Pour le ciné-club de Potzina de ce mois-ci, hébergé par le blog La Chambre rose et noire avait ce mois-ci pour thème halloweenien "Horreur". Autant vous dire que pour moi, c'était du pain maudit, et que je ne me suis pas fait invoquée bien longtemps pour chercher le film adéquat.
Pour rappel, le ciné-club de Potzina, c'est un ciné-club entre bloggueurs avec, tous les mois un bloggueur qui héberge l'évènement et propose un thème pour lequel chaque bloggueur peut proposer un film. Pour plus d'infos et pour participer, n'hésitez pas à vous rendre sur notre groupe Facebook, on a envie de voir plein de propositions de films fleurir sur la blogosphère...
Comme je le disais, je me suis tout de suite attelée à trouver le bon film. J'en avais de nombreux en tête, mais j'ai décidé de me diriger vers un film un peu moins récent et un peu moins connu, que j'ai trouvé tout à fait adapté à un petit lundi soir d'Halloween très classique, sous les plaids, avec un chocolat chaud, allumé à la réverbération de l'écran en noir et blanc, pour frissonner de plaisir devant une des plus grandes dame du cinéma, Madâaame Bette Davis. Le film que je vous propose, c'est The Nanny (Confessions à un cadavre, dans le pauvre titre français), une production Hammer réalisé par le britannique Seth Holt en 1965.
Le film commence ainsi: Le jeune Joey revient dans sa famille d'un pensionnat apparemment spécial. On ne peut pas dire que l'ambiance soit au beau fixe: Papa passe son temps à bosser et à fumer des cigares, ayant assez peu de temps à consacrer à son fils, Maman est en totale dépression et passe ses journées à pleurer et à prendre des somnifères. De plus, Joey a un sens de l'humour particulièrement morbide et semble avoir une sacrée dent contre la nurse de la famille, "Nanny", qui fait pourtant tout pour le mettre à l'aise... Ca cache quelque chose...
Avant tout, petit avertissement: si vous vous attendez à de l'hémoglobine, des zombies, des vampires et de la rigolade, détrompez-vous. Là, pas d'effet grand-guignolesques, pas de caméra qui tremble, pas de jump-scare et de de long cheveux mouillés qui trainent. Non, ici, on entre au cœur de l'angoisse, aux tréfonds de l'horreur, au supercore de l'épouvante: dans l'ignominie de la psychée humaine. Oubliez Dracula, oubliez la créature de Frankenstein, oubliez les piranhas et Freddy Krueger. Rien de fantastique ici, que du possible, que du probable et c'est bien ça qui fait le plus peur.
Entre Joey l'enfant un peu diabolique et la glaçante Nanny, on ne sait lequel des deux est le plus à craindre. Nous voilà enfermés dans cette famille anxiogène et endeuillée et on ne se sent pas du tout, mais alors pas du tout en sécurité. On cherche partout un peu d'air frais, une baisse de tension, une petite pause, mais c'est peine perdue. Vous avez déjà vécue une réunion de famille ultra glauque où chacun regarde son assiette et rumine contre son voisin? Ben dites-vous bien que c'était la famille Ingalls à côté de celle-là. La tension domestique est palpable dans chaque parole, mais surtout dans chaque silence, dans chaque geste fait, mais surtout dans chaque geste réprimé, dans chaque regard dirigé, mais surtout dans chaque regard évité.
Et c'est de là que vient la peur, dans le fait qu'au sein-même du foyer, de l'endroit qui devrait être le plus rassurant au monde, la mort, le crime et les secrets rodent. Et l'on comprend très vite que la mort a déjà frappé cette maison bourgeoise et parfaite en apparence, et qu'elle s'est attaqué à un enfant. On voit alors combien cette famille est bancale: des parents incapables de protéger leur progéniture, une nurse dont l'emprise sur la maison est sourde mais implacable, un gosse inquiétant qu'il semble bien difficile d'apaiser. L'épouvante s'installe là, dans les repères perdus, dans l'inconsistance de la seule chose qu'on pense acquise: la sécurité et la douceur du foyer. Au dessus de tout ça, probablement la plus grande des peur primale, et la plus déchirante: celle de l'abandon. Quand je vous disais que ça fait pas rigoler!
Sinon, à la réalisation, c'est Seth Holt, et on sent bien qu'on est dans le milieu des années 60, qui osent tout: des plans audacieux, des effets visuels psychédéliques, qui donnent un bon coup de peps à une histoire qui fleure bon le classique gothique (après tout, on est chez la Hammer): on pense notamment beaucoup à l'indétronâble Tour d'Ecrou d'Henri James, dont Les Innocents en est sans doute la plus belle adaptation, et un peu aussi à The Servant de Joseph Losey, réalisé un an plutôt. On fait voler en éclat la bonne famille british et bourgeoise, et ça craque de partout.
Et là où on se fait plaisir, c'est vraiment sur l'interprétation. Wendy Craig (qui jouait déjà une bourgeoise dans The Servant, tiens-donc...) est une mère sous prozac parfaitement insupportable de passivité, Jill Bennet tient parfaitement son office de Scream Queen, et le jeune William Dix apporte à son rôle toute la duplicité nécessaire à nous faire douter de lui. Et puis, il y a Bette Davis: la voix aigüe et éraillée de Bette Davis, les grands yeux de Bette Davis (et maintenant, vous avez la chanson de Kim Carnes dans la tête pour la journée, mouhahah), la douceur, la fragilité, l'intransigeance et la grandeur de Miss Bette Davis qui bouffent tout le film. Elle est (et elle l'est toujours) magistrale.
Alors cet Halloween, laissez tomber Joséphine, la MacPhee et Mary Poppins, et confiez les enfants à The Nanny, ils ne vous remercieront pas...