pelloche

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lundi 18 janvier 2016

Les 8 salopards: Tarantino n'est plus là pour rigoler



Je dois bien avouer une chose, les enfants, c'est qu'à la base, je ne voulais pas trop aller voir ce film. Parce Quentin Tarantino, avec sa complainte de Cosette, m'en avait pas mal dissuadée. Très gênée par son "coup de gueule" contre ces méchants de Disney qui font rien qu'à essayer de torpiller la sortie de son film (Oh, Quentin, pauvre petit pot de terre de cinéaste indépendant fauché et inconnu du grand public...) et son attitude pleurnicharde, j'étais bien décidée à lui faire payer le prix de son outrecuidance (parce que c'est quand même un peu comme quand un grand patron se plaint de payer trop d'impôts) par le poids de mon absence dans les salles (d'une manière ou d'une autre, il l'aurait ressentie, j'en suis certaine).

Mais je suis faible, très faible, et il a suffi d'un nom pour que j'aille au cinéma. Ce nom auquel aucun de mes principes ne peut résister, si vous me suivez depuis quelques temps, vous le connaissez: Kurt Russel. J'y peux rien, c'est plus fort que moi, il a beau avoir un peu pris de la bouteille et porter une peau de bête dissimulant ses biscotos, l'éclat rieur de ses yeux et sa moustache encore plus épatante que dans Tombstone ont eu raison de mon ronchonnement. Et grand bien lui en pris.



Parce que, alors que j'avais été plutôt déçue par Django, j'ai enfin pu ici renouer avec Tarantino. Autant je trouvais qu'avec Django, Il tournait en rond sur les hommages au cinéma d'exploitation, au point que son cinéma commençait à devenir une caricature de lui-même, autant je trouvais qu'il en rajoutait des couches inutiles en matière de réalisation et en violence grand-guignolesque, autant ce que j'ai vu avec Les 8 salopards m'ont fait redécouvrir un Tarantino audacieux, qui ne se repose pas sur ses lauriers et ne fait pas forcément ce qu'on attend de lui, et ça, ça m'a fait sacrément plaisir.

Alors que ce soit clair, l'hommage aux films qu'il aime est toujours là, puisque on est clairement face à un genre (le western) qui appelle les références. Là, on n'y échappe pas: entre le format choisi, un sublime ultra panavision 70 mm que certains chanceux ont pu voir projeté dans des conditions idéales (amoureux du celluloid, tu comprends ma jalousie) et une musique composée par sa majesté Ennio Morricone, on est complètement dans les codes du genre, sans compter qu'on peut faire pas mal de parallèles avec de grands classiques, notamment Les 40 tueurs, dont je vous avais parlé il y a peu de temps (sur la période où l'on passe d'un monde de tueurs à un monde politique, et sur le choix des personnages, mais là, je peux pas trop en dire). Mais là où, auparavant, l'utilisation des codes du genre viraient au tics (la pelloche qui craque, les couleurs qui se délavent, les changement de pelloches outranciers...), Tarantino fait preuve d'un qualité dont je ne l'aurais jusqu'alors pas cru capable: la subtilité. Pour la première fois, il troque une mise en scène tape-à-l'oeil pour un classicisme apparent, qui lui permet de développer enfin une mise en scène inventive, cohérente et très belle (alors qu'elle était avant noyée sous des "trucs" de prestidigitateur). Sa manière de filmer l'intérieur et l'extérieur, son utilisation des focales, de composer très minutieusement ses plans, de nous mettre au plus proche des personnages et nous perdre dans une tempête de neige, tout cela est merveilleusement mis en valeur par une certaine pondération à laquelle il ne nous avait pas accoutumés. Pour moi, c'est un film très important de Tarantino, parce que j'ai l'impression qu'il a passé un cap en tant que réalisateur, qu'il a atteint une forme d'âge de raison: il sait où il va, il ne se sent pas obligé d'en faire des tonnes et il vise juste: c'est un vrai bonheur à voir.



