Pas de vacances pour moi cet été. A force de voir pulluler les photos des copains en Italie, au Canada, en Nouvelle Zélande, au Portugal ou à d'autres magnifiques coins de la planète, je me sentais un peu frustrée. Alors, moi aussi, j'ai décidé de partir. J'ai pris mes valises sous les yeux et j'ai acheté mon billet. Loin de chercher le soleil, je me suis installée dans le noir pour prendre le
Dernier train pour Busan, une destination aussi lointaine qu'incertaine.
Je ne suis absolument pas déçue du voyage, mais autant vous prévenir: suite à des incidents techniques, il risque d'y avoir quelques arrêts momentanés sur la route. Mais pour votre sécurité, il vous est cependant strictement interdit de descendre des rames avant votre arrivée à destination. Dites adieu au tranquille brinquebalement, au délicieux et hypnotique roulis des wagons, et préparez-vous à des secousses. Si vous êtes toujours partant, installez-vous bien confortablement (parce que ça va pas durer) sur la moleskine de votre place, et évitez d'ouvrir trop les rideaux des fenêtres: ce ne sont peut-être pas des troupeaux de vaches que vous y verrez défiler, mais une meute de créatures bien plus menaçantes. Attention à la fermeture des portes, accès au départ!
Direction la Corée du Sud, donc, qui après
The Strangers (vu
ici) et
Man on High Heels (que j'ai honteusement raté, mais que
Tina me donne furieusement envie de voir), a décidément une sacré patate estivale.
Dernier train pour Busan est un film de Yeon Sang-Ho et c'est le premier film que je vois de ce réalisateur, qui a surtout fait de l'animation (ce qui se voit un peu).
Tout commence dans une petite bourgade où l'on observe un barrage routier de décontamination biologique qui arrête un transporteur agricole: pas très rassurant, mais rien d'inhabituel dans le monde où nous vivons et où les souvenirs de la grippe aviaire sont encore très frais. Le transporteur agricole reprends la route, et percute une biche. Pour éviter tout problème, il déplace l'animal mort et reprend tranquillement la route. Un joli pano et on revient sur la route, un spasme anime le cadavre qui se relève et affiche un regard vitreux pas très sain. Et bim! On est tombé dans le film. Après quelques minutes à peine, première émotion: on hésite entre le rire et la surprise, mais en tout cas, on est aussi ferrés que la voie (bon, ok, elle était facile, celle-là) et prêts à voir à un bon petit film de zombies des familles. Les films de zombie, c'est plus très original, se dit-on, mais ça fait toujours plaisir. Et bien ce n'est qu'à moitié juste.
Parce que oui, un film de zombies, ça fait toujours plaisir, mais non, ce film de zombies n'est pas qu'un énième film de zombies. Et rien que ça, bon sang, c'est une excellente nouvelle.
Dernier train pour Busan est un film extrêmement intelligent qui reprend des films de zombies ce qu'ils ont de plus intéressant, mais arrive tout de même à renouveler le genre de manière très étonnante, mais pour le comprendre, il faut que je vous parle un peu plus du pitch...
Nous avons donc 2 protagonistes principaux: un trader sans merci, Sook-Woo et sa fille Soo-han, qu'il a tendance à négliger un peu, se donnant corps et âme à son diable de taf. Il doit ramener la fillette chez sa mère, à Busan et ils prennent un train à grande vitesse pour s'y rendre. Le voyage devrait être rapide, et le père devrait vite pouvoir revenir au business as usual. Mais c'est sans compter l'intrusion pirate au moment de la fermeture des portes d'une jeune femme tremblotante, aux veines bleuies et au teint blaffard, symptômes d'un virus très virulent et hautement contagieux qui foudroie ses malades puis les transforment en cadavres décérébrés et assoiffés de sang.
Voilà, les dés sont jetés, tout est là: on est parti pour un huis-clos en mouvement avec l'intrusion d'un patient zéro dans un lieu fermé. On sait déjà à quoi s'attendre : la recherche d'une issue, le danger qui pousse à se surpasser, une contagion rapide et bien flippante, et une tension continue. Et on a bien raison, parce qu'il y a exactement tout cela.
D'abord le huis-clos dans un train. On le savait depuis longtemps avec le
Crime de l'Orient-Express: enfermer des gens dans un train et y faire pénétrer une menace est une excellente idée. Ici, elle est parfaitement exploitée, balisant le terrain, créant de nombreuses contraintes qui, on le sait très bien, sont le meilleur catalyseur de la créativité. Comment s'en sortir quand on est cloitré dans un compartiment parce que les autres voitures pullulent de zombies, autant que les gares intermédiaires et que sa seule planche de salut c'est arriver à bonne destination? Dévoiler des trésors de courage et d'ingéniosité. Et là, comme on l'avait déjà fait pour l'autre chef d'œuvre d'anticipation ferroviaire Snowpiercer, on s'étonne de la manière incroyablement inventive dont on arrive à évoluer dans cet engin si étroit, à lui donner de l'espace et de la profondeur grâce à des mouvements de caméra dont l'ampleur ébahit. On est épaté par l'économie du scénario qui ne laisse rien au hasard, qui sait parfaitement utiliser l'intégralité du décor, où chaque objet et élément de l'espace a une fonction. C'est d'une efficacité et d'une intelligence effarantes.
