pelloche

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mardi 10 novembre 2015

Notre petite soeur: Les 4 filles du Dr "Baka"



Hier, je vous parlais d'un film qui aurait pu être un très joli film, mais qui, à cause d'une mise-en-scène tape-à-l'oeil escamotant l'émotion, ne finissait par être qu'un film intéressant. Et bien le Blog Baz'art (j'ai décidément été très gâtée) m'a permis de trouver le contre exemple en m'offrant la possibilité de voir le dernier film de Hirokasu Koreeda, Notre petite sœur. Ce très beau film montre, pour moi, exactement comment une réalisation en apparence très classique peut mettre en valeur un récit, aussi simple soit-il, et en faire partager toute l'émotion.

Donc voilà, après le très joli Tel Père, tel Fils l'an dernier, Koreeda poursuit sa réflexion sur la famille, en se focalisant ici sur une sororité. Depuis le départ de leur mère 14 ans auparavant, délaissée par leur père pour une autre femme, 3 sœurs partagent la vieille maison de leur grand-mère. Sochi, l'ainée, infirmière, s'occupe comme d'une mère de Yoshino, la cadette délurée et de Chika, la benjamine originale. A la mort de leur père, qui avait refait sa vie à plusieurs reprises, elles rencontrent la jeune Suzu, leur demi-soeur, qui se retrouve forcée de vivre avec sa belle-mère. Voulant l'aider à échapper à cette marâtre assez peu mature, Sochi lui propose de venir partager leur foyer. Suzu va donc apprendre à vivre dans cette nouvelle famille.

Ici, Koreeda va continuer à poser les questions qui touchent, des questions finalement universelles: sur l'importance ou non des liens du sang dans la création d'une famille, sur la transmission, qu'elle soit volontaire ou non, sur l'héritage, sur le deuil, sur l'individu et le groupe. Des questions assez profondes, mais posées en toute simplicité, par un scénario qui ne cherche pas le conflit dramatique furieux, mais interroge tout en douceur ses personnages, leurs blessures et leur lente reconstruction.
On y voit des personnages de jeunes filles forcées par des parents trop immatures à se priver d'une enfance insouciante, qui tentent de créer entre elles le foyer qui leur a été enlevé. On y voit comment, malgré tout ce qu'on fait pour essayer de s'en détacher, on parvient rarement à échapper à la reproduction familiale (l'une vit une passion avec un homme marié, comme sa belle-mère, une autre prête de l'argent sans compter comme son père, la plus jeune est le portrait craché de la plus âgée). On voit comment la famille, c'est aussi celle qu'on se construit (dans un café, où la gentille patronne accepte de devenir une véritable mère de substitution). La famille, comme partout, est ici autant un moteur qu'un frein: il faut pourtant y trouver sa place pour avancer.



Les conflits des personnages sont profonds et douloureux, et pourtant le film est d'une infinie douceur. Ca a été pour moi un véritable plaisir de suivre ces quatre filles tout au long du film, qui court sur un peu plus d'un an. D'abord, parce qu'on s'attache très vite à ces personnages: en quelques mots, en quelques gestes, les actrices, toutes formidables, les font exister dans toute leur complexité. Haruka Ayase, en particulier, qui joue Sachi, est incroyable: derrière sa stature sévère et ses allures de sainte, elle sait faire apercevoir, par un mouvement de bouche, par un regard, la colère rentrée, la frustration, le remord, parfois. Elle est terriblement touchante, tout comme la jeune Suzu Hirose. Les seconds rôles, quant à eux, même s'ils n'existent que sur quelques scènes, apportent tous une émotion supplémentaire à ce joli film. Mention spéciale à Riri Furanki (le père garagiste de Tel père, tel fils) qui, en quelques secondes de présence à l'écran, parvient tout de même à imposer un rôle très attendrissant.