Quant à la violence grand-guignolesque, on va pas se mentir, y'a toujours beaucoup de sang. Mais étrangement, alors que précédemment, les explosions de violence chez Tarantino avaient souvent un côté jouissif et assez rigolo, là ça n'est plus du tout le cas, selon moi. Attention, qu'on ne se méprenne pas, je suis la première à kiffer les coups de tatanes même sur Kurtounet dans Boulevard de la mort, et à trouver ça bonnard, mais j'attendais quand même le jour où Tarantino nous montrerait sa face sombre, celui où il enlèverait son maquillage de clown gore pour nous dévoiler ce qu'il y a derrière ce gros nez rouge sang. Ben là, pour moi, c'est fait! Dans les 8 salopards, Tarantino ne rigole plus du tout. On s'entretue, mais ce n'est plus dans la joie et la bonne humeur, ce n'est plus dans un délire visuel plein d'adrénaline. Ici, quand on appuie sur la gâchette, c'est pas pour montrer qu'on est un héros, mais ça prouve bien qu'on est un salaud!

Parce que là, laissez-moi vous dire que rien n'est rose dans ce film. C'est même une réflexion profondément noire et pessimiste sur la justice, qui me semble être le thème principal du film. Tarantino pose (très bien) des questions qui font mal, des questions qui mettent mal à l'aise, notamment dans le contexte actuel: Qu'Est-ce qui justifie la violence? Qu'Est-ce qui fait qu'une nation est civilisée? Quelle est la différence entre justice et vengeance? Entre une personne intègre et un salopard? Un innocent et un coupable? Définitivement, Tarantino est passé là à l'âge adulte, et si ça doit déstabiliser certains fans qui vont beaucoup moins s'amuser, moi cela m'a surprise, et dans le bon sens du terme. Ce qu'on perd en fun, on le gagne en réflexion, en profondeur et à mon avis, on gagne au change.



Après l'écriture du scénario reste toujours assez magique: le côté huis-clos entre ordures à la Dix petits nègres fonctionne très bien, on découvre les personnages par touches, et c'est surtout sur eux que se base le suspens, l'énigme du film: on veut savoir ce qui fait de chacun d'eux un salopard et on peut dire qu'on est pas au bout de nos surprises. D'autant que le casting est un peu un rêve de cinéphile: outre un Kurt d'amour absolument impeccable de rudesse, on a enfin un Samuel L. Jackson qui montre son côté pas cool, une Jennifer Jason Leigh incroyable qu'on est tellement contents de retrouver, ou un Walter Goggins qui joue subtilement un idiot (ce qui n'est pas toujours évident). A part Madsen qui à mon avis, en fait beaucoup trop, aucune erreur. Ca fait même plaisir de voir apparaitre Zoe Bell à un moment.

Après, le film n'est pas exempt de défaut, notamment au niveau de sa longueur. Mais il est comme ça, Tarantino, il aime trop son histoire, ses personnages et ses acteurs, que ça lui fait mal de leur tailler dans le lard. C'est dommage, parce que bon, tout n'est pas franchement utile. Parce que autant ça fait plaisir de voir Zoe Bell dans un personnage plutôt cool, autant ce personnage n'apporte absolument rien à l'intrigue. Autant oui, les dialogues sont toujours bien écrits, autant parfois, ils ne sont pas nécessaires. Je ne dis pas qu'il ne faut pas se faire plaisir de temps en temps (comme avec la petite partie chantée), mais quand on a un film de 187 minutes dont un certains nombres semblent inutiles, même si elles sont agréables, c'est pour moi un peu dommage.



En définitive, ce cru 2016 de Tarantino, je le trouve plus mûr (sauf sur l'utilisation des ciseaux, et les pleurnicheries peut-être, et là, Quentin, il faudrait s'y mettre un des ces 4), plus charpenté, plus âpre aussi. Le goût est un petit peu différent des précédents, on perd peut-être en sucre ce qu'on gagne en acidité, mais je trouve qu'il reste sacrément bien en bouche. Du coup, je suis impatiente de voir ce que nous réserve les prochaines récoltes.