Autre code du film de zombies totalement respecté: la situation de survie exacerbe les caractères, pousse l'humain dans ces derniers retranchements. C'est l'un des aspects les plus intéressants du film de zombies, du film catastrophe de manière générale. Parce que oui, le film de zombies et particulièrement celui-ci peut être totalement affilié au film catastrophe (ce qui fait que j'ai toujours du mal à comprendre les gens qui adorent les films de zombies et qui n'aiment pas
Titanic). Donc là, les personnalités se dévoilent et les sentiments explosent: le trader se découvre père, la petite fille délaissée se découvre aimée, la grande gueule à gros bras se découvre tolérant et sensible, le gamin réservé se découvre courageux, le gros con... ben reste un gros con. Et il y a toujours quelque chose d'exaltant à voir s'opérer ces transformations pour les personnages, à voir combien leur évolution peut être rapide en situation extrême.
Autre contrainte forte qui déploie des trésors d'imagination chez les scénaristes et qui en font un film haletant: la notion de temps est aussi étroite que les toilettes d'un TER. Si l'on met en exergue l'introduction et la présentation des protagonistes, l'essentiel du film est raconté en temps réel: on apprend que le voyage Seoul-Busan, en temps normal, dure une heure: il faudrait vérifier, mais je suis persuadée que si l'on rajoute les temps d'arrêts et de retard dus au légers désagréments zombiesques, on tombe pile sur un vrai parcours. Et durant ce voyage, on ne s'ennuie pas une seconde. Le tempo est mené tambour battant, les scènes où l'action permet de respirer sont émotionnellement intenses, les scènes sans fort potentiel communicatif entre les personnages sont de l'adrénaline pure. Encore une fois, le scénario est une merveille de développement durable de l'écriture: tout sert, pas de déchet, pas de temps mort, pas d'infos inutiles: ça va à très grande vitesse et c'est d'une efficacité qui fait pâlir tous les ingénieurs de la SNCF.
Et au-delà de son respect des commandements principaux du film de zombies, Dernier train pour Busan innove. D'abord avec ce truc de malade dont seuls les Coréens semblent capables à l'heure actuelle: un mélange de genres qu'on ne verrait à la base pas du tout ensemble mais qui marche du tonnerre. Et là, tenez-vous bien, vous êtes devant le premier mélo zombiesque réussi de l'histoire du cinéma. Quand je vous disais qu'on était pas loin de
Titanic, je déconnais absolument pas! C'est la première fois qu'un film de zombies me fait autant chialer. Et quand je dis chialer, je dis pas écraser une petite larme au coin de l'œil, non je dis chialer comme un veau qui regarde passer les trains et à l'heure où je vous parle, en me remémorant certaines scènes, j'ai les yeux franchement humides. Parce que, je vous le disais, la situation étant bien évidemment un catalyseur de caractère, c'est aussi une bombe d'émotions servis par des acteurs très doués, et notamment une formidable petite comédienne qui va vous faire complètement dérailler. Je sais pas ce qu'ils leur mettent dans le biberon aux jeune actrices coréennes, mais entre cette merveilleuse Kim Soo-Ahn et l'incroyable Kim Hwan Hee de
The Strangers, il y a une intelligence de jeu et une transmission d'émotions dont bien des actrices grand format pourraient s'inspirer.
Il faut souligner également la parfaite maîtrise de la réalisation, qui parvient à créer des images jusqu'alors inédites (ce qui devient un sacré challenge dans cette période de surdose de zombies). Pour moi, la grande idée visuelle est de traiter la meute de zombie comme un véritable essaim: ils ont une sorte d'instinct collectif qui les poussent à faire les mêmes choses en même temps: on assiste donc à de terrifiantes et impressionnantes "vagues de zombies". Ici, on ne mise pas sur le gore, les boyaux et le sang pour foutre la pétoche, mais sur la menace du nombre et celle de la contamination et bon sang, ça fonctionne.
Et puis, on le dit toujours, et on va encore le dire, depuis Romero, le film de Zombie est un parfait prétexte à proposer un miroir à peine déformant de notre société en pleine déliquescence. Et alors là, mes petits amis, laissez-moi vous dire qu'on fait pas dans la dentelle. Le constat de
Dernier Train pour Busan est terriblement amer, et fait état d'un monde où le cynisme et l'individualisme outrancier fait basculer toute idée d'avenir dans l'horreur. Des politiciens qui font croire qu'ils maîtrisent une situation qui, comme on peut le voir sur internet, les dépassent largement, des salopards prêts à tout pour garder leur petit confort, et surtout, une charge dévastatrice contre... argh, je peux pas vous le dire. Mais bon sang, allez voir le film, parce que pour moi, c'est la première fois où je trouve que la source de l'apparition du virus zombiesque est totalement plausible: pas de savants-fous, pas de théorie du complot, juste une négligence au service de l'enrichissement immédiat. Et entre ça et les torrents de larmes, je peux vous dire que ce film m'a gravement pris aux tripes, au point où je me demande si je n'ai pas été infectée.