pelloche

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lundi 2 novembre 2015

Crimson peak: Dolor is clay born



Voilà, comprenne qui pourra, ça c'est pour le jeu de mots pourri post-halloween, on ne vous dira jamais assez que la consommation excessive de rouleaux de réglisse et de crocodiles en gélatine est dangereuse pour la santé mentale...

Ce week-end, j'ai donc vu Crimson Peak, de Guillermo Del Toro. En même temps, je pouvais pas y couper: un film d'horreur en plein halloween, des acteurs qu'on a envie de voir dans pratiquement tout ce qu'il font, et le réalisateur du Labyrinthe de Pan et de l'Echine du diable. La bande-annonce, annonçant très clairement un parti pris esthétique fort, et une inspiration directe de la Hammer a fini de me convaincre: c'était pour moi un passage obligé. J'ai essayé de ne pas trop en attendre afin de ne pas être déçue, et puis bon, j'ai attendu une bonne semaine avant de le voir et j'avoue que j'étais très impatiente de voir ce que ça pouvait donner.



Petit rappel de l'histoire: Edith Cushing,(mais oui, comme un certain Peter), fille d'un puissant industriel américain, croit très fort aux fantômes. Difficile pour elle de faire autrement: sa maman, morte du choléra, est venue perturber ses nuits, lui intimant de manière très convaincante de se méfier de l'énigmatique "Crimson Peak". Devenue adulte, elle aspire à une vie d'auteur de roman gothique (son modèle est Mary Shelley) jusqu'à sa rencontre avec le beau et ténébreux baronnet anglais, Thomas Sharpe, qui, bien que fauché et flanqué d'une frangine austère et fortiche au piano, danse parfaitement la valse, sait apprécier les talents littéraires d'Edith et est tout de même vachement plus romantique que l'ophtalmo qui la courtise habituellement. Papa Cushing n'aime pas trop ce freluquet british trop beau pour être vrai et va essayer de l'éloigner de sa fille. Mais il tombe malencontreusement sur un coin de lavabo et meurt subitement: il ne reste donc plus aucun obstacle à l'union d'Edith et de Thomas, et à leur déménagement dans sa splendide bicoque, construite sur une carrière d'argile rouge. Alors oui, il y a de l('espace, et l'eau courante, mais le toit est légèrement défoncé (pas pratique pour le ménage, surtout qu'il n'y a pas de domestique) et l'accueil de la belle-soeur n'est pas des plus chaleureux. Celui des nombreux fantômes habitant la maison ne le sera pas plus...

Disons-le tout de suite, le scénario de ce film n'est pas des plus surprenants. C'est pour moi le seul défaut de ce film, encore que cela ne m'a pas dérangée. C'est une histoire très classique, dont on connaît un peu déjà les ficelles, mais le film étant un hommage aux bons vieux films d'horreur, ce classicisme n'est finalement pas mal venu, on s'y sent à l'aise comme dans un bon vieux cercueil tapissé de velours rouge, on y prend même un véritable plaisir à guetter les scènes mythiques du genre, et on n'est pas déçu.

Pour moi, ce film n'a pas la force incroyable du Labyrinthe de Pan, mais il n'est pas du tout sur le même registre, et ce n'est donc pas dommageable. Nous sommes ici face à une véritable pièce d'orfèvrerie, un ouvrage délicat, ciselé avec méticulosité, doré à l'or fin, une petite merveille pour les yeux, un délice de cinéphile. Tout, absolument tout est d'une beauté à couper le souffle.



A commencer par la photographie de Dan Lautsen qui est absolument splendide. Il manie les verts et les orangés, les explosions de rouge, à la manière d'Argento dans Ténèbres et Suspiria. Il parvient à créer une atmosphère à la fois intime, confinée, et sauvage, à la manière de cette maison recluse et pourtant ouverte à tous les vents. Le cadre est d'une maîtrise incroyable, j'aime en particulier la scène de valse, où la caméra sait à la fois nous faire sentir l'ivresse des mouvements des danseurs, mais aussi l'observation statique et inquiète des personnages autour, nous faisant sentir toute la tension de cet amour naissant, l'ogre derrière le conte de fées. Chaque plan dit quelque chose, sans jamais être lourdingue. On prend plaisir à tous les détails de chacun d'eux, et on s'en délecte comme de la beauté d'un papillon si vite disparu. Et puis bon, moi, les fondus au noir avec caches, qui rappellent l'expressionnisme et le cinéma muet, je suis toujours bien cliente...

Ce qu'il y a dans l'image est également assez somptueux. Les décors sont à tomber. si comme moi vous aimez les bons vieux films d'horreur, les Frankenstein, la Hammer et tout le cinéma gothique, vous allez adorer la maison des Sharpe: son portail brinquebalant, son hall couvert de feuille mortes, ses tours menaçantes, ses vitres embuées, sa longue salle de bain cuivrée, sa froide cuisine, sa nursery démoniaque, ses cuves d'argile rouges au sous-sol, son ascenseur dissonant, son atelier aux rouages innombrables, son escalier central vertigineux et son piano magistral, qui semble être le seul élément propre à défier les effets ravageurs du temps.

