pelloche

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mardi 24 novembre 2015

Boxcar Bertha: Premiers wagons d'une belle locomotive du cinéma



Une nouvelle fois, le thème du ciné club de Potzina était très alléchant ce mois. Je dis le thème, mais je devrais dire les thèmes: "le film historique" et "Martin Scorcese". Deux thèmes passionnants, que j'ai décidé de marier pour ce post, avec le film Boxcar Bertha, réalisé donc par Martin Scorcese et que l'on peut considérer comme un film historique, puisque c'est adapté de la biographie de Bertha Thompson, criminelle durant la Grande Dépression.

Disons-le tout de go, si Boxcar Bertha n'est pas le plus connu des films de Scorcese, c'est probablement parce ce n'est pas son meilleur. Ici, pas de trésor inestimable caché, que l'on retrouve en criant "O génie!". Mais bon, cela reste un des tout premiers films du réalisateur-culte (avant même Mean Streets), et comme on va le voir très vite, les premiers symptômes du talent sont bel et bien là. Et ça prouve bien une chose: on ne nait pas excellent réalisateur, on le devient.

Boxcar Bertha est donc l'histoire de la toute jeune Bertha Thompson (Barbara Hershey), fille d'un aviateur surtout payé (quand il l'est) pour répandre des pesticides dans les champs de grands propriétaires du Sud des Etats-Unis. Lorsque ce père idéal meurt dans un accident, Bertha prend ses cliques, ses claques, le blouson d'aviateur du daron et le premier train pour ailleurs. Mais c'est la Grande Dépression, alors le train est un wagon de marchandise à bord duquel elle grimpe clandestinement. Au cours de son voyage, elle croise le beau syndicaliste, Big Bill Shelly (David Carradine) sous le charme duquel elle tombe. Poursuivant son périple, elle va également s'acoquiner avec un arnaqueur yankee, Barry Primus. Quand le triangle amoureux va se retrouver entre 2 wagons, ce sera pour former un petit gang de malfaiteurs spécialisé dans les attaques de train.

Comme je le disais, tout n'est pas formidable dans ce premier petit film d'un grand. Le traitement de l'histoire est très inégal, cela traîne parfois en longueur et  on ne comprend pas toujours tout ce qui se passe. C'est un peu bordélique, et ce n'est pas le montage très souvent foireux qui aide. Scorcese n'avait pas encore rencontré son alter-ego des ciseaux et de la pellicule, Thelma Schoonmaker, et c'est un certain Buzz Feitshans qui monte le film. Ce dernier comprendra vite son erreur d'orientation, puisqu'il quittera le métier de monteur pour celui de producteur qui lui apportera plus de succès puisqu'il est crédité en tant que tel sur Rambo, Conan le Barbare ou Total Recall. Mais on imagine que son travail n'a pas non plus été facilité par le tout petit budget du film, on sent bien que les plans de coupes ne sont pas légions, et qu'il faut utiliser au maximum le peu de pellicule imprimée.

Parce que oui, Boxcar Bertha est un film fauché: il est produit par Roger Corman (grand maître de la  série B) et est distribué comme un film d'exploitation en double-bill. Ce qui veut donc dire qu'on va voir des gens tout nus (mais bon, faut dire que pour une fois, Barbara Hershey ne sera pas la seule à apparaître en tenue d'Eve, les filles qui se sont toujours demandé à quoi ressemblait le ténébreux héros de Kung-fu sans son kimono seront servies), et des seaux de peinture rouge sang. J'entends que ça peut paraître un peu cheap pour le futur réalisateur du Loup de Wall Street, mais si l'on se replace dans le contexte socio-culturel de l'époque, c'est plutôt prometteur. Le cinéma d'exploitation a permis à de nombreux réalisateurs de faire leurs armes dans les années 70.



Et puis, dans ce film, il y a déjà un tas de bonnes choses. Malheureusement, vu le montage, on ne peut que parler de tas, tant tout est en désordre. Notez d'ailleurs que c'est un très bon film pour comprendre la valeur du montage: quand il passe inaperçu, et qu'on comprend tout, c'est que c'est un bon montage; quand, en plus, l'enchaînement des images crée un supplément d'âme et de sens, c'est qu'on est devant un très bon monteur, et c'est ce qui arrivera dès que Miss Schoonmaker rejoindra l'équipe de Tonton Martin, parce qu'à mon avis, il lui doit une partie non négligeable de son succès.

Bref, commençons par le cast: Barbara Hershey arrive à insuffler toute la jeunesse à son personnage, son innocence et sa joie de vivre. Cette joyeuseté même de l'adolescence en devient même effrayante, notamment lors des scènes de braquage, activité qu'elle traite comme un jeu insouciant, s'amusant comme une petite folle à jouer de la gâchette. David Carradine est aussi très convaincant en syndicaliste poussé au crime, qui essaie malgré tout de conserver son intégrité. Il est le seul personnage derrière lequel on ressent une véritable profondeur dramatique, un vrai conflit.



