donner mon avis. A mon grand dam (et peut être au vôtre), ce film ne sera pas distribué en salles, mais directement accessible en dvd (sous le titre Seuls, parce que oui, maintenant on traduit les titres de films même quand ils sont français). Alors même si je n'ai pas été complètement bouleversé par ce film qui a quelques lacunes, moi ce genre de distrib, ça me fait vraiment monter la moutarde au nez, et ce pour plusieurs raisons:

1.Un coprod franco-espagnole de genre:
Les productions de films de genre en Europe ne sont pas légion, il faut bien l'avouer. Là, on a droit à un film de genre de bonne facture, réalisé par un Français qui a déjà fait ses preuves, avec de jeunes comédiens britanniques qui sont plutôt bons. C'est quand même assez rare pour être signalé.
Alors pourquoi des films pareils ne sont pas distribués?
Ne venez pas me dire qu'il n'y a pas de public pour ça. C'est toujours ce qu'on veut nous faire croire, mais c'est faux. Il y a un public pour le film de genre (ici, on est assez proche du film de zombie), le succès des séries de genre le montrent bien. Mais quoi alors, c'est un gros mot le genre? Et on veut pas le voir associé au cinéma français de qualité, c'est ça? Pourtant, Alphaville, c'est de la SF, non? Et La cité des enfants perdus, j'ai pas rêvé, c'est bien du fantastique? Non parce qu'à force de voir combien les réalisateurs de films de genre en chient en France pour se faire produire puis distribuer, c'est à croire que c'est le cas.
Quand on voit que certaines bouses mal cadrées, mal jouées et/ou mal écrites sortent chaque semaine avec des chiffres d'entrée désastreux et que des films comme celui-ci n'y ont pas accès, ça me rend un peu vénère sur les bords. Pourtant, on sait que ça peut marcher: le succès des Revenants (la série) le prouve. Cette frilosité me dépasse franchement.

2. Un réalisateur français qui a fait ses preuves
Alone a été réalisé par un réalisateur français qui n'en est pas à son premier essai. Thierry Poiraud était déjà un des deux réalisateurs d'Atomik Circus (une sympathique histoire d'aliens) et celui de la deuxième partie du super fendard Goal of the dead (que j'avais chroniqué ici). Il fait ici cavalier seul sur Alone.
Et Thierry Poiraud, c'est un vrai faiseur d'images. Ici encore, la photo est magnifique et il fait à nouveau preuve d'un grand sens du cadre. Pas de caméra tremblottante et de lumière cradingue, pas de "cinéma vérité" aussi moche que la vraie vie, mais la création d'un véritable univers visuel. C'est si fréquent que ça pour s'en priver? Ben crotte alors! Le jour où, comme d'autres avant lui, il sera recruté par Hollywood qui aura vu en lui le bon artisan qu'il est, il ne sera plus temps de crier Cocorico. C'est maintenant que son talent doit être reconnu!

Ca c'était pour mon petit coup de gueule habituel de copine du film du genre français. Parlons maintenant du film en lui-même.

 


Nous sommes dans un centre de redressement perdu au beau milieu d'une île écossaise avec 6 adolescents: Thomas, un jeune timide et plein de rêves, May, une jeune fille assez sérieuse et amoureuse de Liam, le beau gosse à grand gueule de la troupe, le meilleur ami de ce dernier, Shawn, Pearl, la benjamine rebelle, et Bastian, le taiseux qu'on dit un peu timbré. Un matin, ils se réveillent et se trouvent livrés à eux-mêmes sans adultes pour les surveiller. Ce qui peut paraître à première vue une aubaine et une libération va bientôt se transformer en cauchemar quand ils se rendront compte que les adultes les ont bien plus abandonnés que prévu puisqu'ils se sont, du jour au lendemain, transformés en une horde de zombies brutaux. Au-delà d'une simple question de survie, une autre menace plane sur nos jeunes héros: celle de grandir trop vite et de sombrer dans la dégénérescence précoce de leurs aînés.

