pelloche

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mercredi 11 mai 2016

D'une pierre, deux coups (de coeur)



La famille. Pétard, la famille, c'est un sujet de cinéma à part entière. On pourrait faire un arbre généalogique des films sur la famille en partant Du repas de bébé des Lumières. Et c'est vrai que c'est un sujet passionnant, touchant, et en plus propice à la comédie, et accessible à tous. Et moi j'adore ça. Je viens de me faire un marathon de la dernière saison de Modern Family, Les Valeurs de la famille Adams est un des films que j'ai vu le plus dans ma vie, et dès que j'ai un coup de mou, j'écoute les Beach Boys. Mais ma famille à moi, ma vraie famille, je l'ai rarement vue au cinéma. En fait, j'avais l'impression de ne l'avoir vue qu'une seule fois, dans l'adorable comédie Le Nom des gens, où l'héroïne Bahia avait un papa algérien et une maman française, comme moi. Et si j'avais pu retrouver dans quelques films la famille du côté de ma maman, je ne voyais nulle part mes oncles et tantes, ni ma Djeddah (Grand-mère en arabe) au cinéma. On y voyait bien des familles maghrébines, mais ce n'étaient pas la mienne, elles étaient toutes beaucoup trop sérieuses, ou cliché, ou porte-drapeau, et on n'y voyait rarement régner la diversité.

Mais ça c'était avant que Filou, du blog Baz'art ne me permette, grâce à un concours, de voir D'une Pierre deux coups, de Fejria Deliba, qui m'a tout de suite fait me sentir à la maison, dans ma belle famille nombreuse et heureuse, avec pour noyau doux et solide une mère, dont on oublie parfois qu'elle est aussi une femme.



D'une Pierre deux coups, c'est avant tout l'histoire de Zayane, 75 ans, mère de 11 enfants, auxquels elle est totalement dévouée: elle garde les petits-enfants, prépare sur commande des petits plats, et malgré son illettrisme, affiche la volonté farouche de se débrouiller seule, que ce soit pour réparer ses robinets ou décoder son courrier. Mais lorsqu'un faire-part de décès lui parvient avec une invitation à venir chercher une boîte contenant des souvenirs de jeunesse près de Blois, elle décide de se débrouiller pour aller la récupérer seule, ce qui tient de la véritable aventure pour cette femme qui depuis qu'elle est arrivée en France, n'a jamais dépassé les frontières de sa cité. De leur côté, les enfants de Zayane remarquent rapidement son absence et se réunissent dans son appartement: ensemble, ils vont se moquer, se jalouser, se casser les pieds, se faire la morale, rire et se pousser du coude, et il vont surtout découvrir une Zayane différente de celle qu'ils étaient persuadés de connaître par cœur.

Alors oui, on va pas se mentir, ce film n'est pas le film du siècle. L'interprétation laisse parfois un peu à désirer, y'a pas une réalisation de ouf et le scénario n'est pas d'une ambition démesurée, mais vous savez quoi, je m'en moque éperdument, parce que ce très joli film m'a touché en plein cœur, et j'ai passé un merveilleux moment entre rires et larmes. Alors oui, c'est un ressenti tout à fait personnel et non, ça vous fera peut être pas le même effet, mais moi, ce D'une pierre deux coups m'a fait un bien fou.

D'abord parce qu'entre moi et ce film, comme je l'expliquais, c'était tout simplement évident, on s'est reconnus. Il m'a tout de suite été d'une familiarité directe, et je me suis tout de suite laissée emportée, et c'est surtout grâce à l'écriture fine, simple et sincère de Fejria Deliba, qui est aussi scénariste de cette jolie histoire.



