pelloche

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mardi 2 août 2016

"When you're strange, faces come out of the rain"



In extremis, j'ai finalement réussi à voir The Strangers, de Na Hong-Jin, que des concours de circonstances liés au soleil, aux terrasses et aux barbecues m'avaient empêchée de voir plus tôt. Je m'y suis finalement retrouvée un dimanche matin, ayant bravé les affres du sommeil et de la gueule de bois, me disant que c'était finalement une séance assez idéale, avec le reste de la journée pour pouvoir me préparer à une bonne nuit, sachant d'avance que le film porterait son lot d'images cauchemardesques.

Et grand bien m'en a pris, parce qu'effectivement, ce film a diffusé au long de ces 2h36 une atmosphère poisseuse et overcreepy qui en font un des films les plus flippants et les plus hantants (oui, j'ai décidé que c'était un adjectif) vu depuis longtemps. Vous êtes donc prévenus: gros coup de flip pour ce film que j'aurai été bien idiote (mais peut-être plus paisible) de manquer.



The Strangers est donc un film coréen qui raconte une bien étrange histoire. Dans un village, une série de meurtres abominables commence, accompagnée d'une sorte d'épidémie de folie violente qui s'empare de plusieurs habitants. Jong-Goo, petit flic de cambrousse pas hyper motivé, se trouve en devoir d'enquêter sur ces faits malgré la trouille que cela lui file. On n'a d'ailleurs pas trop de mal à lui trouver des excuses, parce qu'il faut bien dire que le Japonais auquel la rumeur attribue ces troubles est loin d'être des plus rassurants, et que les phénomènes étranges et violents se multiplient...

Tout commence sous une pluie battante (en Anglais, ce film s'appelle d'ailleurs The Wailing, les pleurs), celle qui transforme la terre en boue collante, celle qui fait remonter les odeurs du sol et de pourriture, celle qui s'imprègne en quelques secondes dans les vêtements, dans la peau, celle qui vous glace le sang durant plusieurs heures. Et c'est exactement comme ça qu'on rentre dans le film: trempés, dégoulinants, abasourdis. Et autant vous dire que si vous pensiez poser vos vêtements sur un fil et vous réchauffer au coin du feu, ben c'est mal parti. Non, vous allez passer toute la séance dans cette moiteur glacée, les vêtements collés par une sueur froide à votre corps, sous cette lumière grise et éblouissante, à essayer de distinguer le vrai du faux et le bien du mal à travers les violentes stries d'eau qui déforment tout. Et parfois, les visages étranges qui vous apparaitront sous la pluie (Merci Jim Morrison pour ce titre!) vous feront plus encore frémir que le froid qui colle à vos basques et ne vous quitteront plus. C'est dit: The Strangers n'est pas un film agréable. C'est même plutôt un film éprouvant, mais si l'on vient chercher des sensations fortes, on risque bien de les trouver ici.

Parce que cette plongée dans l'horreur poisseuse est extrêmement réussie, aussi bien au niveau du scénario (qui pourtant me pose encore pas mal de questions) que de la réalisation qui est tout bonnement époustouflante. The Strangers réussit brillamment un mélange de genres qui n'est pas forcément évident en théorie, pétri de références diverses autant que recommandables, et est véritablement une expérience sensorielle marquante.



Commençons par le scénario. Je dois l'avouer tout de go, je n'ai pas compris tout le récit, ce qui peut avoir plusieurs incidences: ou je trouve que c'est n'importe quoi, que ça n'a aucune importance et je laisse tomber, ou j'ai envie de le revoir pour bien définir les tenants et aboutissants de chaque fil du récit. Nul besoin de vous préciser qu'ici, on est bien dans le second cas. En effet, la fin est à mon avis le genre de fin qui laisse libre cours à l'interprétation de chacun. Je commence à me faire ma petite idée sur cette histoire, mais beaucoup de questions restent pour moi en suspens, que j'ai bien envie d'élucider en d'autres visions. Une chose est sûre à mes yeux: le mal (le démon, le diable, appelez-le comme vous voulez) sait parfaitement utiliser nos plus mauvais penchants (ici, par exemple, notre tendance suspicieuse envers l'étranger, et en particulier l'ancien ennemi) pour nous faire pendre lamentablement à son hameçon. C'est un véritable transformiste, prêt à endosser tous les rôles qui lui permettront de jouer avec les pauvres humains corruptibles. C'est à mon sens une des grandes idées du film, toute ramassée dans un premier plan, qui semble tout à fait ordinaire mais qui prend toute sa dimension à la fin du film.