Et là où Koreeda réussit son film, c'est qu'il utilise une mise en scène qui laisse tout loisir aux personnages et au récit de s'installer, de s'épanouir au fil des saisons (magnifiquement filmées) et par petites touches successives, de retirer une à une les couches qui nous séparent d'eux, finissant par nous émouvoir de manière juste et délicate (ce qui pour moi, se traduit par pleurer comme un veau lors du dernier quart d'heure). La caméra adopte la bonne distance face au personnages, elle se fait souvent discrète, mais nous fait cependant plonger dans l'intime, que ce soit dans les intérieurs (cette vieille maison toujours ouverte sur l'extérieur) ou dans cette magnifique petite ville côtière qui constitue le décor du film. Elle sait à la fois embrasser le groupe, le rapprocher dans le cocon de son cadre, et s'approcher tout près de l'individu, comme dans un gros plan sublime sur le visage de Suzu Hirose lors d'une promenade à vélo. Le film adopte un rythme assez lent qui, si l'on veut bien s'y adonner, nous emporte tranquillement sur le fil de la vie de cette petite famille à laquelle on a l'impression d'être peu à peu intégré, comme Suzu. Je ne saurai vraiment comment l'expliquer autrement, mais c'est un film dans lequel je me suis sentie véritablement accueillie, accompagnée. Je m'y suis totalement abandonnée, au point d'avoir l'impression parfois de partager avec elles leurs repas (petite parenthèse pour dire que c'est aussi un film qui donne très faim). Si j'aime parfois être bousculée, j'aime aussi que l'on soit doux avec moi, qu'on ait confiance en moi et que l'on me propose de partager une expérience.



C'est exactement ce que j'ai ressenti avec ce film généreux: je me suis sentie emportée par ce film, pas parce que j'y étais obligée par des artifices grossiers (j'ai du mal avec la prise en otage émotionnelle de certains films qui ont besoin de pleurs, de cris et de sang à profusion pour m'arracher une larme), mais parce que, avec une douceur et délicatesse, avec une bienveillance salutaire, on m'a amenée à aimer ces personnages et à partager leurs émois. Contrairement à d'autres films qui électrisent sur le coup, mais qu'on oublie 2 h après, je porte encore Notre petite sœur en moi. Je pense qu'on s'est adoptés, et qu'on va encore vivre ensemble quelques temps.










14 commentaires:

  1. Quel billet magnifique ! J'avais très envie de le voir mais il n'est pas sorti dans mon bled paumé :( J'étais déjà déçue mais maintenant que je t'ai lu, je suis franchement dégoûtée qu'il n'ait pas été distribué chez moi.

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    1. Merci! Quel dommage que tu ne puisses pas le voir, il mériterait une plus grande distribution. J'espère que tu pourras te rattraper dans quelques mois !

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  2. Grâce à Babelio, j'ai eu l'occasion de lire le tome 1 de Kamakura Diary dont et tiré ce film. J'ai beaucoup aimé et vu ce que tu en dis, j'aimerais beaucoup voir le résultat à l'écran.

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    1. Ce film m'a donné très envie de découvrir le manga, du coup. N'hésite pas à vérifier en salle, c'est très joli!

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  3. Très belle chronique !!
    Ce n'est pas forcément mon Kore-Eda préféré dans le sens où j'ai tout de même sentie quelques longueurs et, comme tu le dis d'ailleurs, ça manque pour moi un peu trop d'enjeu narratif. Mais j'ai tout de même aimé ce film, comme tu le dis, nous transporte, et qui est réellement émouvant et attachant. Et les actrices sont toutes impeccables !

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    1. Merci De Koreeda, je ne connaissais que Tel Père, tel fils, que j'avais déjà beaucoup aimé. Je crois que celui là m'a encore plus touchée, justement peut-être parce que les enjeux narratifs n'étaient pas aussi forts. Cela m'a peut-être permis une meilleure identification aux personnages, parce que si l'enjeu narratif est assez faible, l'enjeu psychologique est lui très élevé. Et c'est vrai que les actrices, bon sang, elles sont vraiment formidables!

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    2. Pour Kore-Eda, je te conseille vraiment Nobody Knows, Still Walking et I Wish !
      Après je peux comprendre pour l'enjeu narratif (il y a un côté très "fleuve"), disons que c'est à double tranchant (même si encore une fois, j'ai aimé, ça ne m'a pas tant dérangé que ça car l'émotion arrive à surpasser tout ça).

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    3. Je crois que je vais commencer par Nobody Knows, depuis le temps qu'on m'en parle...

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  4. Comment résister à un tel article.
    Convaincue.
    Encore...

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    1. Merci! Faudra que tu me dises ce que tu en as pensé, alors!

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    2. Mais fait gaffe, quand même, pour en avoir fait l'expérience il est quand même très difficile de sortir de ce film sans avoir envie de filer dare dare dans un restau japonais

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  5. Ma soeur est allée le voir; son récit et le tien m'incite à faire de même! des bises

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    1. N'hésite pas, de la douceur et de la délicatesse, ça ne se refuse pas

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