16 commentaires:

  1. J'avais adoré Django moi, c'est même mon préféré exaequo avec Kill Bill ! (pas encore vu le dernier en date par contre)

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    1. Pour moi, Django était trop long, un peu trop surjoué, notamment par Leo qui quand il part en roue libre, a tendance à en faire un peu trop à mon avis, et surtout trop "over-the-top", notamment pour la scène de massacre. Pendant longtemps, ça a été Pulp Fiction, mais je crois que je l'ai trop vu. Puis ça a été boulevard de la mort (pas de ma faute, une scène où des nénettes parlent de Death race 2000, forcément, ça me touche au cœur). Maintenant, je vais laisser un peu de temps aux 8 salopards pour donner un avis définitif, mais il est très bien placé pour passer en tête...

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  2. J'ai adoré ce film (je l'aime même de plus en plus, je vois au fil des jours des choses qui m'avaient "échappé" et qui rendent ce film encore meilleur selon moi) et je suis d'accord avec toi : c'est pour moi le film de la maturité. Certains vont être déroutés parce qu'il a l'air moins "cool" et gratuit, mais justement j'ai aimé ce côté très sombre et la réflexion sur l'Amérique raciste et violente m'a paru très pertinente. C'est vrai qu'on pourra lui reprocher d'être long, d'avoir trop trop de dialogues et c'est légitime de se demander s'il aurait dû couper des choses ou non. Mais finalement avec le recul, ces choses qu'on pourrait lui reprocher prennent pour moi beaucoup de sens, surtout par rapport à son traitement sur l'art du mensonge et de la rhétorique. Sinon, j'ai trouvé la mise en scène brillante, les décors sublimes, la musique de Morricone géniale, les acteurs brillants (un p'tit coup de coeur pour Jennifer Jason Leigh et Walton Goggins, dont je suis en train de découvrir sa carrière à la télé avec du genre 300 ans de retard), des personnages très complexes.

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    1. Je suis complètement d'accord avec toi! Ca fait du bien de voir qu'il a enfin grandi, même si ça doit décevoir quelques fans. Au moins, il évolue et ne reste pas coincé dans une autocitation constante

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  3. J'ai également adoré Django qui est mon préféré de Tarantino. Mais si j'aime le ciné qui en fait des tonnes, j'aime aussi la subtilité alors tu me donnes bien envie de me pencher sur ces 8 salopards et voir ce qu'ils ont dans le caleçon!

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    1. N'hésite pas! Pour le calfouet, je ne te promets rien: ça se passe quand même pendant une tempête de neige, c'est plutôt caleçons longs en laine ;-)

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  4. Perso, j'ai beaucoup aimé Django et là, tu me donnes sacrément envie de découvrir ces 8 salopards !

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    1. Tant mieux, parce que moi, je le trouve très supérieur à Django, donc j'espère que celui-là, tu l'aimeras encore plus!

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  5. "...surjoué notamment par Leo qui quand il part en roue libre, a tendance à en faire un peu trop."
    Je me calme et je reviens...

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    1. Je trouve que Leo est comme beaucoup d'acteurs très talentueux méthode Strasberg (genre De Niro), il n'hésite pas à y aller à fond. C'est au metteur en scène à mettre à gérer cela pour que ce soit cohérent avec le reste. Pour moi, c'est un peu le problème de Tarantino: il aime tellement ses acteurs qu'il ose à peine les diriger. Du coup, ça marche hyper bien avec des mecs un peu bruts comme Willis, Jackson, Travolta, Kurtounet. Mais je trouve que dès qu'il se retrouve avec des acteurs un peu "extremes" (comme De Niro dans Jacky Brown, par exemple), il a du mal à les diriger correctement. Mais bien sûr que Leo est un immense acteur ;-) Par contre, je serai pas là le 24 février je pense. J'ai vu la bande-annonce et j'ai littéralement eu la nausée. Rien à voir avec Leo en mode trappeur à la Jeremiah Johnson (BG forever), mais plutôt avec la succession de mouvements de caméras gerbatoires (hé, tu l'as vu mon pano? ma plongée, mon travelling super accéléré?). Du coup, je vais respecter mon estomac et attendre la sortie DVD pour pouvoir faire des pauses, je crois...