Et les costumes! Rha les costumes, je sais que ça fait midinette, mais je m'en moque. Mes démons couturesques et tricotesques étaient en pleines bachanales... La robe jaune, la lourde robe de chambre olivâtre, la chemise de nuit, la ravissante sortie de bain avec de la dentelle (un jour, elle sera mienne, oh oui, un jour, elle sera mienne...) Je comprends les envies meurtrières de Lucille Sharpe: qui ne tuerai pas sa belle-soeur pour une telle garde-robe?



Quant aux créatures fantomatiques, elle sont à la fois très belles et très flippantes. Les fantômes sont de bons vieux squelettes et cadavres en décomposition, aux mouvements étranges à vous faire courir des frissons dans le dos. Et cette idée de les recouvrir de cette argile rouge, cette boue sanglante, qui leur donne un côté humide et croupissant, digne des créatures lovecraftiennes les plus repoussantes, est une trouvaille visuelle et presque sensorielle assez formidable.

Le trio d'acteurs, à la base, est déjà assez réjouissant, puisqu'ils font partie des acteurs parmi les plus talentueux actuellement et à la filmographie la plus impressionnante.  Ils s'en donnent tous à cœur joie. Mia Wasichowska est absolument parfaite en jeune oie blanche sacrifiée. Elle compose un personnage assez naïf et hautain pour qu'on prenne un malin plaisir à la voir souffrir, mais assez sympathique pour qu'on ait tout de même envie de la voir s'en sortir. Tom Hiddleston joue comme jamais de son physique de séducteur ténébreux et manipulateur, mais parvient à y ajouter la touche d'émotion et bizarrement, de bêtise un peu comique pour en faire un personnage intéressant. Quant à Jessica Chastain, qui a troqué sa belle chevelure rousse pour un chignon noir de jais, elle est une parfaite héritière de Barbara Steele: la glace et le feu, l'austérité et la passion, tout est déjà dit dès sa première apparition au piano (et il me semble en plus que l'actrice n'y est pas doublée): une posture sèche et rigide, qui délivre une performance puissante, furieuse. On sent qu'elle s'amuse comme une folle dans ce rôle et elle m'a complètement embarquée.



A mon avis, ce film est une magnifique déclaration d'amour au cinéma horrifique, très référencé, assez respectueux, mais avec assez de distance pour ne pas se prendre complètement au sérieux. En cela, pour moi, Del Toro réussit où je trouve que Tim Burton échoue depuis longtemps, et, même si j'espère qu'il nous reviendra avec un film plus personnel, j'ai passé un très très beau moment de cinéma.

8 commentaires:

  1. Je l'ai également vu ce WE,sans avoir lu le pitch (Il faut dire que cela devient de plus en plus dangereux, bientôt les journalistes vont nous raconter l'intégralité du film...), Guillermo Del Toro étant une caution suffisante. J'en suis sortie moins enthousiaste car contrairement à toi, le scénario m'a un peu déçue, j'ai regretté qu'il soit sans surprise.
    Par contre je suis totalement d'accord avec toi lorsque tu dis que c'est une petite merveille pour les yeux. En sortant je me suis dit que cela ressemblait beaucoup à l’ambiance de certains films de Burton, créatures fantomatiques si particulières mises à part...

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    1. Le scénario attendu ne m'a pas trop dérangée, d'autant plus qu'on prend un malin plaisir à nous donner à chaque fois une bonne longueur d'avance sur le personnage principal et des indices en veux-tu en voilà. Du coup, cela donne une certaine distance ironique qui fait que tu as constamment envie de dire "Non, cruchonne, fais pas ça!" en sachant très bien qu'elle va le faire et ce qui va lui arriver si elle le fait. Comme dans les romans gothiques, en fait, où l'héroïne est la dernière à se rendre compte qu'elle s'est fourrée dans de beaux draps mortuaires. Pour moi, c'était comme certaines comédies romantiques: tu sais exactement où ça va, mais tu profites quand même du voyage.
      En effet, il y a un côté Tim Burton, puisque le style de Tim Burton s'est lui même inspiré de la Hammer tout au long de sa carrière. Si pour moi, les deux créent de très belles images, je trouve que techniquement , la mise en scène de Del Toro est beaucoup plus inventive: au moins une idée intéressante par plan, j'avais rarement vu ça avant!

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  2. Olalalalala! Rien qu'à l'évocation de la Hammer et de notre Dario chéri tu m'a encore plus donner envie de voir ce film!

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    1. Dario, c'est surtout, sur la lumière et les couleurs choisies, mais la Hammer, elle transpire par tous les plans de ce film!

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  3. Je n'ai pas pu le voir (et je ne pourrai pas) mais je le verrai avec plaisir en dvd. Ta critique me donne envie.

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    1. Merci. J'espère que tu seras vite en mesure de retourner au cinéma. Bises!

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  4. Oh là là ! Quel beau billet :) Je suis totalement d'accord avec toi. Même si le scénario n'est pas très original, j'ai passé un excellent moment. Et le film est magnifique, la photo est à tomber, les décors sont fantastiques et les acteurs excellents. Vivement qu'il sorte en DVD que je puisse le revoir :)

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    1. Merci! C'est vrai que ce que Del Toro nous donne ici à voir est absolument somptueux. J'ai envie d'éclairer mon chez-moi en vert et orange, maintenant ;-)

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