Comme je le disais, j'ai quelques réserves sur ce film. D'abord, sur l'écriture du scénario dans laquelle je déplore quelques incohérences et passages à vide, et je ne suis apparemment pas la seule. Effectivement, après la séance des Hallucinations collectives, le public a pu échanger avec Thierry Poiraud et se sont souvent des interrogations que je partageais qui sont ressorties. D'abord, on a un peu de mal à comprendre comment fonctionne la maladie: comment la contracte-t-on? Est une histoire d'âge? de maturité? Le film n'est pas très clair là-dessus. Mais Thierry Poiraud a bien voulu nous livrer son interprétation: les personnages deviennent adultes, et sont donc susceptibles d'être touchés par la zombification à partir du moment où ils ne vivent plus uniquement pour eux-mêmes, mais s'intéressent plus au sort des autres. Si on y réfléchit, ça semble fonctionner à peu près, même si ça semble parfois discutable mais en effet, cela aurait été bien que cela soit plus visible dans le film.

Autre problème que le film peut poser: sa construction. On peut effectivement découper le film en plusieurs parties: présentation du cadre et des personnages / problème / parenthèse enchantée / vision d'apocalypse / issue. Cela pourrait plutôt bien fonctionner si ces parties n'étaient pas un peu déséquilibrées. En effet la phase "parenthèse enchantée", même si elle est très intéressante, est assez longue et l'avant-dernière partie est en revanche très courte. Thierry Poiraud s'est expliqué là-dessus lors de la soirée de présentation. Au départ, l'avant dernière partie était beaucoup plus longue et il y avait beaucoup plus de scènes d'action dans celle-ci à l'écriture. Malheureusement, le manque de moyens techniques et financiers l'a contraint à restreindre cette partie au tournage. Bien dommage en effet, parce que si cette partie est bien trop courte, elle est cependant à couper le souffle, et on se prend à rêver de ce qu'on aurait pu voir si l'équipe avait pu se le permettre.

Parmi mes quelques réticences, je rajouterai également des flashback un peu trop longs et explicatifs, mais c'est un détail.



Parce que pour le reste, je ne vous cache pas que j'ai passé une très bonne soirée. D'abord, parce que j'avais face à moi de beaux personnages d'adolescents que j'avais envie de suivre. Et c'est là que l'écriture de scénario de Marie Garel Weiss s'avère très efficace. Il suffit d'une scène, la première pour savoir à qui on a affaire et pour poser les enjeux: une courte interview video de chaque gamin où ils sont interrogés sur leur vision de l'avenir, une sorte de found footage de la maison de correction. C'est pas un procédé qui date d'hier (Le fameux monologue des 400 coups), mais ça n'a pas son pareil pour poser les personnages et la menace qui pèse sur eux. En à peine 5 minutes, on sait à qui on a affaire, les rêveurs, les désenchantés, ceux qui veulent de devenir des adultes accomplis et ceux qui ont peur du futur. Et déjà, en les voyant parler de leur avenir, on sent à la fois que celui-ci va être résolument en danger et que ce que nous voyons sur notre écran n'est qu'une trace de leur existence, et sans même les connaître, on ressent pour eux dès le départ la nostalgie de leur disparition. Et moi je trouve ça hyper fortiche.

On est donc face à des personnages bien écrits, qui ne se contente pas d'être une bande de jeunes, de caricatures d'ados, et on s'attache instantanément à eux. Ca a l'air évident, comme ça, mais c'est pas si fréquent de voir au cinéma aujourd'hui un regard bienveillant et de la tendresse sur la jeunesse. On a tellement souvent droit au couplet "le jeunes d'aujourd'hui, ma bonne dame, ils ont plus de repères, ils passent leur vie sur leur téléphone, ils ont plus conscience des réalités, ils sont tous pourris gâtés, ils ne savent pas se concentrer 5 minutes et leur rêve c'est de faire de la télé-réalité ou de braquer les fringues de Paris Hilton pour les mettre sur Facebook" (bon, ok, j'ai une petite dent contre Sofia Coppola et ses look-alike du moment, qui veulent faire jeune pour faire cool tout en faisant passer cette génération pour des monstres, faudra que je vous en parle plus longuement à l'occasion). Bref, les gamins de Alone sont loin d'être des anges, mais ce sont de chouettes être humains, plein de fêlures, plein de rêves et contraints de vivre vite et intensément tout ce qu'ils savent qu'ils ne pourront avoir la chance de vivre en tant qu'adultes. Ils sont tous touchants, jusqu'à la petite frappe menteur, et d'une lucidité à la fois bouleversante et horrifiante.