Et le film est dense. Il n'hésite pas à convoquer une multiplicité de mythes. Il emprunte aussi bien au chamanisme, au bouddhisme, au catholicisme ou aux croyances populaires, comme par exemple celle de croire qu'en photographiant quelqu'un, on peut lui voler son âme (mais attention, avec un Minolta argentique, un vrai envoûteur ne lésine pas sur la qualité du matos). Il arrive à tout mélanger, et ça marche quand même, ce qui est assez incroyable. Il en va de même pour les genres: on passe allègrement du film policier au thriller, en passant par divers types de films d'horreur, mais aussi par la comédie ou la chronique familiale. Et c'est bourré de références: on pense, pêle-mêle, à l'histoire de Job, à l'Exorciste, aux zombies, à tous les contes qui nous apprennent à avoir peur de la forêt, aux loup-garous. Tout cela, surtout sur plus de 2 heures et demi pourrait vite devenir indigestes, mais ici, ça ne m'a absolument pas gênée et pour les raisons que j'ai citées précédemment, le mal adoptant le visage que chacun veut bien lui donner, ce mélange faisant appel à toutes nos peurs bien ancrées a plutôt bien fonctionné.



Mais je pense que si tout cela passe aussi bien, c'est que derrière tout cela, il y a un sens esthétique indéniable. J'ai accroché à tout: l'image, le cadre, l'ambiance, le montage, tout est maitrisé de mains de maîtres et, malgré la complexité du scénario, nous enchaîne devant l'écran, pour le meilleur et pour le pire. Dès les premiers plans, le brio de Na-Hong Jin saute aux yeux. Il s'attache à filmer les hommes, leurs combats, leurs atermoiements, et leurs effrois dans un cadre complètement insensibles à leurs malheurs. La nature se fout bien du destin humain. Face à la violence et au malheur, elle reste imperturbable et impose sa grandeur et sa beauté à la fois changeante et éternelle aux pauvres problèmes individuels. Na-Hong Jin, son photographe Alex Hong et son monteur Kim Seong Ming, parviennent à faire de ce film une expérience sensorielle terrifiante et captivante. Je parlais tout à l'heure de la moiteur et de l'impression d'embourbement que l'on ressent tout au long du film, mais il y a quelques scènes d'anthologie, qui ont un impact stupéfiant. Je ne citerai qu'une scène d'exorcisme en montage alterné, d'une maîtrise sidérante, qui nous entraîne par une accélération formidable dans une véritable transe et qui est un vrai bijou de cinéma. Vraiment, The strangers vaut d'être vu ne serait-ce que pour cette seule scène.



Enfin, parce que cela a le mérite d'être noté, l'interprétation est vraiment sans faille, Kwak Do-won, tout en bonhommie, est l'anti-héros parfait, Jun Kunimura et son visage imperturbable font froid dans le dos. Mais surtout, surtout, la jeune Kim Hwan-Hee, qui interprète la fille du héros est tout simplement hallucinante: elle m'a fait sourire, elle m'a fait rire, elle m'a fait pleurer, elle m'a fait mal. Sa performance éclipserait celle de Linda Blair dans L'exorciste si elle n'était pas aussi mythique.



Alors, si comme moi vous avez repoussé l'échéance et qu'il vous reste une chance de voir The Strangers, courez-y avec tous les grigris et talismans que vous pourrez accumuler: vous n'échapperez peut-être pas à l'envoûtement.











16 commentaires:

  1. Je ne sais pas si j'aurai le temps de voir mais en tout cas je me le note pour le dvd.
    Bisous à toi et à plus sur nos blogs respectifs!

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    1. Il sera sûrement disponible d'ici quelques mois. Bises

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  2. Mais JE VEUX ABSOLUMENT VOIR CE FILM!!!!
    Merci pour cet article, tu m'a donné une raison cinématographiquo-estivale de vivre!

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    1. J'espère alors que je n'arrive pas trop tard. Je m'en voudrais tellement de te retirer cette raison cinématographiquo-estivale de vivre (j'adore l'expression, soit dit en passant)

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  3. Hummm...Je suis partagée. J'ai lu la présentation vite fait mais avais tout de suite écarté ce film.
    Je n'aime plus avoir peur au cinéma. Chez moi ça passe encore, même si je suis devenue malheureusement incroyablement sensible. Le fait est que tu vends très bien ta came (je suis toute imprégnée de cette horreur poisseuse)et que cela me sortirait de ma "zone de confort. Deux excellentes raisons. Restent les cauchemars post-visionnages...Je vais méditer...
    En tout cas , de nouveau, un très bel article.

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    1. Mouhaha mon plan diabolique pour faire cauchemarder les foules serait-il en train de fonctionner?
      Je comprends que tu hésites sur ce film, parce je dois t'avouer que si j'ai pas souvent véritablement peur au cinéma, ce film-là continue, plusieurs jours après à garder une empreinte sur moi. On est loin du film d'horreur qu'on regarde pour s'amuser à sursauter toutes les deux minutes. Là, c'est insidieux et glaçant. Je t'avoue que moi-même, je n'étais pas vraiment dans ma zone de confort ;-)

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    2. Vu. J'avoue être déçue avec l'impression de m'être fait baladee. Pourquoi avoir une intention de depart si c'est pour la rendre totalement indéchiffrable. La multiplication des references et le melange est indigeste à mon sens, avec l'impression qu'on ne sait pas ou on va. Si Sixième sens avait demandé plusieurs visionnages, on aurait pas eu le même film. Je me demande si au final il faut vraiment chercher à tout prix des interpretations. Si jamais tes prochains visionnages eclairent ta lanterne, je suis preneuse!