Le scénario, s'il est mal rythmé, reste aussi intéressant: il traite d'une période très difficile de l'histoire des Etats-Unis, et y intègre des éléments qu'on oubliait souvent à l'époque, et pour cause, très mal vus à Hollywood: le syndicalisme et la ségrégation. Parce que nous sommes bien dans le Sud, et que le personnage de Von Morton, membre afro-américain du petit gang, interprété par Bernie Casey( qu'on retrouvera dans Jamais plus jamais), est un joli personnage, et fourni une des plus jolies scènes du film, dans un club de blues. La plongée dans l'époque est très réussie, malgré le petit budget, on y sent le poids de la corruption et la nécessité de s'en sortir par tous les moyens.

Et puis, il y a surtout les débuts très prometteurs d'un réalisateur qui commence dès lors à montrer une belle patte. On y retrouve certaines obsessions toujours présentes chez lui: le crime, la camaraderie, la rédemption, l'image de la crucifixion, etc... Et on y voit déjà un talent certain pour la réalisation. J'en veux pour preuve quelques très belles scènes. Une jolie scène d'amour entre Bertha et Bill, vu par l'encadrement d'une porte dans une usine désaffectée: un cadre dans le cadre, comme pour protéger les deux amants, et, par la fenêtre, la nature automnale. La scène dans le club de blues où Bertha, comme enchantée par la voix et l'harmonica de Von Morton, entre, traverse une salle aux regards désapprobateurs sans même les remarquer, trop à la joie de retrouver son ami. Et bien évidemment, la scène finale, une scène qui lie à jamais les personnages aux wagons de marchandise si souvent empruntés, une fin tragique d'une violence extrême s'opposant à la beauté de la nature et à une somptueuse lumière naturelle. Et rien que pour ces trois scènes, peu importe le montage foutraque et la production fauchée, on est heureux d'avoir vu ce film.



PS: Je voulais juste noter que j'ai eu l'idée de choisir ce film en allant voir à la Cinémathèque française la très belle exposition consacrée à Martin Scorcese (allez-y!), qui a eu la bonne idée de diffuser la très belle scène finale de Boxcar Bertha. Je me suis alors souvenu que j'avais ce film dans ma DVDthèque et que je ne l'avais pas revu depuis un bail. Ca faisait très longtemps que je n'étais pas montée à Paris et ça m'a fait très plaisir de voir cette magnifique expo. C'était le vendredi 13 novembre et j'en garde un précieux souvenir.



Je ne le fais pas d'habitude, mais pour cette fois, je vous embrasse fort (et surtout toi, l'autre Sabrina ;-) ).










18 commentaires:

  1. Bertha Boxcar fait partie des 3/4 films de Scorsese que je n'ai jamais vu. Je m'en suis rendue compte en cherchant un film à chroniquer :) De ce fait là, je suis encore plus enthousiasmée par ton billet. Surtout par la fin parce que c'est vrai que les montages pourris ont tendance à me faire sortir du film mais s'il y a des scènes étourdissantes, je ne vais pas faire ma sucrée ;)
    Merci pour ce beau billet !

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    1. Ah oui, c'est vrai qu'un défaut de montage, ça pique vite, quand même. Mais si tu as le coeur bien accroché et que tu es prête à supporter quelques longueur, et qu'en plus tu veux compléter ta filmo Scorcesienne, n'hésite pas!

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    2. J'ai le cœur bien accroché :) Et puis j'aime bien découvrir les premières œuvres d'un artiste, c'est toujours intéressant de voir son évolution aussi bien d'un point de vue la technique que du côté de ses « obsessions ».

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  2. Je n'ai toujours pas vu ce film moi non plus. Ton article m'a réellement donner envie de le voir justement pour analyser cette question de montage, malheureusement foiré d'après ce que tu dis, et je veux bien te croire! Mais du coup la façon dont tu parles de cet échec dans le film est extrêmement intéressant et donne vraiment envie de se pencher sur la question, d'autant plus que c'est un film de Martin. Et Martin... Forever!

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    1. Oui, c'est vrai que ça permet de voir aussi l'évolution de ce qu'est un grand cinéaste, ça montre que le cinéma, comme tous les arts, ce n'est pas inné, ça se travaille! Et on peut dire que tonton Martin, il en a amassé du travail, depuis!

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  3. Aarghhhhh! Blogger, m'a foiré deux commentaires! Tina et All mad(e) here, je sais que vous êtes venues ici, mais j'ai pas pu retrouver vos messages. Je suis désolée! N'hésitez pas à réessayer. En tous cas, comme je n'ai pas eu le temps de voir ce que vous avez écrit, je peux juste vous répondre que je vous fais des bises.