Et bien évidemment, pour que de bons personnages soient au mieux visibles, il faut de bons acteurs. Et là, je trouve que le casting est époustouflant. Les jeunes comédiens, le troublant Fergus Riordan et l'adorable Madeleine Kelly en tête, sont tous formidables, et arrivent parfaitement à transmettre toute l'intensité de leur situation. On sent chez eux cette énergie de vivre, malgré leur vie jusque là un peu merdique, malgré le monde qui s'écroule autour d'eux, malgré la violence et l'urgence. Ils sont en parfaite adéquation avec le ton du film, une fuite désespérée, un cruel désenchantement, un oscillement permanent entre la vie et la mort.

Et puis, il y a une réalisation à la fois efficace quand il s'agit de faire "du film de zombie" et subtile quand il s'agit de s'approcher au plus près des personnages, de les traiter avec tendresse et délicatesse. La fameuse "parenthèse enchantée", même si je l'ai trouvée un peu longue reste tout de même un de mes passages préféré. Cette histoire d'amour entre deux adolescents est filmée de manière douce et pudique, sans que l'on perde en intensité ou que l'on oublie la terrible toile de fond. Le tout est parfaitement souligné par une photographie superbe, qui sait mettre en valeur les magnifiques paysages désertés que ce soit la forêt ou les terres arides, mais qui sait faire brûler l'enfer d'une cité vaincue par la peste. On a souvent droit à des images très belles, très bien construites, et tout à fait terrifiantes pour certaines. Des images qui mériteraient vraiment plus qu'un petit écran.


 
 










jeudi 12 mai 2016

Lamb: l'enfant et l'agneau



Grâce au site Cinetrafic (qui propose en ce moment une liste de films plus que populaires et met à jour celle des meilleurs films de cette année) j'ai pu découvrir un film éthiopien que j'avais raté en salles mais dont la jolie bande annonce m'avait bien enthousiasmée: Lamb, de Yared Zeleke.

Alors déjà, en bonne tricoteuse et gambadeuse de collines, j'ai un vrai faible pour les moutons (j'en avais déjà parlé ici). C'est comme ça. Depuis ma plus tendre enfance et mon copain Bébert (un gros mouton au poil noisette dont la peau moelleuse a longtemps abrité mes siestes après son triste décès), j'adore ces divins ovins. C'était déjà un bon point pour ce film dont le protagoniste a un lien privilégié avec son agneau.



Lamb est donc l'histoire de ce garçon, Ephraïm, qui doit quitter sa terre natale dans les terres volcaniques éthiopiennes suite à une famine qui a causé la mort de sa mère. Son père le confie, ainsi que sa seule possession, l'agneau Chuni, à son oncle le temps de trouver à Addis-Abeba assez de ressources pour faire vivre sa famille. Ephraïm se retrouve donc accueilli par cette famille rurale qui a déjà bien du mal à nourrir les siens et ne rêve que d'une chose: rentrer chez lui avec cet agneau que d'autres verraient bien finir en broche. Mais pour cela, il va avoir besoin d'argent, et de beaucoup d'astuce.

Dès le premier plan du film, l'histoire est installée: un main d'enfant flatte le flan laineux et roux d'un animal. Le plan est assez long et nous permet tout de suite de comprendre cette relation qui va être au centre du film: cet attachement d'Ephraïm (puisque c'est lui) à cet agneau infertile qui est la seule chose qui le rattache à sa maison, et à sa mère disparue, ce lien qui semble inébranlable entre ces deux êtres frêles et seuls.

Nous sommes bien ici dans le récit initiatique, celui de l'enfant séparé de ses parents qui va devoir apprendre à se reconstruire une famille et à devenir adulte et responsable. Mais pour y arriver, il va y avoir des épreuves, des efforts à fournir, des sacrifices à faire. Cette histoire est vieille comme le monde, mais on ne se lassera jamais de l'écouter, c'est un mythe sans cesse renouvelé et universel, qui puise sa résonnance en chacun de nous, et le film fonctionne très bien à cet égard.