Parce que déjà, Zayane, je l'ai tout de suite adoptée. Elle est jouée par Milouda Chaqiq, et ça n'est sûrement pas un hasard. Milouda Chaqiq, ou Tata Milouda, s'est mariée très jeune et est arrivée en France avec son époux sans en connaître la langue. Elle n'a pas de papier et enchaîne les petits boulots et lors de cours d'alphabétisation, elle découvre le théâtre et le slam et devient artiste. Il y a donc beaucoup de résonnance entre sa propre vie et le personnage de Zayane, et on comprend qu'elle mette du cœur à l'ouvrage de cette interprétation. On sent que c'est son premier film à certains moments, mais à d'autres, elle est véritablement troublante de réalisme. Moi, Zayane, j'y ai cru jusqu'au bout, parce que Zayane je la connais très bien, c'est ma grand-mère. Elle aussi, elle s'est mariée très jeune, elle n'a pas appris à écrire le Français, et elle a réussit à élever 9 enfants à la force de ses beaux poignets cerclés d'or, toujours prêts à nourrir, à caresser ou à flanquer des fessées. Et c'est la toute première fois que je voyais ma grand-mère sur un grand écran. Et Zahiane m'a fait rire comme elle avec les bonbons distribués autour d'elle ("c'est bon, c'est du sucre!"), elle m'a impressionnée comme elle quand elle fait preuve de malice (ma mamie adorée ne vandalise pas de camions à ma connaissance, mais je l'en crois tout à fait capable si on la cherche), de dignité et d'audace. Et il y a des moments où Milouda Chaqiq est d'une justesse incroyable. La scène où elle se prépare pour son rendez-vous avec ses souvenirs dans la voiture, le soin qu'elle prend à rattacher son foulard, à mettre pour l'occasion un peu de rouge à lèvres est absolument magnifique. Et celle où elle se retrouve en terrasse avec sa fille (interprétée par Brigitte Rouan) et que cette dernière commande un verre de vin est absolument irrésistible.



Et puis, chez Zayane, il y a la femme, cette femme qui a su si bien s'effacer derrière la mère et qui a aimé, il y a bien longtemps, avant son mariage, et n'a jamais oublié. Cette femme que l'on retrouve sur super 8 jeune et pleine d'espoir, dont les enfants ignorent même l'existence. C'est la très bonne idée de ce film: y ajouter une belle histoire d'amour impossible et insuffler une petite dose de mélo dans la comédie qui soutient tout le film. Chez moi, ça fonctionne toujours et j'ai été émue aux larmes par cette belle partie romantique, où Zayane renoue avec son passé et partage des révélations personnelles avec sa fille, sans tabou.

Parce qu'au delà de Zayane, D'une pierre deux coups, c'est aussi une fratrie qui se réunit autour de l'absence maternelle. Et là encore, je me suis tout de suite sentie à l'aise. D'abord parce que le casting est très bien fait. Fejria Deliba a parfaitement choisi ses comédiens de manière à ce que l'on voit en eux des frères et des sœurs: chez certain(e)s, on décèle presque un air de famille qui n'existe pas, c'est très bien senti. Mais surtout, c'est la toute première fois que je vois à l'écran une famille algérienne telle que je la connais, dans toute sa diversité. Diversité sociale (de la coiffeuse à l'entrepreneur international, en passant par le chômeur, le vendeur de fruits et légumes sur le marché, l'étudiante, l'assistante sociale...), diversité de croyance et d'opinions (de la convertie en burqa aux amateurs de vin, de ceux qui sont heureux de découvrir le passé maternel à ceux qui refusent d'y penser), diversité d'âges que les familles nombreuses connaissent souvent (de la cinquantenaire à la vingtenaire). Et surtout, le scénario est écrit de telle manière que chaque personnage existe, et se trouve caractérisé en très peu de temps. Que ce soit l'ainée retraitée des services sociaux aux secrets bien gardés qui accompagne sa mère et que l'on voit dès la scène d'ouverture, ou la sœur qui travaille tard pour une grande entreprise et qu'on ne croise qu'à la fin, on s'imagine assez facilement qui ils sont, on imagine leur histoire personnelle. Leurs relations entre eux sont également très bien traitées: on sent la jalousie(entre la coiffeuse et sa sœur "qui a des chaussures qui coûtent un SMIC"), le ressentiment parfois (le grand frère qui fait la leçon à ses petites sœurs), mais aussi le rapprochement autour du rire, les chuchotements au-dessus de l'épluchage des légumes, les petites moqueries de gamins, le partage. Et là aussi, il y a des détails qui sont criants de vérité: un enfant qui joue aux billes avec des pois-chiche renversés, des restes laissés au frigo, le pain qui tourne autour de la grande table.