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  6. (Bon tu as de la chance je n'ai pas aimé Django. N'empêche que je suis blessée dans mon ptit cœur d'ultra fanatique pas objective).
    Alors sinon j'ai(encore)écouté "le masque et la plume" qui ne m'a pas du tout donné envie de voir ce film. Je suis plutôt du genre à me faire mon opinion comme une grande et à ne pas me satisfaire d'un seul avis alors disons que je suis très mitigée mais que la motivation est tiédasse. Pour moi Pulp Fiction & Jacky Brown était des petits bijoux. Après moyen et puis encore après vraiment bof.
    Du coup je ne sais pas quoi faire ma petite dame. Lui donner une chance et me laisser agréablement surprendre ou passer mon tour. Ce qui est sûr c'est que je vais attendre patiemment le 24 février et la sortie d'un film prometteur, interprété par un acteur qui n'en fait jamais des caisses (Mouhahaha ^^).
    Sinon j'aurais pu parier ma chemise, mettre ma main au feu, toussa-toussa, que Kurt serait un argument de poids. Faut croire que je te suis depuis un petit moment déjà...

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    1. Ouais, pas de ma faute, l'argument Kurt marche à tous les coups, d'autant plus qu'on le voit quand même pas souvent sur les écrans.
      Après, à savoir s'il faut que tu y ailles ou non, je ne peux pas vraiment te répondre, si ce n'est te dire que je trouve ce film très différent de ce qu'il a fait jusqu'à présent et que moi, ça m'a plu. Je dirai aussi que le format assez exceptionnel fait que c'est plutôt chouette de le voir en salle. Mais comme il y a plein de bons films en ce moment, si un autre te tente (je parlerai très bientôt de Carol par exemple), choisi celui qui te fait le plus envie ;-)

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    2. Bon bah finalement, moi aussi j'ai craqué...
      Et je suis plutôt contente de m'être bougée un samedi matin malgré le froid et la pluie (Parce que normalement là, je suis en pleine hibernation).
      Mes impression en vrac:
      -Je trouve que cela lui va bien à Kurt d'avoir pris de la bouteille.
      -J'ai apprécié le procédé narratif
      -C'est vrai que j'ai souvent pensé aux 10 petits nègres pendant le visionnage
      -Moi qui suis une adepte des films de moins deux heures je n'ai pas trouvé le temps long. Par contre j'ai trouvé certaines scènes beaucoup trop longues.
      -J'ai adoré le personnage de Chris Mannix. Par contre j'ai trouvé que celui du mexicain était mal écrit et que l'acteur en faisait des caisses. Je suis un peu déçue également du rôle de Tim Roth.
      Bilan: j'ai passé un bon moment de cinéma,malgré le sanguinolent et les quelques longueurs.

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    3. Je suis d'accord avec toi sur le personnage du mexicain. Il manquait un peu d'épaisseur et était plus utiliser comme "instrument". Après j'aimais beaucoup le premier personnage de Tim Roth, celui du bourreau, parce qu'il portait la question essentielle du film, celle de la justice, mais après, il devient moins intéressant.
      Et c'est vrai qu'il y a certaines longueurs. Mais je suis contente que tu l'aies finalement apprécié.
      Et puis bon, rien que pour Kurt frisottant ses moustaches de dépit, ça valait le coup ;-)

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  7. Contente de voir que tu as apprécié... Même beaucoup aimé d'ailleurs ^^

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    1. Oui, beaucoup. Surtout, j'ai été surprise, et ça, je ne m'y attendais pas!

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