Même si je n'ai pas été totalement transportée par le film, notamment à cause de certaines longueurs, ce qui assez dommage pour un film relativement court (1h34), j'ai passé quand même un joli moment de cinéma.

D'abord parce que plastiquement, Lamb est un très beau film. La lumière est splendide et met parfaitement en valeur les superbes paysages éthiopiens qu'arpente le jeune Ephraïm. La caméra sait se faire discrète et nous laisse profiter de ces paysage dans de très beaux plans larges, mais elle n'hésite pas à nous faire entrer dans l'intimité des personnages en les filmant au plus près. J'ai par exemple beaucoup aimé les scènes à l'intérieur de la petite habitation de l'oncle d'Ephraïm, où l'on sent à la fois la chaleur d'un cocon familial et la pression d'un monde très fermé (notamment pour la cousine d'Ephraïm, Tsion). Cet espace très matriarcal, dominé par une grand-mère assez formidable, semble s'élargir d'un coup lors d'une scène de fête, pleine de joie et de vigueur.

J'aime aussi beaucoup les personnages qui ont été écrits avec une véritable tendresse. Ephraïm (interprété par l'adorable Rediat Amare) est un formidable petit garçon plein de douceur et de détermination, malin et émouvant. Il a gardé de sa mère un vrai don pour la cuisine (entre parenthèse, si comme moi, vous avez un penchant pour la cuisine ethiopienne, ses galettes et ses samossas vous mettrons l'eau à la bouche), cela pourrait être un détail mais ce don est à la fois un lien fort avec la mère absente et un outil important pour le personnage, ce qui fait que les scènes de cuisine sont souvent assez émouvantes. Je vous ai déjà parlé du personnage de la grand-mère matriarche, que j'apprécie beaucoup, sa douceur et sa sévérité, sa générosité. J'aime aussi beaucoup le personnage de Tsion, la rebelle de la famille, qui étudie de près le journal et se passionne pour l'agronomie, toujours en conflit avec sa mère, qui, à son âge, aimerait bien la voir mariée au lieu de trainer au village avec les hommes à parler politique. Tsion (la belle Kidist Siyum) représente une jeunesse qui sera apportera peut-être un futur meilleur à l'Ethiopie, une jeunesse militante, qui voit dans la révolution agronomique (il est d'ailleurs intéressant de noter que le réalisateur, Zared Zekele, qui avoue que ce film comporte de nombreux éléments autobiographiques, a fait des études d'agronomie avant de travailler pour des ONG).



Et s'il y a une raison pour laquelle ce film est réussi, c'est aussi grâce à sa manière de traiter avec douceur et simplicité des situations extrêmement graves. Et là, c'est même alarmant: on parle de famine, d'exode, de la perte d'un parent proche. Zared Zekele fait aussi le portrait d'un pays très en souffrance (et malheureusement, les évènements du 15 avril dernier ne font que confirmer ce triste constat). Mais il le fait avec une vigueur et un espoir et un dynamisme contagieux. Car même dans avec une toile de fond aussi grave, ce film reste léger et parvient à véhiculer une belle leçon sur la famille, à portée universelle.

N'ayant reçu qu'une copie de distribution du film, je ne peux évaluer le DVD. Sachez en tout cas que la qualité de l'image était irréprochable, ce qui est toujours bienvenue sur des films comme celui-ci où le travail sur la lumière est aussi important. Le DVD, édité par Blaqout (qui a aussi sa page facebook), est sorti le 4 mars 2016.


















mercredi 11 mai 2016

D'une pierre, deux coups (de coeur)



La famille. Pétard, la famille, c'est un sujet de cinéma à part entière. On pourrait faire un arbre généalogique des films sur la famille en partant Du repas de bébé des Lumières. Et c'est vrai que c'est un sujet passionnant, touchant, et en plus propice à la comédie, et accessible à tous. Et moi j'adore ça. Je viens de me faire un marathon de la dernière saison de Modern Family, Les Valeurs de la famille Adams est un des films que j'ai vu le plus dans ma vie, et dès que j'ai un coup de mou, j'écoute les Beach Boys. Mais ma famille à moi, ma vraie famille, je l'ai rarement vue au cinéma. En fait, j'avais l'impression de ne l'avoir vue qu'une seule fois, dans l'adorable comédie Le Nom des gens, où l'héroïne Bahia avait un papa algérien et une maman française, comme moi. Et si j'avais pu retrouver dans quelques films la famille du côté de ma maman, je ne voyais nulle part mes oncles et tantes, ni ma Djeddah (Grand-mère en arabe) au cinéma. On y voyait bien des familles maghrébines, mais ce n'étaient pas la mienne, elles étaient toutes beaucoup trop sérieuses, ou cliché, ou porte-drapeau, et on n'y voyait rarement régner la diversité.