Enfin, ce que j'apprécie beaucoup dans D'une pierre deux coups, c'est le ton du film. C'est souvent drôle, c'est léger, c'est doux-amer, comme le sont souvent les meilleures chroniques familiales (Un air de famille, Taste of tea...) Ca semble bête comme ça, mais une des rares fois que je vois une famille de "française de minorité visible" traitée sur le même ton que n'importe quelle autre famille, sans tomber ou dans le film social militant, ou la caricature débile (avec du Christian Clavier, par exemple), avec tendresse (ce film en est bourré) et un regard amusé et piquant. Moi, ça m'a sauvé d'une journée pluvieuse, ça m'a donné envie de retrouver toute ma grande et belle famille autour d'un repas et de serrer très fort dans mes bras ma belle Djeddah aux poignets cerclés d'or.









6 commentaires:

  1. Un peu de légèreté, ça fait du bien :).
    Encore une découverte que je fais grâce à ton blog.
    Tu suis le festival de Cannes?
    Bisous à toi!

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    1. Ca rafraîchit, c'est vrai!
      Je suis le festival officiel de Cannes de loin en loin, j'ai l'impression qu'il s'enlise un peu avec toujours les mêmes réalisateurs. Je m'intéresse plus aux sélections Un certain Regard ou Semaine de la Critique, mais on a moins d'infos dessus

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  2. J'aimerais avoir la chance de voir toutes ces perles aussi vite que toi! Dans mon coin de Gironde, malgré trois cinémas d'art et essai, les sorties sont décalées d'au moins un mois... ça laisse le temps de la réflexion!

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    1. C'est vrai que pour cela, c'est une chance de vivre dans une grande ville, on a le choix. Mais il n'empêche que même dans une grande ville, ce film n'était distribué que dans très peu de salles, et sur un temps très court (2 salles, 2 semaines)

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  3. La bande-annonce n'avait enthousiasmée, j'avais rajouté le film sur ma liste et puis...
    La lecture de ton article me donne des regrets mais je suis sûre que j'arriverai cependant à le voir assez facilement.
    Ton article est émouvant, le fait que le film et toi vous vous soyez reconnus, qu'il t'es fait un bien fou...Tu te dévoiles ici un petit peu. L'important je pense, n'étant pas que le film corresponde aux attentes du plus grand nombre mais que tu arrives à nous transmettre des émotions. Et là c'est gagné.
    (Par contre je ne suis pas certaine d'avoir compris l'allusion au Beach Boys...^^)

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    1. Les Beach boys, c'est juste parce ce qu'il y a trois frangins (et que j'aime moins les Mamas and papas).
      C'est vrai que pour expliquer pourquoi ce film m'avait autant touchée, il a fallu que je me déshabille un peu. Après tout, j'essaie toujours d'aborder mes billets comme une vision toute personnelle du cinéma et si je n'avais pas expliqué quel lien s'était tissé entre ce film et moi, je n'aurai pas été tout à fait honnête. Je suis contente que mon émotion ait réussi à transparaître à travers cette chronique, parce qu'elle était bien réelle à la vision de ce film.
      Malheureusement, il n'est resté que peu de temps à l'affiche, mais j'espère que le bouche à oreille fonctionnera d'ici la sortie DVD.

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