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    1. Tina, j'ai au moins réussi à retrouver le tien sur mon mail:
      " Il s'agit d'un des seuls films de Scorsese que je n'ai toujours pas vus mais que j'aimerais le voir juste pour montrer ma fan attitude ahahah ! Ceci dit, tes réserves ne m'étonnent pas car j'avais ressenti des choses similaires en regardant son premier long (Who's that knocking at my door ?). Yeeeah toi aussi t'es allée à l'expo ! :D "

      Je réponds donc "T'as raison, avec un type comme Scorcèse, on peut se permettre de tout voir, juste par esprit de collectionneur! Je n'ai pas vu, pour ma part, "Who's knocking at my door?"
      Et oui, copine, j'y étais! Y'avait d'ailleurs aussi une très chouette expo sur le métier de scripte (le seul métier que j'aurais aimé faire professionnellement sur un plateau), avec des interviews détaillées et très intéressantes.


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    2. ahahaha énorme ton bug ! :D
      bref, revenons à nos moutons ! :o
      T'y étais quand du coup à l'expo ? Ouiiii je l'ai vu l'expo à l'étage, géniale également ! Perso c'est monteuse qui m'aurait bien plu comme métier (je m'amusais avant à faire du montage, puis j'ai arrêté mais depuis un certain temps, je repense à filmer n'importe quoi et à m'éclater après avec les logiciels).

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    3. J'y étais le 13 novembre :-(

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  4. 1.MERCI ♡
    2.Je n'avais pas,avant ce matin, lu ton article...Ne me dis pas quelqu'un se fait passer pour moi! ^^
    3. Je découvre grâce à toi ce film. Il parait que Môsieur l'avait ramené de la médiathèque et qu'à l'époque je n'ai pas fait montre d'un très grand enthousiasme, mais ça c'est lui qui le dit ^^. J'ai 2/3 films à regarder avant d'aller visiter l'expo (La Cinémathèque est à 10min à pied ce chez moi, what a pity!) J'ose dire que je suis contente que tu aies pu voir l'expo et je rajoute ce film de tonton Martin sur la liste.
    Je prends toujours autant de plaisir à lire tes articles. Tes critiques sont toujours constructives et jamais gratuites. C'est rare et appréciable et puis j'apprends toujours des trucs intéressants.
    Rendez-vous manqué, l̶e̶s̶ ̶d̶o̶u̶b̶l̶e̶s̶ ̶m̶a̶l̶é̶f̶i̶q̶u̶e̶s̶, on finira par se rencontrer.

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    1. C'est fou, ça, parce que j'avais vu un de tes commentaires enregistré en SPAM et je l'ai pas retrouvé en le déspamant (néologisme) , c'est peut-être un commentaire sur un autre article, youhou, je file voir ça.
      Sinon, n'hésite pas sur cette belle expo, elle vaut vraiment la peine, et celle sur le métier de scripte est aussi très bien.

      On va peut être bientôt avoir l'occasion de se voir, j'ai appris que j'aurais bientôt une formation en terre parisienne. Je t'en parle dès que j'en sais un peu plus.

      Encore merci pour tous ces compliments qui me font cramoisir de plaisir.

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    2. Film choppé à la médiathèque et regardé dans la foulée. Juste après "Taxi Driver" et avant " A tombeau ouvert", nous continuons notre petite rétrospective avant d'aller visiter l'expo. Ce qui est sûre c'est que je n'aurais pas vu ce film sans ton post. Quelques longueurs effectivement et une impression de fouillis. Niveau casting, chouette découverte que celle de Barbara Hershey. Par contre, David Carradine et moi nous ne sommes pas du tout potes et ce film le confirme. J'ai trouvé son rôle très léger et impossible d'y adhérer ( 1ere scène je lance une grosse baston et je me casse avec la poulette pendant que mes potes se font tabasser...^^).
      Nonobstant je suis contente d'avoir vu ce film et Môsieur te remercie également car lui seul n'avait pas réussi à me convaincre...^^
      (J'espère qu'on aura le temps de rerevisionner Aviator et Le loup de Wall Street ♡♡♡)

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    3. Merci, contente que vous ayiez pu le voir! Tiens donc, je me demande ce qui crée chez toi cet enthousiasme pour Aviator et le loup de Wall street;-)
      Maintenant que tu m'y fais penser, il faut absolument que je revois A tombeau ouvert, ce film est tout simplement génial!

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  5. Bonsoir,

    Merci pour ce billet très intéressant! Je n'ai pas vu le film, mais je vais m'empresser de le regarder. Il me servira peut être d'argument quand je dois (trop souvent) convaincre des gens qu'en effet, le montage est un élément MAJEUR dans la réalisation d'un film ou toute production audiovisuelle.
    A bientôt!

    Tiavina

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    1. O combien! C'est vrai qu'on ne le remarque souvent pas (ce qui est probablement bon signe), mais le montage est effectivement primordial dans une œuvre filmique

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  6. Réponses
    1. J'avoue ne pas trop l'avoir vue au cinéma je crois, si ce n'est dans La dernière tentation du Christ ou Black Swann. En me basant là-dessus, j'avoue beaucoup l'apprécier

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