Mais ça c'était avant que Filou, du blog Baz'art ne me permette, grâce à un concours, de voir D'une Pierre deux coups, de Fejria Deliba, qui m'a tout de suite fait me sentir à la maison, dans ma belle famille nombreuse et heureuse, avec pour noyau doux et solide une mère, dont on oublie parfois qu'elle est aussi une femme.



D'une Pierre deux coups, c'est avant tout l'histoire de Zayane, 75 ans, mère de 11 enfants, auxquels elle est totalement dévouée: elle garde les petits-enfants, prépare sur commande des petits plats, et malgré son illettrisme, affiche la volonté farouche de se débrouiller seule, que ce soit pour réparer ses robinets ou décoder son courrier. Mais lorsqu'un faire-part de décès lui parvient avec une invitation à venir chercher une boîte contenant des souvenirs de jeunesse près de Blois, elle décide de se débrouiller pour aller la récupérer seule, ce qui tient de la véritable aventure pour cette femme qui depuis qu'elle est arrivée en France, n'a jamais dépassé les frontières de sa cité. De leur côté, les enfants de Zayane remarquent rapidement son absence et se réunissent dans son appartement: ensemble, ils vont se moquer, se jalouser, se casser les pieds, se faire la morale, rire et se pousser du coude, et il vont surtout découvrir une Zayane différente de celle qu'ils étaient persuadés de connaître par cœur.

Alors oui, on va pas se mentir, ce film n'est pas le film du siècle. L'interprétation laisse parfois un peu à désirer, y'a pas une réalisation de ouf et le scénario n'est pas d'une ambition démesurée, mais vous savez quoi, je m'en moque éperdument, parce que ce très joli film m'a touché en plein cœur, et j'ai passé un merveilleux moment entre rires et larmes. Alors oui, c'est un ressenti tout à fait personnel et non, ça vous fera peut être pas le même effet, mais moi, ce D'une pierre deux coups m'a fait un bien fou.

D'abord parce qu'entre moi et ce film, comme je l'expliquais, c'était tout simplement évident, on s'est reconnus. Il m'a tout de suite été d'une familiarité directe, et je me suis tout de suite laissée emportée, et c'est surtout grâce à l'écriture fine, simple et sincère de Fejria Deliba, qui est aussi scénariste de cette jolie histoire.



Parce que déjà, Zayane, je l'ai tout de suite adoptée. Elle est jouée par Milouda Chaqiq, et ça n'est sûrement pas un hasard. Milouda Chaqiq, ou Tata Milouda, s'est mariée très jeune et est arrivée en France avec son époux sans en connaître la langue. Elle n'a pas de papier et enchaîne les petits boulots et lors de cours d'alphabétisation, elle découvre le théâtre et le slam et devient artiste. Il y a donc beaucoup de résonnance entre sa propre vie et le personnage de Zayane, et on comprend qu'elle mette du cœur à l'ouvrage de cette interprétation. On sent que c'est son premier film à certains moments, mais à d'autres, elle est véritablement troublante de réalisme. Moi, Zayane, j'y ai cru jusqu'au bout, parce que Zayane je la connais très bien, c'est ma grand-mère. Elle aussi, elle s'est mariée très jeune, elle n'a pas appris à écrire le Français, et elle a réussit à élever 9 enfants à la force de ses beaux poignets cerclés d'or, toujours prêts à nourrir, à caresser ou à flanquer des fessées. Et c'est la toute première fois que je voyais ma grand-mère sur un grand écran. Et Zahiane m'a fait rire comme elle avec les bonbons distribués autour d'elle ("c'est bon, c'est du sucre!"), elle m'a impressionnée comme elle quand elle fait preuve de malice (ma mamie adorée ne vandalise pas de camions à ma connaissance, mais je l'en crois tout à fait capable si on la cherche), de dignité et d'audace. Et il y a des moments où Milouda Chaqiq est d'une justesse incroyable. La scène où elle se prépare pour son rendez-vous avec ses souvenirs dans la voiture, le soin qu'elle prend à rattacher son foulard, à mettre pour l'occasion un peu de rouge à lèvres est absolument magnifique. Et celle où elle se retrouve en terrasse avec sa fille (interprétée par Brigitte Rouan) et que cette dernière commande un verre de vin est absolument irrésistible.