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  4. Pour moi quelques longueurs (même si le film passe paradoxalement vite) avec une fin qui a un peu du mal à apparaître mais tout de même une bonne surprise qui a le mérite de faire vraiment peur !

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    1. J'avoue que j'étais tellement concentrée et sous tension que n'ai pas trop senti les longueurs. Pour la fin, je réserve mon jugement jusqu'à la prochaine vision, qui m'éclairera sûrement plus, mais je ne cesse de m'interroger. J'ai la certitude que la clé est dans le premier plan du film, mais ça n'est pas encore tout à fait clair. Et oui, bordel, c'est carrément efficace sur le trouillomètre.

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    2. Tu as certainement raison, c'est le genre de films qui mérite clairement une seconde vision, il y a sûrement des détails qui m'ont échappée !

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  5. Le coup de coeur de l'année pour l'instant, je suis d'accord avec tes arguments. Le film hante car on ne saisit pas toutes les symboliques. Je pense que je le verrai encore de nombreuses fois et qu'il fera parti de mes obsessions cinéphiles...

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    1. Pareil, je sens que plusieurs visions se profilent. Avec The Assassin, ça fait 2 films qui me font cet effet là: "J'ai pas tout compris, mais bon sang, faut que je le revois". 2016 est donc plutôt un bon cru pour moi cette année

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    2. J'étais allée voir The Assassin avec des amis et j'avais été la seule a adoré, trop long et sans action selon eux. J'ai trouvé que la beauté et la poésie visuelle de ce film se suffisait à elle même.

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    3. The Assassin est bien parti pour être mon coup de coeur de l'année.J'en garde un souvenir très vif plusieurs mois après, et c'est celui que j'ai le plus envie de revoir: c'est toujours un très bon signe!

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  6. Après mon immense enthousiasme pour le Dernier Train pour Busan je me suis souvenue de ta chronique. Je l'ai pas mal ruminé avant de me lancer. Un grand merci à toi pour m'avoir fait découvrir ce chef-d'oeuvre ! Et dire que cette maîtrise folle est seulement la 3ème réalisation du créateur. C'est un film débordant de sensualité dans le 1er sens du terme. Tu le dis toi-même, il est poisseux, avec mes écouteurs j'avais l'impression d'être entourée par cette pluie, de sentir les odeurs et l'humidité, sans oublier le sang et les chairs en souffrance. Et ce mélange des genres si naturel est sûrement un des aspects qui me fascine le plus dans le cinéma coréen que je commence à peine à découvrir. La scène du commissariat pendant l'orage, tu ris et tu flippes en même temps ! Et le combat avec le zombie où ton inquiétude est brutalement interrompue par un magistral coup de pelle dans la tronche !
    J'ai une réserve sur la caractérisation du flic. Pour moi c'est moins un abruti qu'un type banalement humain. Je dirai plus fainéant qu'idiot.
    Avec la fin tu me fous le doute, je pensais l'avoir comprise en suivant la logique du scénario. Y'a un mystère quant au rôle de cette femme/présage. Elle semble avoir un certain pouvoir alors pourquoi n'a-t-elle pas agit ? Symbole de l'impuissance de la police coréenne ? Ou est-ce une invention du flic pour se rassurer ? Ou le fantôme du grand flic qui sommeille en lui ? Pour le final je pensais soit à deux faces d'une même entité, ou un homme possédé guidé par son maître. Globalement le fait de nous balader en jouant avec nos principes et a-priori est formidablement réussi.
    Le casting est IMPECCABLE. Mais comment sont entraînés les enfants coréens ? La gamine m'a fait froid dans le dos. Le père est génial en flic dépassé. Et le chaman <3 avec sa magnifique scène d'exorcisme j'étais hypnotisée par sa chorégraphie et la musique.
    Ensuite j'ai dévoré The Murderer bordel quelle claque !

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    1. Et bien madame, je ne vous félicite pas. non contente de laisser un super message merveilleux sur cette page, vous me donnez des fringales de ciné asiatique pas possible. A cause de vous, je me suis baladée tranquillement sur le net pour avoir des nouvelles du blu-ray de ce fameux Murderer auquel vous donnez franchement envie, et je me retrouve avec ceux de The Assassin, Les délices de Tokyo et The man on high Heels sur les bras en plus. Vile tentatrice (en tous cas, véritablement ravie que tu aies toi aussi succombé au charme vénéneux de ce film formidable. J'attends une nouvelle vision pour rester ou non sur mes positions quant à la fin)

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