Et puis, chez Zayane, il y a la femme, cette femme qui a su si bien s'effacer derrière la mère et qui a aimé, il y a bien longtemps, avant son mariage, et n'a jamais oublié. Cette femme que l'on retrouve sur super 8 jeune et pleine d'espoir, dont les enfants ignorent même l'existence. C'est la très bonne idée de ce film: y ajouter une belle histoire d'amour impossible et insuffler une petite dose de mélo dans la comédie qui soutient tout le film. Chez moi, ça fonctionne toujours et j'ai été émue aux larmes par cette belle partie romantique, où Zayane renoue avec son passé et partage des révélations personnelles avec sa fille, sans tabou.

Parce qu'au delà de Zayane, D'une pierre deux coups, c'est aussi une fratrie qui se réunit autour de l'absence maternelle. Et là encore, je me suis tout de suite sentie à l'aise. D'abord parce que le casting est très bien fait. Fejria Deliba a parfaitement choisi ses comédiens de manière à ce que l'on voit en eux des frères et des sœurs: chez certain(e)s, on décèle presque un air de famille qui n'existe pas, c'est très bien senti. Mais surtout, c'est la toute première fois que je vois à l'écran une famille algérienne telle que je la connais, dans toute sa diversité. Diversité sociale (de la coiffeuse à l'entrepreneur international, en passant par le chômeur, le vendeur de fruits et légumes sur le marché, l'étudiante, l'assistante sociale...), diversité de croyance et d'opinions (de la convertie en burqa aux amateurs de vin, de ceux qui sont heureux de découvrir le passé maternel à ceux qui refusent d'y penser), diversité d'âges que les familles nombreuses connaissent souvent (de la cinquantenaire à la vingtenaire). Et surtout, le scénario est écrit de telle manière que chaque personnage existe, et se trouve caractérisé en très peu de temps. Que ce soit l'ainée retraitée des services sociaux aux secrets bien gardés qui accompagne sa mère et que l'on voit dès la scène d'ouverture, ou la sœur qui travaille tard pour une grande entreprise et qu'on ne croise qu'à la fin, on s'imagine assez facilement qui ils sont, on imagine leur histoire personnelle. Leurs relations entre eux sont également très bien traitées: on sent la jalousie(entre la coiffeuse et sa sœur "qui a des chaussures qui coûtent un SMIC"), le ressentiment parfois (le grand frère qui fait la leçon à ses petites sœurs), mais aussi le rapprochement autour du rire, les chuchotements au-dessus de l'épluchage des légumes, les petites moqueries de gamins, le partage. Et là aussi, il y a des détails qui sont criants de vérité: un enfant qui joue aux billes avec des pois-chiche renversés, des restes laissés au frigo, le pain qui tourne autour de la grande table.



Enfin, ce que j'apprécie beaucoup dans D'une pierre deux coups, c'est le ton du film. C'est souvent drôle, c'est léger, c'est doux-amer, comme le sont souvent les meilleures chroniques familiales (Un air de famille, Taste of tea...) Ca semble bête comme ça, mais une des rares fois que je vois une famille de "française de minorité visible" traitée sur le même ton que n'importe quelle autre famille, sans tomber ou dans le film social militant, ou la caricature débile (avec du Christian Clavier, par exemple), avec tendresse (ce film en est bourré) et un regard amusé et piquant. Moi, ça m'a sauvé d'une journée pluvieuse, ça m'a donné envie de retrouver toute ma grande et belle famille autour d'un repas et de serrer très fort dans mes bras ma belle Djeddah aux poignets cerclés d'or.









mardi 10 mai 2016

Fantasia, vous avez dit fantastique?



Grâce à l'opération DVD Trafic du site Cinetrafic, (qui vous propose notamment une sélection du cinéma d'Asie et des films qu'on peut voir cette année au cinéma) j'ai pu découvrir le film Fantasia, de Wang Chao, dont le pitch qui promettait un mélange de film social et film fantastique, m'avait attirée.

Autant le dire tout de suite, ce billet risque d'être très court, parce que j'avoue être passée plutôt à côté de ce film chinois. Et je dois dire que (fait rare), me voilà bien embêtée pour vous en parler.

Je peux déjà vous présenter ce drame familial. Une famille, donc, dans une ville industrielle chinoise. Le père travaille à l'usine, la mère vend des journaux, le fils va au lycée et la fille a un petit ami fan de jeux vidéo et en contact avec la pègre. Tout va à peu près jusqu'au jour où l'on diagnostique, chez le père, une leucémie.



En fait, je pense que ma perplexité vient surtout de la manière dont le film est présenté. Le pitch présent sur la jaquette (et oui, je parle encore en VHS) met en avant la fuite de l'ainé vers "un monde rêvé, un monde fantasmatique, un monde de fantaisie." On s'attend donc à une forte part de fantastique ou de merveilleux dans le film. Or il est à mon avis très peu présent, sauf à la fin du film. Du coup, si l'on s'attendait à un film fantastique, c'est très mal barré. On est bien là face à un film social avant tout, avec une légère incursion dans le rêve. D'ailleurs si l'on regarde l'interview de Wang Chao, il explique que l'idée de rajouter un peu de fantastique lui est venue au moment du tournage et qu'elle n'était pas dans le scénario de base.

Du coup, d'une, j'ai été déçue parce que le film ne correspondait pas à la promesse qui en était faite, mais en plus, j'ai trouvé que ces scènes de "fantaisie" ne fonctionnaient pas du tout. On sent effectivement l'effet hansaplast de ce truc qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe et qui pour moi, ne se raccorde pas vraiment avec le reste du film. Donc, là-dessus, j'ai déjà été très décontenancée.



Après, en ce qui concerne le cœur du film, c'est à dire le film social, je trouve qu'il y a des choses plus intéressantes. On rencontre une Chine industrielle qui survit parfois difficilement, loin de l'image de locomotive qu'on essaie de nous montrer. On y voit des usines se dépeupler, et, dans les hangars déserts résonnent l'annonce des camarades qui ont "glorieusement été licenciés". Et on voit combien l'absence d'un système social peut détruire plusieurs vies.

C'est d'ailleurs sur ce dernier point que le film fonctionne le mieux, la dénonciation de cette absence, et l'indifférence envers les malades. Quand la mère décide de payer le traitement du père, elle est d'abord aidée par l'employeur de son époux, mais bien vite, elle doit trouver des financements elle-même, et quand elle recherche à être épaulée, on lui fait bien comprendre que l'issue de la maladie étant la même, cet investissement ne paraît pas judicieux. C'est là que Wang Chao touche juste, sur rationalisation de la douleur et de la souffrance, et le constat qu'il en fait est bouleversant, puisque chacun des personnages en voit sa vie ébranlée.

Cependant, le film se perd dans de nombreuses scènes sans véritable importance ou charge émotionnelle. Il est très court (1h26) et pourtant le temps semble s'étirer et j'ai eu du mal à réprimer certains bâillements. Je pense que ce film aurait largement gagné à être coupé (notamment de sa partie "fantastique") pour devenir un moyen métrage. Ainsi, le délitement de la cellule familiale bouffée par la maladie de l'un d'entre eux aurait eu plus de poids, parce qu'on a quand même de très belles scènes dès qu'on touche à cette intégrité familiale qui s'effrite: un dernier anniversaire, une discussion entre mère et fille autour de haricots à écosser, un face-à-face père fils dans un troquet.



Le DVD
Il est sorti le 4 mars 2016 et édité par Blaqout (qui a aussi une page Facebook). J'apprécie assez la pochette cartonnée de ce DVD qui est assez belle.
En ce qui concerne le contenu, je le trouve assez faible: une courte interview du réalisateur et une version originale sous-titrée uniquement en français pour le film.